Après la viande de cheval étiquetée bœuf chez Spanghero et à destination de la Comigel puis de Findus et consorts, après la filière helvético-allemande (avec étape au Liechtenstein à destination de la Suisse ou de l’Autriche), qui et quoi ? Sans doute, du fait de la vigilance des consommateurs, d’autres affaires, portant sur d’autres types de viandes. En tout cas, une est pendante en Île-de-France, dont le parquet des Yvelines devrait avoir très vite à connaître, à charge pour lui de démêler si les présomptions s’avéreraient susceptibles d’entraîner une action administrative ou judiciaire. Attendez-vous à savoir que…

Présomption a deux sens, et je ne voudrais pas me montrer présomptueux. Mais les diverses affaires de minerai de viandes de cheval substitué à celui de bœuf délient les langues. Y compris au café du commerce, et au-delà, chez les commerçants.

Le magasin Dia du bas du dixième arrondissement parisien n’étant nullement impliqué, il m’est tout à fait permis de le citer. C’est là que, passant dans les rayons, je surprends une conversation entre un client et le gérant, laquelle aura un prolongement en caisse et un (en fait une) autre témoin. «  c’est de la tromperie plus que de la fraude ? », entends-je. Client et gérant se retrouvant  par la suite sur mon parcours, je lance « en tout cas, tromperie, sans doute, quant à une fraude à la TVA intercommunautaire, c’est peut-être une autre histoire ».

Cela fait plusieurs semaines déjà que je suis ces affaires depuis que les contrôles en Irlande ont filtré dans la presse, via la lecture des sites d’information britanniques (et autres, dont les suisses), et comme j’ai l’air d’être au fait des dossiers, Monsieur A. W. se lance à répéter ce qu’il vient de confier au gérant.

Selon cet homme, visiblement d’origines moyen-orientales ou maghrébines, le fait de retrouver du porc dans des barquettes étiquetées « bœuf » n’est pas un scandale lié à des convictions religieuses, et il se montre totalement étranger à ce type de problématique. Viande halal certifiée ou non, ce n’est pas son propos.

Il m’assure avoir, depuis plusieurs mois, acheté et consommé de la viande « fraîche » commercialisées en barquettes (généralement en barquettes polystyrene scellées par une feuille en plastique) dans une grande surface de M*** (Yvelines), appartenant au groupe X, fort connu. Ce résident des Yvelines se voit alerté par des amis conviés à déguster du foie. Doute… quant à la nature de la viande. Puis survient la divulgation des affaires Findus, Comigel, Spanghero et consorts.

Il examine donc attentivement les barquettes et en acquiert six, qu’il place au congélateur, puis fait des découvertes dont il fait part aux responsables de l’hypermarché de M***. Nous en étions là hier soir et M. A. W. (dont j’ai vérifié l’identité, rappelé par la suite au téléphone communiqué) me faisait part de son intention de saisir le procureur des Yvelines et de prendre à sa charge un constat d’huissier. Déclaration de sa part devant témoin : « des gens sont venus pour tenter de m’acheter ces six barquettes à un prix bien supérieur à celui mentionné ; j’ai refusé ». 

Nous en sommes là ce soir. Affaire à suivre. Qui sera suivie. Il ne peut être exclu que ce consommateur de toute bonne foi, qui a pris langue avec une association de défense des consommateurs, ait pu être trompé par des apparences. Si c’était le cas, nous nous en ferions bien évidemment l’écho sur Come4News.

Si ses présomptions étaient fondées, il n’y aurait pas que les préparations culinaires qui présenteraient des « anomalies » comme l’a si bien exprimé Barthélémy Aguerre, de Spanghero, Lur Berri, Arcadie Sud-Ouest, mais aussi des viandes réputées fraîches.

