Dans le quotidien Le Monde (9 février), M. Ali Belhadj, l’ancien numéro 2 du Front islamique du salut (FIS) a donné un entretien à Florence Beaugé, « Il faut trouver, d’urgence, une solution politique en Algérie » [1].

Cet important entretien appelle quelques commentaires.

1. Le moment choisi pour sa publication est important, marqué par la marche vers un troisième mandat (ce qui nécessite une révision de la Constitution) du président Abdelaziz Bouteflika et la relance du terrorisme.

2. M. Ali Belhadj ne condamne ni les attentats, ni les kamikazes. Mais il se démarque d’Al-Qaida dont il dit qu’elle est née en 1998 alors que le FIS a été créé en 1989. Il critique les talibans et l’Arabie saoudite…

3. Il réfute la thèse du pouvoir (discours présidentiel de Batna en septembre 2007) selon laquelle le terrorisme est le fait de l’étranger (Al-Qaida). Il serait donc algérien…

4. Pour mettre fin au terrorisme, affirme-t-il, l’approche sécuritaire ne marche pas, il faut une solution politique. Le FIS, explique M. Belhadj, est toujours pour une République islamique, mais le pouvoir doit être choisi par le peuple, le multipartisme respecté, l’injustice sociale et les atteintes aux libertés combattues. « Les relations avec les pays étrangers doivent se faire sur la base d’intérêts réciproques, dans la transparence et le respect. »

5. M. Belhadj, pour y contribuer, affirme avoir fait des propositions à M. Bouteflika (il ne dit pas lesquelles), mais le président n’a pas répondu.

6. Il a proposé notamment la réunion d’un Congrès où tous les partis politiques algériens, dont le FIS, seraient représentés afin de relancer le dialogue politique entre Algériens.

7. A défaut, il propose que le président négocie avec cinq leaders politiques qualifiés de « démocrates » : M. Hocine Aït Ahmed (Front des forces socialistes) ; M. Ahmed Taleb-Ibrahimi, ancien ministre, dirigeant du parti Wafa non autorisé) ; M. Mouloud Hamrouche, un ancien premier ministre ; M. Abdelhamid Merhi, ancien secrétaire général du FLN, ancien ambassadeur à Paris ; M. Abdennour Ali Yahia, ex-président de la Ligue de défense des droits de l’homme, avocat.

On peut noter que ni le Rassemblement national démocratique (RND), ni le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), pas plus que les partis islamiques « légaux » (notamment le Mouvement de la société pour la paix, l’ancien Hamas) ne sont représentés dans cette « délégation ».

Une question se pose : les cinq personnalités démocrates ont-elles donné leur accord à la proposition de M. Belhadj ?

8. La base de l’accord est le refus de la révision de la Constitution par une « minorité dictatoriale » et donc le refus d’un troisième mandat pour M. Bouteflika qui est cependant personnellement ménagé. M. Belhadj ne veut pas exclure l’hypothèse que le président ne se représente pas et il le distingue de « ceux qui dirigent le pays » et qui le « poussent » à un troisième mandat.

9. Paris est prié de se tenir à l’écart de la succession de M. Bouteflika. M. Belhadj fait allusion à une déclaration du président Nicolas Sarkozy (qui soutient l’interruption du processus électoral en 1992). Mais la « délégation » est composée d’une façon qui ne peut que plaire à Paris, trois de ses cinq membres ont un passé « francophile » et ont des appuis dans la capitale française.

10. Si on ne fait rien, explique M. Belhadj, la crise algérienne éclatera parce que le peuple ne supporte plus le « système » et « le petit groupe qui s’est accaparé toutes les richesses ». L’explosion « débordera » d’Algérie. La menace est claire, la France ne sera pas épargnée…

11. Quelle sera la réponse de M. Bouteflika ? Poursuivre et réformer la Constitution sans discuter avec la « délégation » ? C’est le plus probable. Mais il risque de se retrouver avec un candidat unique de l’opposition disposant d’un large soutien politique à l’intérieur et d’amitiés à l’extérieur.

12. Que vont faire la France et l’Europe ? M. Nicolas Sarkozy a peu de raisons de soutenir le président algérien qui s’est fait le champion du « french-bashing » (dénigrement de la France). Il peut, au minimum, lui compliquer la tâche sur la réforme constitutionnelle pour monnayer au prix fort son appui (au projet d’Union méditerranéenne, à un nouvel accord sur le gaz) ; il peut également soutenir un candidat choisi parmi les cinq : M. Taleb ou M. Hamrouche ?

13. Cet entretien marque un retour en force du FIS. Il utilise son « enfant terrible » pour contrer habilement le pouvoir et revenir dans le jeu. Marche-t-il sur les deux jambes (terrorisme et dialogue) ? Ou exploite-t-il une révolte qui se fait sans lui ? Dans ce dernier cas, rien n’assure que la « solution politique » fera rentrer le fleuve dans son lit et interrompra les actions terroristes.

14. La presse algérienne du samedi 9 février 2008 ne fait pas état des propos d’Ali Belhadj.

Jean-Pierre Séréni – Le Monde Diplomatique – dimanche 10 février 2008


[1] « Il faut trouver, d’urgence, une solution politique en Algérie », propos recueillis par Florence Beaugé, Le Monde, 9 février 2008.

Dans le quotidien Le Monde (9 février), M. Ali Belhadj, l’ancien numéro 2 du Front islamique du salut (FIS) a donné un entretien à Florence Beaugé, « Il faut trouver, d’urgence, une solution politique en Algérie » [1].

Cet important entretien appelle quelques commentaires.

1. Le moment choisi pour sa publication est important, marqué par la marche vers un troisième mandat (ce qui nécessite une révision de la Constitution) du président Abdelaziz Bouteflika et la relance du terrorisme.

2. M. Ali Belhadj ne condamne ni les attentats, ni les kamikazes. Mais il se démarque d’Al-Qaida dont il dit qu’elle est née en 1998 alors que le FIS a été créé en 1989. Il critique les talibans et l’Arabie saoudite…

3. Il réfute la thèse du pouvoir (discours présidentiel de Batna en septembre 2007) selon laquelle le terrorisme est le fait de l’étranger (Al-Qaida). Il serait donc algérien…

4. Pour mettre fin au terrorisme, affirme-t-il, l’approche sécuritaire ne marche pas, il faut une solution politique. Le FIS, explique M. Belhadj, est toujours pour une République islamique, mais le pouvoir doit être choisi par le peuple, le multipartisme respecté, l’injustice sociale et les atteintes aux libertés combattues. « Les relations avec les pays étrangers doivent se faire sur la base d’intérêts réciproques, dans la transparence et le respect. »

5. M. Belhadj, pour y contribuer, affirme avoir fait des propositions à M. Bouteflika (il ne dit pas lesquelles), mais le président n’a pas répondu.

6. Il a proposé notamment la réunion d’un Congrès où tous les partis politiques algériens, dont le FIS, seraient représentés afin de relancer le dialogue politique entre Algériens.

7. A défaut, il propose que le président négocie avec cinq leaders politiques qualifiés de « démocrates » : M. Hocine Aït Ahmed (Front des forces socialistes) ; M. Ahmed Taleb-Ibrahimi, ancien ministre, dirigeant du parti Wafa non autorisé) ; M. Mouloud Hamrouche, un ancien premier ministre ; M. Abdelhamid Merhi, ancien secrétaire général du FLN, ancien ambassadeur à Paris ; M. Abdennour Ali Yahia, ex-président de la Ligue de défense des droits de l’homme, avocat.

On peut noter que ni le Rassemblement national démocratique (RND), ni le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), pas plus que les partis islamiques « légaux » (notamment le Mouvement de la société pour la paix, l’ancien Hamas) ne sont représentés dans cette « délégation ».

Une question se pose : les cinq personnalités démocrates ont-elles donné leur accord à la proposition de M. Belhadj ?

8. La base de l’accord est le refus de la révision de la Constitution par une « minorité dictatoriale » et donc le refus d’un troisième mandat pour M. Bouteflika qui est cependant personnellement ménagé. M. Belhadj ne veut pas exclure l’hypothèse que le président ne se représente pas et il le distingue de « ceux qui dirigent le pays » et qui le « poussent » à un troisième mandat.

9. Paris est prié de se tenir à l’écart de la succession de M. Bouteflika. M. Belhadj fait allusion à une déclaration du président Nicolas Sarkozy (qui soutient l’interruption du processus électoral en 1992). Mais la « délégation » est composée d’une façon qui ne peut que plaire à Paris, trois de ses cinq membres ont un passé « francophile » et ont des appuis dans la capitale française.

10. Si on ne fait rien, explique M. Belhadj, la crise algérienne éclatera parce que le peuple ne supporte plus le « système » et « le petit groupe qui s’est accaparé toutes les richesses ». L’explosion « débordera » d’Algérie. La menace est claire, la France ne sera pas épargnée…

11. Quelle sera la réponse de M. Bouteflika ? Poursuivre et réformer la Constitution sans discuter avec la « délégation » ? C’est le plus probable. Mais il risque de se retrouver avec un candidat unique de l’opposition disposant d’un large soutien politique à l’intérieur et d’amitiés à l’extérieur.

12. Que vont faire la France et l’Europe ? M. Nicolas Sarkozy a peu de raisons de soutenir le président algérien qui s’est fait le champion du « french-bashing » (dénigrement de la France). Il peut, au minimum, lui compliquer la tâche sur la réforme constitutionnelle pour monnayer au prix fort son appui (au projet d’Union méditerranéenne, à un nouvel accord sur le gaz) ; il peut également soutenir un candidat choisi parmi les cinq : M. Taleb ou M. Hamrouche ?

13. Cet entretien marque un retour en force du FIS. Il utilise son « enfant terrible » pour contrer habilement le pouvoir et revenir dans le jeu. Marche-t-il sur les deux jambes (terrorisme et dialogue) ? Ou exploite-t-il une révolte qui se fait sans lui ? Dans ce dernier cas, rien n’assure que la « solution politique » fera rentrer le fleuve dans son lit et interrompra les actions terroristes.

14. La presse algérienne du samedi 9 février 2008 ne fait pas état des propos d’Ali Belhadj.

Jean-Pierre Séréni – Le Monde Diplomatique – dimanche 10 février 2008


[1] « Il faut trouver, d’urgence, une solution politique en Algérie », propos recueillis par Florence Beaugé, Le Monde, 9 février 2008.

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