Il faut croire qu’en ce 15 août, hier, il n’y avait pas que les ministres à ne pas (vraiment) chômer. La directrice des examens du rectorat de Bordeaux a réagi publiquement à la réclamation collective de parents d’élèves d’Agen contestant la notation de l’épreuve du baccalauréat de français par l(es)’ examinateur(s) des jurys 4242 et 2219. On comprend les parents : d’autres examinateurs ont été beaucoup plus… quoi ? Conciliants, débonnaires, laxistes, obéissants, impartiaux ?
Fort de mon 16 à l’oral de français au baccalauréat 1969 (série B, « éco » d’alors, compensant – entre autres notes – un fort mal mérité, car de totale complaisance, 0,5 en maths, coefficient quatre), je ne la ramène pas. Ce fut une très bonne surprise : je ne pensais guère mériter autant. De mémoire, rectifiez-moi au besoin, les sujets étaient tirés au sort. Je ne sais plus sur quoi j’ai pu tomber, mais je n’avais rien révisé…
L’un des sujet de la série L(ettres), cette année, me semble d’une facilité dérisoire. Un corpus de quatre textes sur le personnage de Robinson Crusoé, avec une question bateau sur quatre points et, au choix de l’examiné, sur 16, trois sujets dont celui consistant à réécrire les huit premières lignes de La Jeune Parque et poèmes en prose (Valéry, Paul, 1950). À son gré, en prose, en alexandrins, en langage texto, verlan, en pastichant Étienne Liébig, que sais-je encore ?
Perso, j’aurais choisi : « pensez-vous que tout création littéraire soit, d’une certaine manière, une réécriture ? ». M’interroger sur ce qui constitue une création « littéraire », disputer le pour et le contre en m’appuyant sur les modes littéraires (et en plaçant Kerouac, mon engouement de ces moments enfuis, ou à présent Guyotat, entre autres… dans la conversation) m’aurait ravi. Tant qu’à passer d’insipides heures ou minutes redoutées à plancher sur un pensum, autant tenter de se faire plaisir.
Or donc, les faits. Les notes de l’examinateur de la salle, pour une classe du lycée Bernard-Palissy, se sont échelonnées entre quatre et huit pour 19 élèves, dont l’une, forte d’un livret scolaire très élogieux, devait se contenter de la moyenne. Quant à la « première » de l’institution Saint-Caprais, les six ont prédominé et un seul examiné a décroché un dix. En déduire que Saint-Caprais a subi un passage au purgatoire laïcard est quelque peu abusif.
Hélène Roidor, directrice des examens de l’académie bordelaise, promet, en cas d’anomalie, « de ne pas pénaliser les élèves ». Par rapport à quoi, à qui ? Fichtre, foutre, partant, pardi, à d’autres, et corbleu, présumerai-je, aux consignes de notation.
La docimologie n’est guère une science, tout au mieux une technique, poussivement approximative. Mais son application est de plus en plus rigoureusement encadrée, avec une componction chatteminesque – pardon, chattemiteuse – déclinée par des académies, de moins en moins savantes si ce n’est en phraséologie, diversement férues et congrues en l’art et la manière d’évaluer le cheptel scolaire à l’aune d’un barème présumé idoine et propice à faire valoir la « qualité » de l’enseignement dispensé. Ou les objectifs globaux d’obtention d’un diplôme ?
La qualité de l’enseignement est cadrée par foultitude de directives, mais surtout fonction des résultats. Au Royaume-Uni, divers scandales ont ému l’opinion. Je ne vous évoque pas l’indignation des trentenaires et quarantenaires (et de leurs aîné·e·s) en Roumanie lorsque la presse publie les sujets du baccalauréat. Leur ire (jaune) n’est guère surfaite, pas le moins du monde outrancière. Glissons…
Je ne peux exclure l’irascibilité d’examinatrices ou examinateurs face à des élèves balbutiant des banalités ou recrachant une litanie de clichés, topiques, lieux communs. Bref, s’agit-il d’un coup de sang, ou d’un retour à une évaluation plus conforme à ce que ces mêmes enseignants ont pu subir lors des épreuves des concours qu’ils ont dû endurer ? Rappelons qu’en diverses matières, une moyenne inférieure à cinq à l’écrit vous propulse à l’oral, et que de nombreux postes ouverts ne sont pas pourvus : j’ai déjà eu l’occasion, sur Come4News, de m’en « étonner ».
J’eu maintes fois l’occasion de constater le niveau, disons, médiocre, de mémoires, voire de thèses, à divers stades de l’enseignement supérieur, et parfois d’y remédier (eh, oui, amicalement, je reconnais d’autres compétences, et donne parfois, par libéral copinage, un sérieux coup de pouce). Tout autant, de reconnaître ma propre médiocrité en regard du talent, de l’érudition, de la sagacité et du sérieux de divers·e·s condisciples.
