Système métrique : l’Imperial ne met pas les pouces

Voici au moins 150 ans que le Royaume-Uni débat d’un total abandon du système de mesures duodécimales (à base douze), dit des « mesures impériales », au profit du décimal. En dépit d’avancées en certains domaines, l’impérial ne « met pas les pouces » et conserve les inches, pints, miles per gallon, &c. Une nouvelle fois, un lord, pourtant conservateur (Tory) s’en émeut. Sans doute encore une fois en vain…

Lord Howe of Aberavon, ancien ministre conservateur des Consumer Affairs et promoteur de l’adoption du système métrique (décimal) en 1979, vient d’appeler ses concitoyens et tous les sujets de la reine d’Angleterre (toujours souveraine en certains pays du Commonwealth) à renoncer au système impérial une bonne fois pour toutes.

S’adressant à ses pairs de la chambre haute britannique, il a usé d’un argument insolite. Les millions de visiteurs convergeant vers Londres pour les Jeux Olympiques vont considérer que les Britanniques restent imbus de leur passé impérial, sous-entendu « colonialiste ».

C’est évidemment une façon de voir, mais si l’argument est recevable, souffrez, Votre Grandeur, cette objection…

Ce désuet exotisme est véritablement charmant, et nombre de touristes n’en prennent nullement ombrage. Peut-être de rares pisse-froid, lesquels, en diverses parties du continent européen (voire d’autres îles périphériques) ne sentent nonobstant pas floués si le demi de bière reste un quart de litre et le baron (ou chope, ou sérieux, dénommé abusivement pinte, alors qu’il vaut deux bocks) ne fait que 400 centilitres.

J’étais attaché au système impérial, d’abord par habitude. Lors de ma première traversée de l’ère mixte, fin février 1971 – dès 1969, des pièces de 50 p, valant 10 shillings, avaient été introduites, mais nous les ignorions –, à bord d’un ferry sous pavillon français, et de l’introduction des New Pence, le serveur du bar et moi-même, tous deux nationaux français, avons été fortement décontenancés tellement nous étions congrus en matière de shillings, half-crowns, fivers, &c. Dans les quartiers chics de Londres, comme dans la presse huppée, longtemps après la mutation des monnaies, certains prix s’exprimaient encore en guineas (dont plus aucune pièce n’était en circulation depuis 1813, et dont la valeur était tombée à 21 shillings, soit une livre sterling et 12 pences, ou 48 farthings).
Cela avait quelque avantage : le prix du très bon tabac à pipe, dont le poids restait exprimé en ounces, s’annonçait en guineas, celui des qualités inférieures en livres, ce qui pouvait guider le choix.

De même, pour réaliser des mises en pages, et choisir une police de caractères, fort longtemps suis-je resté (et encore actuellement) attaché aux typomètres, règles simples ou coulissantes graduées en points typométriques, en douzes, voire en points picas. Pour diviser, le point duodécimal est beaucoup plus pratique. 

Avantages & inconvénients

 

Mais j’admets que jongler entre les litres pour les carburants et les boissons gazeuses et les pintes pour le lait et la bière, les livres et les ounces pour les primeurs, d’autres mesures pour l’outillage, &c., ce n’est pas de la tarte (not a piece of cake, attention au faux-ami). On peut trouver cela piquant (tart), mais c’est un peu le bordel (avec des poules cacophoniques, ou tarts). Manier les picas (pour la composition sur certaines machines), les didots et les autres points typographiques vous conférait aussi une certaine distinction, mais qui frisait fort, à la longue, la cuistrerie.

C’était un peu comme pour la nonpareille, dont on ne savait si elle désignait un type (une police, a font), une force de corps (quatre, voire 96 pour la « grosse nonpareille »). C’est encore fort confusing pour les écoliers et les adultes sujets de Sa Majesté. Dont acte.

 

D’un autre côté, jongler avec les mesures, c’est un peu comme manier les quasi-synonymes. Cela n’élargit guère l’esprit des pédants, mais peut se révéler à la fois judicieux et ludiques pour d’autres.

Je n’estime donc pas, à cette aune (et non aunée), qu’une élite « metricalliterate » gagnerait forcément à cette évolution. J’admets cependant que les écoliers n’aimant pas trop le lait trouveraient fort bien que la nice pint of milk qu’on les force parfois à ingurgiter ne fasse plus que 50 cl (et non la valeur d’une – actuelle, continentale – chopine de 56,826125 cl).

 

Question bibine (verre à bière, en Belgique), rester à moitié vide ou à moitié pleine pose dilemme, je le conçois.

Nihil nimium

Mon pronostic sur la question reste que le système métrique ne s’imposera pas parfaitement au Royaume-Uni tant que l’euro n’y sera pas adopté. Soit quand les cochons auront des ailes (and fly) et les poules des dents. Mais il convient de ne jamais préjuger de rien, cette dubitative circonspection frappée du coin du bon sens peut risquer de se voir contredite par les faits (au moins en Écosse, si indépendance s’ensuivait).

Lord Howe a pu estimer que la question avait brillé par son absence du discours de la reine (qui, comme chacun sait, est dicté par le 10 Downing Street). On conçoit pourtant fort bien que Cameron (David, le Prime Minister) n’ait point désiré sonner la Camerone de cet « impérialisme ». Et on imagine guère Elizabeth Regina « twitter » sur le sujet. Abandonner la livre (mesure extrême, pesant son poids) ? Et pourquoi pas les Malvinas (Malouines, Falklands) à l’Argentine ?

 

 

Dirige Deus Gressus Meos (May God Guide My Steps) qui, en l’occurrence, se doivent d’être de clerc, pour ne point le sauter trop vite.  

P.-S. – Que, pour ses euros des régions 2012, la Monnaie de Paris ait opté pour la Franco-Kabyle Édith Piaf, qui chantait Mylord, pour l’île-de-France, se conçoit fort bien, mais pour la Bretagne, c’est Surcouf… Histoire de faire encore pendant à Waterloo Station et Trafalgar Square ? Faire ce coup aux Rosbifs en prairial, an CCXX, est quelque peu farce. Par ailleurs, on notera, sur la pièce de cinq livres commémorative britannique du Jubilé, ce quasi-anachronisme « 2012 ». MMXII aurait été mieux venu, non ? 😉  

 

 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !