Dans un long développement de cinq pages, Maurent Mauduit, de Mediapart, détaille les omissions flagrantes et mensonges de Christine Lagarde devant la Cour de justice de la République. Les magistrats (trois) et parlementaires (douze) siégeant à cette juridiction disposaient de pratiquement tous les éléments pour faire en sorte que l’ex-ministre soit inculpée (mise en examen) et non pas seulement placée sous le statut de témoin assistée. Pourtant… Mais qui donc protège Christine Lagarde, et pourquoi donc ?
On en vient à se demander si le retour sur le devant de la scène publique n’est pas pain béni pour la majorité parlementaire et présidentielle actuelle. Plus fort il s’exprimera, plus dure, tardive donc à point nommé, serait la chute…
Il ne faudrait surtout pas que le siège et la petite centaine de permanents de l’UMP se retrouve trop vite logés dans des caravanes, sur un terrain réservé à cet effet, à Nice, ou improvisé à la hâte, à Neuilly ou Auteuil ou Passy ou Saint-Nom-la-Bretèche… Laisser mûrir, repousser les échéances des affaires, telle pourrait être la stratégie du PS et de la majorité. Faire durer, jusqu’à ce que le fruit, blet, tombe de lui-même.
Il est en tout cas fort surprenant que Christine Lagarde, qui s’est bien gardée de faire état d’instructions de Nicolas Sarkozy, de Claude Guéant ou de Brice Hortefeux dans l’affaire Tapie, soit ressortie de son audition devant la Cour de justice de la République dotée d’un statut de témoin assistée et non pas mise en examen comme le lampiste Stéphane Richard.
Mediapart a déjà révélé à quel point les deux autres arbitres, Bredin et Mazeaud, étaient de mèche avec Estoup, mis en examen comme Tapie et son avocat. Il est vrai que voir un ancien président du Conseil constitutionnel se retrouver en garde à vue, cela ne serait guère reluisant. Lorsque Mazeaud déclare au Monde, « après, ce qu’ont fait Lagarde, Tapie, Sarkozy et les autres, je n’en sais rien, moi… », on est tenté de lui rétorquer, « après, peut-être, mais avant ? ».
Pour Lagarde, Mediapart a « pu prendre connaissance de la totalité de l’audition » devant la Cour de justice de la République. Et ce qui a pu sauter aux yeux de Laurent Mauduit pouvait-il vraiment être ignoré par les magistrats et les parlementaires ? Beaucoup de choses étaient déjà dans le domaine public…
Le 11 juillet 2008, elle approuvait, publiquement et sans réserve aucune l’arbitrage Tapie. En évoquant des impôts qui ont été depuis allégés, et des cotisations sociales qui restent toujours à régler par Tapie. Mais c’était à l’insu de son plein gré, a-t-elle soutenu.
Le 23 juillet suivant, l’Agence des participations de l’État lui adresse une note plaidant pour l’annulation de l’arbitrage. Devant une commission parlementaire, elle admet l’avoir lu avec un grand intérêt, devant la cour, elle ne s’en souvient plus du tout. Les parlementaires siégeant étaient-ils les mêmes qui l’avaient alors entendue, leurs collègues présents leur auraient-ils tout caché ?
L’avocat d’affaires va plaider devant la cour que la note était fort complexe et qu’elle ne comprenait pas le langage et l’argumentation de son confrère. Les écrits « n’étaient pas d’une lecture très facile ». L’incompétente n’était-elle pas entourée d’experts ? Dont elle vantera par la suite la haute compétence ?
Le 28 juillet, un communiqué diffusé par tous les journaux télévisés, reproduit par toute la presse, est largement commenté. Il est signé Christine Lagarde, qui découvre comme tout le monde. Il a été rendu public avant même qu’il lui soit soumis. Le lendemain, elle ne s’en étonne aucunement. Elle est ministre des Finances potiche, l’assume pleinement.
Richard évoque un problème de conflit d’intérêts entre Estoup et Tapie ? C’est un point de détail noyé dans d’autres plus cruciaux. Un point dont à présent, il est certain qu’elle aurait dû s’y intéresser davantage, déclare-t-elle, ingénument, telle une enfant de Marie qui a obtenu la capacité d’avocate dans une pochette surprise et un ministère des Finances pour détourner la tête ou s’occuper d’autre chose.
Laurent Mauduit évoque une légèreté feinte, une désinvolture revendiquée, et des découvertes toutes ultérieures aux faits. On lui cachait tout, on ne lui disait rien, elle comptait pour du beurre, pour une groupie de Sarkozy disant amen à tout. Elle n’était pas à Bercy pour servir l’État, mais les ambitions du président.
Elle répond en touche, ou ne peut pas répondre, car tout se passait à l’insu de son plein gré. C’était la Virenque du tour ministériel. Mais alors que devant la commission des Finances de l’Assemblée nationale elle est au courant de tout, informée exhaustivement, devant la cour, elle n’est plus qu’une silhouette, une ombre dans ses propres bureaux (touchant un cachet exorbitant pour sa prestation, mais qu’importe).