Je serais fort intéressé, non pas par les résultats de l’enquête, sans doute confiée à des inspecteurs, car prévisibles, mais par ce que pourraient faire valoir l’examinatrice ou l’examinateur incriminé ; car elle ou il le sera, d’une manière ou d’une autre.
Ont-ils noté l’orthographe et la syntaxe des huit lignes dont l’argumentation était laissée à l’imagination des candidat·e·s ou est-ce plus grave encore ?
Voici quelques mois, l’UNL, l’Union nationale des lycéens, lançait une pétition pour réformer le baccalauréat. « L’apprentissage brut est sans intérêt éducatif, les lycéens n’en veulent plus », avais-je relevé. Cette organisation réclamait une « élaboration des sujets mettant en valeur la validation des compétences ». Elle estime que « les lycéens changent, mais le bac reste le même ». Ah bon ? Ce n’est pas tout à fait, au vu de ma brève expérience, totalement faux… en ce qui se rapporte à la première proposition de l’assertion. Mais je ne pense pas être en phase de schize en estimant que les épreuves ont fortement évolué depuis, au moins, le siècle dernier (inutile de remonter à 1927).
Je me remémore le discours attribué à Nicolas Sarkozy de juin 2006 à, justement, Agen. Il suffit de le relire pour se rendre compte qu’il était sans doute bien incapable de le rédiger lui-même. J’y relève cependant un hiatus (« où on », et non « où l’on ») qu’il s’est préservé de rectifier, mais surtout l’évocation de « ce temps où souffrir pour la France était une noblesse ». Aussi cette « France qui a toujours placé au-dessus de tout le sens de l’effort ». De même ce « ressusciter un âge d’or qui n’existera plus si tant est qu’il ait jamais vécu ». Ou encore ce « quand les professeurs redoutent leurs élèves, quand les jeunes se méfient du monde des adultes ». Enfin, cet « alors que le niveau de qualification n’a pas cessé de s’élever ».
Six ans après, les élèves ne se heurtent pas plus qu’auparavant « au mur des 35 heures » que le petit Nicolas promettait d’abattre tel celui de Berlin. Ils peuvent, comme autrefois, se cultiver, approfondir leurs connaissances, bien au-delà de ce « mur » ; et de ce point de vue, la dénonciation des « soixante-huitards de gauche qui ont confondu la démocratisation avec la baisse du niveau des examens », évoqués par le futur d’alors et ex-président, y sont pour bien peu. J’estime même qu’au contraire cette génération insufflait le goût d’apprendre, par soi-même, de prolonger et approfondir, de développer son inventivité. Mais je conçois que cela puisse être apprécié différemment (surtout par le fort médiocre élève et étudiant que fut celui, en 1973 et par la suite, qui embarqua plus tard un Luc Ferry dans des comités Théodule, privant ainsi ses étudiant·e·s de Paris-Diderot d’un si éminent « professeur », déserteur de la fac 14 ans durant, mais grassement rétribué).
Du fait de cette fameuse élévation des niveaux de qualification, je suppute et crains fort que, comme moi-même, Nicolas Sarkozy éprouverait à présent bien du mal à décrocher la moyenne au bac de français. À moins que, charitablement, on nous présume d’autres compétences que celles acquises à bachoter, et qu’on veuille bien en tenir compte afin de nous épargner une trop basse note.
La plupart des enseignants (un professeur professe ce qu’il a découvert par lui-même… ils sont plutôt rarissimes dans les collèges et lycées) ex-soixante-huitards sont désormais à la retraite, parfois depuis deux-trois-quatre ans. Depuis belle lurette, la plupart avaient fini par se résigner à suivre les directives académiques, histoire de bénéficier d’une paix relative.
J’en viens même à me demander si ces notes inférieures à la moyenne ne sont pas dues à une résurgence intempestive de ce fameux esprit soixante-huitard. Argument spécieux, j’admets…
Notons qu’on ne peut guère invoquer l’effet de « l’ordre de correction » (toutes les notes sont basses : celui dit de halo peut avoir influé pour les deux bons élèves ayant décroché la moyenne).
Celui de « fatigue ou d’ennui », susceptible d’entraîner une sévérité excessive – ou peut-être une manœuvre audacieuse mais léonine pour s’éviter d’avoir à être convoqué l’an prochain pour les mêmes tâches, fastidieuses et peu rémunérées – aura sans doute influencé les examinateurs.
La docimologie céderait, parait-il, du terrain à l’édumétrie, découlant des recherches en généralisabilité. Quelque peu largué par cette évolution que cette histoire de « classe action » m’a permis d’effleurer, dérouté par la « taxonomie d’objectifs instrumentés » (cognitifs ? affectifs ?), je préfère rester – jusqu’à plus ample informé – dans le flou.
