Affaire Merah : c’est cela l’islam (…) je te tue

Ce n’est certainement pas un hasard si, ce vendredi, jour de culte musulman, alors que la guerre est instaurée au Mali, les dernières paroles de Mohamed Merah adressée au parachutiste Imad Ib Ziaten sont rendues publiques. Phrase essentielle : « c’est cela l’islam, mon frère : tu tues mes frères, moi je te tue ». Ce n’est pas faire injure à Latifa Ibn Ziaten, mère de la victime, que de réfuter sa conviction cela laquelle « l’islam, ce n’est pas cela ! ». Tout simplement, elle et Merah et d’autres ne se réclament pas du même islam. Mohamed Merah ne se concevait sans doute nullement « terroriste », mais bien combattant.

La divulgation « prématurée » ou « tardive », c’est selon (tout comme il en est dit de l’intervention armée au Mali), des dernières paroles de Mohamed Merah et de sa victime, le parachutiste Imad Ibn Ziaten, ne participe sans doute pas d’une propagande anti-mahométane mais de celle visant à la criminalisation de l’adversaire dans le nord malien et au Sahel. 

Mohamed Merah veut un scooter pour se livrer à des exécutions. Imad Ibn Ziaten veut vendre le sien.
C’est le 11 mars 2012 : Merah sort son arme, intime à son interlocuteur de se mettre à plat ventre, ce dernier refuse, Merah tire et s’exclame « Au nom d’Allah ! ».
Il part, revient rechercher une douille et lance à la dépouille de sa victime : « C’est ça l’islam, mon frère : tu tues mes frères, moi je te tue ».

« Ça », en dépit de la respectable dénégation de Madame Ibn Ziaten (« l’islam, ce n’est pas cela ! »), est bel et bien un fait religieux qui n’est d’ailleurs pas propre au seul islam.

Mais on peut se demander si Merah, s’estimant en « terre d’Islam », ne s’est pas autorisé à appliquer la charia. Finalement, tout territoire ayant été islamisé (cas du sud de la France) n’est-il pas terre musulmane jusqu’à la fin des temps, et n’est-il pas licite d’éliminer tout opposant à l’expansion de l’islam ? C’est une conception ancienne, mais que d’aucuns considèrent toujours valide.

Vieux comme le monde ?

Des chefs de guerre divers se convertissent au christianisme et voient le parti qu’ils peuvent en tirer. Des Arabes de la péninsule, puis d’autres, se convertissent à l’islam et voient quelles conquêtes ou avantages ils peuvent en retirer. Par la suite, deux types de religions se stratifient : celle arrangeant la hiérarchie (religieuse, dominante, possédante), celle destinée aux populations.

Les islamistes radicaux ou djihadistes ne font que reproduire le processus. Auraient-ils pu devenir émirs d’une zone très riche en ressources qu’ils auraient peut-être fait comme leurs prédécesseurs. Qu’ils se nomment Clovis ou Abou Bakr, premier calife, et leurs descendants, est secondaire : soit ils se contentent de leurs nouvelles richesses et statuts, soit ils poursuivent leurs conquêtes.

Avec quelques nuances, ou degrés d’instrumentalisation du fait religieux, il en est strictement de même à présent, à cela près que laïcité occidentale et christianisme, judaïsme et laïcité israélienne, se confondent en un idéal démocratique d’inspiration religieuse, tandis qu’islam et charia (autre forme de démocratie interprétée différemment) « font » de même : on les modèle ainsi.

Selon les ambitions des uns ou des autres, ces couples idéologico-religieux sont modelés en fonction des intérêts ou visées du moment. Selon les aspirations des peuples (à la paix, la prospérité, la quête spirituelle, &c.), il en est de même. Les clergés se scindent ou non. C’est l’islam des Frères musulmans ou une version encore plus islamiste et radicale, ou la théologie de la libération, d’autres variantes.

C’est l’orthodoxie roumaine ou russe ou l’islam prédominant en Tunisie. Notons que le pouvoir tunisien, après avoir condamné l’intervention française au Mali, a fait volte-face pour dénoncer « tout type de menace émanant des groupes terroristes armés ». Mais non point « islamistes armés ».

Merah se sentait chez lui

Les éléments de langage français arrangent un peu tout le monde (et dérangent aussi). Pour un peu, l’adversaire ne serait même plus musulman. Jeter l’anathème est caractéristique des clergés liés aux pouvoirs en place. Sauf que, selon les types d’islam et les sociétés (kurde chiite alevi, par exemple, soufie libyenne, salafiste, &c.) les modes d’excommunication diffèrent des modes chrétiens.