Une lettre déclenchera l’arbitrage. Oui, mais son directeur de cabinet, Richard, avait une délégation permanente de signature. C’est courant, et par exemple, nombre d’attaché·e·s parlementaires imitent la signature des députés et sénateurs avec leur assentiment ; c’est plus flatteur pour l’administré d’obtenir l’autographe « authentique » pour une réponse à une question ou sollicitation dont ils ignoreront tout. « Je ne pense pas que j’aurais signé un courrier de cette nature si j’avais été mise en mesure de le relire, » estime-t-elle devant la cour. Mais de toute façon, elle était à Washington, pour l’assemblée générale du FMI, coupée de tout courriel, loin de tout téléphone ou fax. Sauf que…
Le mardi 23 octobre 2007, Christine Lagarde n’était pas à Washington, en tout cas pas avant tard dans la soirée. Le matin, elle s’exprimait sur France-Inter, jusqu’à midi elle présidait un machin-bidule (sur le pouvoir d’achat) à Bercy, ensuite, elle tenait une conférence de presse. En compagnie de Luc Chatel et de Xavier Bertrand qui, lisant la presse et cette explication fumeuse, ont éprouvé aussi des trous de mémoire : vous souvenez-vous d’avoir entendu Chatel ou Bertrand s’étonner de ce don d’ubiquité de Lagarde quand toute la presse a répercuté cette mensongère explication ?
Alors, on pourra dire, soutenir, que Richard attendait le départ de la ministre pour lui faire un enfant dans le dos. Sauf qu’il s’insurge, soutient totalement le contraire.
Devant les députés – dont combien siégeant à la cour ? – Lagarde évoque ce courrier qu’elle n’a pas signé et s’en félicite.
« Christine Lagarde signe une lettre qui engage lourdement les finances publiques et elle prétend ensuite, devant les magistrats, qu’elle n’a pas compris sur le moment la portée de ce qu’elle a elle-même signé », commente Laurent Mauduit.
Lantourne, l’avocat de Tapie, mis en examen, se défend d’avoir fourni à Lagarde des arguments. Lagarde se dit stupéfaite de découvrir – par après, soit mise devant le fait accompli – et considère totalement « inconcevable » que Lantourne ait pu soumettre la marche à suivre à l’un des collaborateurs de Lagarde au ministère. Ben, voyons… On lui a tout caché, rien dit, mais une telle note n’aurait pu exister ?
C’est très simple, limpide. Soit elle était au parfum, et assume, et dit pourquoi elle a couvert, et sur instructions de qui. Soit elle n’était qu’une silhouette copieusement rétribuée, et on ne voit pas pourquoi elle devrait toucher une retraite de ministre.
Un commentateur évoque « l’hagarde ». Un autre « la gourde ». Mais à quel point ? D’autres affaires remontent à la surface. Notamment celle du compagnon de Christine Lagarde, Xavier Giocanti, pour des détournements ou mésusages de subventions européennes pas vraiment clairs.
Maintenant, il faut creuser. Quel était l’intérêt de Stéphane Richard ? L’intérêt de Lagarde ? Ceux des autres protagonistes ? Pour Tapie, on sait, on voit très bien. Pour les autres ?
Et pourquoi donc tergiverse-t-on autant ? Qui protège qui et pourquoi ? L’explication politicienne est une chose : tout faire pour retarder, et faire éclater à proximité de l’échéance. L’autre explication, pure hypothèse, est plus complexe. Lagarde est au FMI, elle a une épée de Damoclès judiciaire sur sa tête, elle peut servir à autre chose, et se faire dicter ses dires.
Mais la seconde hypothèse tient peu : potiche au ministère français des Finances, est-elle vraiment autre chose au FMI ? Soit une perruche débitant ce que d’autres lui dictent.
Jean-Luc Mélenchon, dans L’Humanité, est revenu sur le rôle de Lagarde dans l’affaire Jérôme Kerviel. « Cette affaire illustre à nouveau la collusion entre les financiers voyous et le gouvernement UMP qui a couvert à l’époque les méfaits de la Société générale par l’intermédiaire de Christine Lagarde, en faisant payer le contribuable pour des pertes dont le montant et l’origine restent obscurs. ». On en pensera ce qu’on voudra et Kerviel reste un « rogue trader », quoi qu’il puisse dire, puisse alléguer. Poussé à faire ce qu’on attendait de lui, soit, complaisant et enthousiaste pour endosser le rôle, c’est difficilement réfutable.
Mais le chantre du Front de gauche dénonce à présent « le parti de l’argent qui lie PS, UMP et FN dans le même système oligarchique ». Le cas Lagarde fait figure de pierre de touche.
Continuer de la préserver, c’est prendre un risque. Celui d’une abstention grimpante, celui de voir l’exaspération montante se transformer en rage ou, pire, en totale résignation, sapant la volonté d’agir, de réagir, et ne laissant pour alternative que le clientélisme ou l’exil.
Je terminerai par une petite exergue à l’intention de mes confrères roumains qui se plaignent tant de la corruption dans leur pays. Ils vont assister sans doute, le 15 ou le 16 prochain, à une prestation de Christine Lagarde. Vous m’excuserez d’écrire « pour Google » en mentionnant Adrian Vasilescu, et la BCR (banque centrale roumaine), ou Mugur Isarescu. Posez-lui donc une question sur « scandalul Tapie » et son statut de « martor asistat ». Pour voir. Et alors qu’elle incite l’Europe a serrer les boulons de ses banques, remémorez-lui l’affaire Kerviel, et ses incidences sur le groupe Société générale, représentée chez vous par sa filiale, la BRD. Posez-lui ensuite la question : où ira vraiment l’argent du FMI ? Sa réponse n’intéressera pas que les Roumaines ou les Français…
Finissons par cette citation de 1984, d’Orwell : « On pouvait leur faire accepter les violations les plus flagrantes de la réalité parce qu’ils ne saisissaient jamais entièrement l’énormité de ce qui leur était demandé et n’étaient pas suffisamment intéressés par les événements publics pour remarquer ce qui se passait. »
Le procureur général tchèque Ivo Ištvan a demandé la levée de l’immunité parlementaire du Premier ministre démissionnaire Petr Nečas. Il avait offert trois prébendes dans des entreprises publiques à autant de députés pour qu’ils se montrent complaisants.
Question : Lagarde a-t-elle joui d’un emploi de complaisance en France et à Washington ?