Parcours de combattant

L’affaire remonte à un moment. M. A. W. a des invité·e·s musulmane·s à laquelle il sert notamment du foie (de bœuf, selon les étiquettes) accompagné de purée. « Le bruit a couru que je servais à des amis musulmans du foie de porc. Dans un premier temps, je ne me suis pas inquiété. Mais j’ai fini par tenter d’en avoir le cœur net… », nous a-t-il déclaré. M. A. W. achète régulièrement des abats, du foie, des rognons, du cœur, au rayon des viandes fraîches de l’hypermarché de M***.

Il pense acheter des pieds de veau cette fois mais s’adresse aux bouchers du rayon. Pour eux, pas de doute, il s’agirait de pieds de porc. Pour le foie et le cœur, c’est idem. Mais, lui auraient dit les bouchers, les étiquettes viennent de haut, « de la direction, m’ont-ils dit », insiste-t-il.

Il saisit, après avoir pris conseil autour de lui, la Direction départementale interministérielle de la protection des populations (DDPP) des Yvelines, à Versailles. Un fonctionnaire, Christian Balnian-Catteau lui répond amènement par écrit qu’il conviendrait de saisir la justice civile et de se rapprocher d’une association de consommateurs, ou de s’adresser à un médiateur.

M. A. W. s’adresse à la section des Yvelines de Que Choisir ? Qui lui conseille de rédiger une réclamation adressée à la direction de l’hypermarché de M***. Ce sera fait par lettre datée du 25 janvier dernier. C’est depuis que le réclamant a reçu à son domicile « des gens venus d’on ne sait où me proposant de me racheter les six barquettes, j’ai naturellement refusé ». 

Notre rencontre a été tout à fait fortuite et je n’ai aucune raison de douter des dires de ce client de cet hypermarché. Il semble que, dans un premier temps, il n’ait cherché qu’à obtenir une compensation. Dans un second, voyant que ses démarches restaient lettre morte, il s’est décidé à saisir le parquet.

D’une part, il est pour le moins surprenant que dans le cas d’une tromperie sur la marchandise, il lui soit conseillé de saisir un médiateur, ou la justice civile, ou de favoriser un compromis. Certes, s’il fallait sévir à chaque fois que des erreurs involontaires de manipulations ou d’étiquetage survenaient, les greffes seraient peut-être encombrés. Mais dans un pareil cas, survenant après les histoires de viandes halal rafraîchies au bisulfite de soude de Marseille (révélées en décembre 2012), impliquant sept gérants de boucheries, condamnés à des peines allant de six à 18 mois de prison (affaire connue  des services de la Répression des fraudes bien avant le jugement), une affaire de mauvais étiquetage ne devrait-elle pas attirer plus fortement l’attention ?

Quels moyens pour les services ?

Certes, les deux cas sont différents : dans l’un, c’est une question de santé publique, dans l’autre, sans doute, si les faits sont établis dans le sens indiqué par M. A. W., il ne s’agit que de tromperie. Par ailleurs, les viandes n’étaient pas certifiées halal.

Dans les affaires de viande de cheval, c’est un contrôle irlandais qui a fait s’activer Findus, puis d’autres distributeurs. Dans cette affaire, semblerait-il (sauf preuve du contraire), il pourrait s’agir d’un cas « isolé » n’impliquant qu’un hypermarché.

Que les faits soient établis ou non, on peut être en mesure d’estimer que les services de protection n’ont pas les moyens de diligenter rapidement une enquête approfondie mais aussi que l’UFC-Que Choisir ? ne peut pas se mobiliser sur chaque cas signalé. C’est beaucoup plus inquiétant.

Le ministère de l’Agriculture avait démenti, en février 2012, les propos de Marine Le Pen qui estimait que l’ensemble de la viande distribuée en Île-de-France était halal. Dominique Langlois, d’Interbev, démentait lui aussi. Mais la plupart des musulmans ou israélites ne consomment pas que des viandes estampillées halal ou casher. Même, pourrait-on avancer, au contraire. En revanche, quand l’ensemble des consommateurs paierait au prix du bœuf du porc ou du cheval, même s’il ne s’agissait que d’un seul hypermarché, le doute rejaillirait sur l’ensemble.

