Saluons tout d’abord la vaillance du brigadier-chef Wilfried Pingaud, 36 ans, du 68e régiment d’artillerie d’Afrique, mort au combat dans le nord du Mali, quatrième militaire tombé dans le cadre de l’opération Serval. On ne sait si les recommandations des jeunes officiers du groupe Marc Bloch auraient pu changer quoi que ce soit à son sort, mais ces lieutenants anonymes prônent que les effectifs du rang et des gradés (sous-officiers) soient renforcés aux dépens des budgets alloués aux officiers subalternes et supérieurs. Un texte à consulter absolument, même s’il présente quelques vénielles maladresses…

Il est bien sûr hors de question d’incriminer le commandement ou l’équipement du 68e RAA, régiment d’appui polyvalent qui fut déployé en Afghanistan, ni même ceux de la 3e brigade mécanisée dont il dépend.

Mais, triste coïncidence, la mort du brigadier-chef Pingaud, engagé dans la zone des djihadistes du Mujao, survient le jour de la diffusion d’un texte de jeunes lieutenants incriminant l’orientation générale de la défense, pour laquelle le changement ne semble pas à l’ordre du jour.

Ce texte, cet appel, dont Dominique Merchet, spécialiste défense pour Marianne, n’a pas encore à cette heure fait état, fera – à fort juste titre – date.
Vous le trouverez facilement en ligne (sites de Ouest-France, Francetvinfo, d’autres…).

Il sera très certainement abondamment commenté.

Pour résumer, il critique l’organisation générale des trois armes, avance des revendications catégorielles (réforme du système des primes, des rémunérations des généraux cumulant retraites et traitements de réserve), le lobby des industriels de l’armement, et le recrutement trop fourni d’officiers.

Marc Bloch, officier et résistant exemplaire, était « un analyste lucide des travers qui avaient précipité la France dans la défaite » après la « drôle de guerre ». Du texte de ce groupe émane l’impression qu’il émane surtout d’officiers subalternes de l’arme de Terre. D’où, peut-être, ce souhait de voir la Royale est dotée d’un second (certes utile) et d’un troisième porte-avions. Ou encore cette imprécision quant au recrutement des officiers : si des officiers en nombre s’imposent assez peu pour l’aviation légère ou le transport de l’arme de Terre, c’est quelque peu autre pour celle de l’Air. Mais ces remarques ne doivent pas oblitérer le fond de la réflexion de ces officiers plaidant pour un tout autre budget militaire.

Pour ne pas alourdir leur manifeste, ces officiers n’évoquent pas le scandale du marché du « Pentagone » parisien que dénonce une fois de plus Le Canard enchaîné. Bouygues vient d’être perquisitionné… on verra ce qu’il en résultera.

Les points forts du texte touchent au programme Félin d’équipement « robotisé » du fantassin, fort coûteux, et fort lourd aux deux sens du qualificatif, et à la rétribution de quelque 5 500 généraux « artificiellement maintenus en activité ». Le groupe aurait pu souligner aussi que des généraux à la retraite, s’ils choisissent l’outremer pour s’installer, bénéficient d’avantages qui frôlent l’exorbitant.

Trop d’officiers sont recrutés alors que les effectifs diminuent dans la troupe et l’encadrement. De plus, « des centaines de colonels » ne se voient pas affecter des commandements à la tête de régiments. Ces non-combattants qui pour la plupart cumuleront retraites et emplois dans le privé, multiplient les procédures administratives surnuméraires.

Tout comme lors des départs pour l’Afghanistan, les personnels militaires ont été obligés, partant pour le Mali, s’ils l’ont pu (question de temps et d’argent), d’améliorer leur fourniment à leur frais. Pendant ce temps, le programme Félin pour les fantassins, ou les paras, leur colle dix kilos de plus sur le dos, réduisant leur mobilité, sans que les avantages soient toujours efficaces (pour résumer, de meilleures communications, une meilleure appréhension du terrain d’engagement).

L’armée de Terre manque aussi d’engins blindés à roues performants et surtout plus faciles à entretenir que les matériels frisant l’obsolescence. D’autres choix doivent être imposés « aux groupes du complexe militaro-industriel ».

Un autre point n’est pas abordé, celui du maintien, discutable, dans l’Otan. Pour le moment, on voit bien ce que cela a pu apporter à quelques officiers supérieurs trouvant ainsi une affectation, mais pour le reste… En tout cas, le bénéfice de cette intégration est pour le moins mal compris par le pékin (civil) que je suis et resterai sans doute en raison de mon âge.

Cela étant, l’appui (sans doute pas le plus rapproché) peut aussi être confié à des civils, dont par exemple des chômeurs âgés, qualifiés ou aptes à le devenir. D’autres types de recrutement, hors fonction publique, sont possibles, ce à quoi procèdent d’ailleurs de nombreux ministères dans des conditions fort discutables.

Bref, le groupe appelle à « servir en ne se servant pas ». C’est très positif. Il faut aussi s’interroger, comme l’ancien ministre Paul Quilès, sur la doctrine de la dissuasion nucléaire…

Nombre d’officiers supérieurs, anonymement, ont commencé à critiquer ce texte. Il est certes quelque peu sommaire, laisse dans l’ombre de nombreux points. Mais il serait grand temps que non seulement les officiers, mais mêmes les gradés et le rang, puissent dénoncer quelques absurdités et des situations dommageables, tant pour le moral que pour la motivation des militaires. Réfuter ce texte en raison de ses manques est futile.