En tout cas, on comprend les parents. Le pourcentage de bacheliers (en terminale) du lycée Palissy a oscillé, de 2005 à 2012, entre 93 et 97 %. Celui du lycée Saint-Caprais est certes inférieur, mais honorable : de 86 à 92 %. Ce n’est pas avec des notes avoisinant en moyenne six que l’on parvient à de tels résultats. C’est certes inférieur parfois, à Palissy ou Saint-Caprais, pour la série L, pour laquelle les taux sont plus variables mais ont atteint 100 % de réussite certaines années.
Rappelons qu’en 2012, des parents du lycée Saint-Paul de La Ferté-Bernard (Sarthe) avaient demandé l’ouverture d’une enquête pour les mêmes raisons, le rectorat de Nantes concluant que « l’analyse statistique des résultats ne laisse apparaître aucun caractère aberrant ». La moyenne était légèrement supérieure (6,9) à celles constatées à Agen. Pas un examiné n’avait décroché un dix.
Là, peut-être, les élections municipales se rapprochant, allez savoir ce qu’il adviendra pour les élèves d’Agen. Comme, aussi, pour ceux d’Évreux ou Rouen. En effet, des élèves d’Évreux – 67 – ayant obtenu toute l’année de fortes moyennes et fortement chuté devant un examinateur, et leurs parents, ont aussi protesté auprès du rectorat, rapportait France 3 (Haute-Normandie). Il n’est pas qu’à Agen que furent récoltés des pruneaux. À Rouen, le lycée Jeanne d’Arc (public), dit « littéraire », car proposant une option « langues anciennes », a obtenu des résultats qui ont sans doute fait frémir les mânes du Castor (Beauvoir y exerça, comme Colette Audry). À Dieuze (Moselle), des élèves mal noté·e·s à l’examen, mais d’un niveau mieux que convenable, ont même envisagé de redoubler, et des très bien classé·e·s en cours d’année n’ont pas obtenu la moyenne.
Une hypothèse serait que l’épreuve ait fort peu correspondu au programme étudié… Et alors ? En maths, physique-chimie, voire histoire, cela serait certes fort dommageable. Mais en français ? Au vu du sujet, que Defoe, Valéry ou je ne sais qui, n’aient pas été approfondis, quelle importance ?
Ou alors, les correcteurs auraient mal interprété des directives tatillonnes, et « fait du zèle » (ou contre-zèle, allez savoir…). Le nez collé sur la grille de correction, du style « tant de points pour l’évocation de telle ou telle notion », ils n’auraient « valorisé » rien d’autre.
Dans une tribune sur Le Plus, Laurence Juin, correctrice amiénoise, admettait que les notes sont « arbitraires » même si attribuées « au plus juste », particulièrement en français. D’autres professeur·e·s abondent et il se peut que, pour certain·e·s, un 13 ou 14 soit, en français, le summum pouvant être atteint par le meilleur ou la plus brillante tout au long de l’année (perso, personne ou presque, dans ma terminale, ne décrochait un 16, sauf exceptionnellement, un 13 étant considéré très honorable, valant discrète félicitation. Un 14 laissait entrevoir un succès au Concours général).
Cela étant, je me souviens d’une agrégative, formidablement préparée (Sorbonne plus coach agrégée, membre de jurys), qui avait été totalement déstabilisée lors de l’épreuve. Et les séries noires, c’est un peu comme celles des catastrophes ou inondations, ou l’enchaînement des mauvais impair et passe ou rouge à la roulette… On retrouvera peut-être d’ailleurs des recalé·e·s en professeur·e·s de français, ultérieurement.
Que conclure ? L’exercice est ardu : je le laisse volontiers aux correctrices et correcteurs des bacs de français… Et puis, après un tel article « total foutraque », je ne vais pas aggraver mon cas.
Peut-être suggérer qu’en ce mois de vacances, les élèves déçu·e·s se plongent dans Le Prochain Goncourt, d’Étienne Liébig (éds Michalon). Il s’agit d’un polar « à la manière de » plus d’une dizaine de récipiendaires du fameux prix – un par chapitre ; dont le succulent inaugural « La tarte et le territoire ». D’une singulière « pièce montée » (ses lecteurs apprécieront la pertinence de cette métaphore). Au fait, l’ami Étienne, il avait récolté quoi, au bac, en français ? Combien « prendrait-il » à présent ?
Suggestion que je réitère, tant pour les membres des jurys de concours de l’Éduc’ nat. que pour celles et ceux qu’ils ont laissé accéder à la profession en disciplines littéraires (français, langues…) ainsi que les membres de l’inspection : repasser, mettons, une fois tous les cinq-six ans, l’épreuve du bac dans leur matière. Je ne sais si l’appréhension de la docimologie ou de l’édumétrie y gagnera, mais, au moins, ce serait farce…
la docimologie fait probablement partie des sciences stochastiques, mais dans tout les cas les zéros pointés peuvent parfaitement convenir à la plupart des planqués du ministère du mammouth.
nb; de mon temps c’était la science de la notation, ça a changé? Autant de profs autant de notes différentes !