Il a été assuré par Findus que l’ensemble de la gamme halal française, certifiée par la SFCVH-mosquée de Paris, n’était pas concerné par le scandale de viande de cheval. L’autre certificateur, l’ACMIF-mosquée d’Évry, ou celui de Lyon, s’en remet aussi aux distributeurs. Là non plus, les contrôles ne sont pas systématiques. Le FN n’a donc pas trop à craindre que les consommateurs non-musulmans ou non-israélites se reportent sur les produits halal. En revanche, on attendrait du Front national qu’il fasse le point sur l’ensemble des filières viandes. Quitte à décevoir adhérents et sympathisants liés à ces filières ? 

Guillaume Garot interpellé

Guillaume Garot, ministre délégué à l’Agroalimentaire, risque d’être beaucoup plus connu du grand public si les « pratiques commerciales trompeuses » dénoncées par l’UFC-Que Choisir ? venaient à sortir en plus grand nombre.

Le problème, c’est celui de « l’autocontrôle ». Les services vétérinaires de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), et les services de la Concurrence, consommation et répression des fraudes ont été véritablement saignés. On a délégué aux entreprises supposées responsables (entendez qu’elles se sont – ou seraient – responsabilisées). Les responsables politiques veulent y croire, les consommateurs sont priés d’accorder leur confiance. Pour Andy Bowles, d’ABC Food Safety, « la tentation de la fraude est évidente ». Guy Attentorough, qui est en charge de la filière bovine britannique au niveau ministériel estime : « il faut s’attendre à d’autres révélations ».
Pourquoi en serait-il autrement en France ?

Le halal, parlons-en…

Le cas des produits halal (ou casher, car c’est un peu la même problématique) mérite l’attention. Que dit Yamin Makri de leurs rapports avec la grande distribution ?
« Pour Isla Delice qui n’est que dans une logique purement commerciale, le choix est vite fait. Les grandes surfaces imposent leur cadre et il n’était pas question de perdre sa crédibilité commerciale face à ceux qui détiennent le monopole de la grande distribution. Il est beaucoup plus profitable de se soumettre aux conditions de l’abattage industriel même si les prescriptions religieuses ne sont plus respectées. Il suffira simplement de dénicher un autre organisme de contrôle moins scrupuleux et qui accepte l’électronarcose. ».

Isla Delice est un empaqueteur de produits halal. Yamin Makri, musulman, estime : « les grands médias, avec la complicité d’islamophobes notoires, occupent l’opinion publique en parlant de maltraitance dont serait responsable l’abattage Halal. On détourne ainsi les esprits des horreurs que constitue le quotidien de tous les centres industriels de production de masse des viandes, de l’élevage à l’abattage. ». Cela se discute, bien sûr.

Mais il dénonce aussi le système de l’autocontrôle. « Certaines grandes enseignes, profitant de leur situation commerciale hégémonique, essaient même de produire sous leur propre certification halal sans juger nécessaire la présence d’un organisme de contrôle musulman ». 

Élargissons en substituant à « contrôle musulman » le « contrôle des autorités publiques ».

Quelles seront les suites ?

Et posons-nous la question : si des contrôles fréquents avaient visé l’hypermarché X de M***, quelle aurait été la réponse de la Répression des fraudes des Yvelines à la lettre de M. A. W. (dont je n’ai pas transformé les initiales, afin que le service puisse tracer le courrier) ?
Si des contrôles diligentés rapidement étaient possibles, qu’en serait-il de cette affaire à présent si les faits étaient incontestables ? Tout se serait-il réglé en catimini ou dans la plus grande transparence ? C’est l’interrogation que les consommateurs sont en droit de poser aux ministres Le Foll, Hamon et Garot. Guillaume Garot, qui fut conseiller général de Laval (Mayenne), connaît fort bien le monde agricole, celui des éleveurs, et la filière agroalimentaire. Dès que nous obtiendrons des précisions plus avancées sur cette affaire, nous contacterons bien sûr ses services.