L’alevisme s’accommode d’ailleurs fort bien de nationalismes antagonistes (turc, kurde), des théologies locales de libération (kurdes et turques gauchisantes) ou de leur contraire (traditionalistes turquistes, alaouites syriens).

Le fait qu’un musulman ne peut adjurer sa foi fait qu’un parachutiste musulman français est vu tel un nervi des croisés, un musulman égaré, et vice-versa : il n’est pas dit que Mohamed Merah n’était plus musulman.

Il faut donc que Merah soit un criminel terroriste. Tout comme les commandos d’In Anemas islamistes et ceux, musulmans des forces spéciales algériennes, le sont ou ne le sont pas, selon les perspectives adoptées : pour les preneurs d’otages qui ne s’en étaient pris qu’à des « croisés » (Japonais inclus, car rapidement assimilés tels), les criminels terroristes sont ceux d’en face.

Pour Manuel Valls et tous les membres du gouvernement français, la diplomatie française, les forces armées, jusqu’au peut-être moindre employé de préfecture, les Algériens ont été frappés par des criminels terroristes, pas par des islamistes radicaux.
Les Algériens ont eux, la possibilité de déclarer officiellement que « les islamistes (…) voulaient quitter l’Algérie en emportant les otages étrangers ». On ne sait trop si Alger y aurait consenti, au risque de devoir subir des pressions diplomatiques étrangères pour que des islamistes emprisonnés en Algérie soient libérés, en fonction des conditions qui leur étaient posées.
Il est notable que le commando djihadiste voulait se réfugier en Libye ou… en Tunisie. Pour s’y évaporer ? Ou y trouver refuge ? Soit bénéficier d’une hospitalité à laquelle le vacillant pouvoir central ne pouvait, de facto, s’opposer ?

Partout chez eux

Les Britanniques sont mis devant le fait accompli. L’un des membres du commando avait sans doute des liens étroits avec des islamistes britanniques et surtout, la production de BP dans toute l’Algérie est au point mort (la compagnie évacue toutes ses installations). Le commando ne visait que « les chrétiens et les infidèles » est-il rapporté dans la presse britannique. Les termes employés sont bien sûr terrorists mais aussi djihadists et islamists radicals, en tout cas dans la presse populaire.

En fait, les terroristes et leurs soutiens sont un peu partout. Mokhtar Benmokhtar (ou Moktar Belmoktar) était surnommé Mister Marlboro sans qu’on s’inquiète trop de savoir comment et par qui, directement ou indirectement, il était approvisionné. C’était peut-être, après tout, un « partenaire commercial » aux yeux de certains, peut-être de très bons chrétiens. De ceux qui, quand cela les arrange, considèrent que les soldats de la « Fille aînée de l’église » ont tous un drapeau blanc dans leur paquetage et qui se refusent peut-être encore à manger des French fries (au profit de Liberty fries). 

Les Britanniques commencent à éprouver un réel problème intérieur. Les « milices musulmanes » ont commencé à patrouiller dans certains secteurs : ils s’en prennent à ceux qui boivent de l’alcool et aux femmes, « animaux nus » déambulant, « dévergondées ». Les affiches publicitaires vantant des sous-vêtements féminins sont arrachées. Cela aussi, c’est l’islam. Ils agissent dans les « enclaves musulmanes », leurs « territoires musulmans ». La Muslim Patrol veille. « Qui désobéit à dieu ne mérite pas le respect ». Air connu, tant en chrétienté (catholique, orthodoxe, protestante) qu’ailleurs, notamment en Israël et bien sûr dans les pays musulmans. Là, toute proximité d’une mosquée transforme un quartier en Shariah Zone.

Bien sûr, la Ramadhan Foundation a déploré ces agissements. Le Muslim Council of Britain a condamné.
Mais en fait, Merah a juste poussé la logique un peu plus loin, tout comme les djihadistes au nord du Mali, qui ne procédaient pas autrement. D’abord, faire rentrer dans le rang, et sinon, éliminer. Ensuite, s’enrichir et prospérer…

Ce n’est certes pas l’islam de Madame Latifa Ibn Ziaten, dont acte. Tout comme Génération Identitaire n’incarne pas le christianisme en France. On pourra peut-être compter sur eux pour profiter de la situation au Mali et envenimer les relations entre musulmans et autres.

En Tunisie aussi

Marine Le Pen s’est exprimée : « Je condamne fermement le refus par le président de la République, François Hollande, avec ordre donné au gouvernement ne ne pas parler d’islamistes. Il se contente de parler de terroristes. ».  Bien des décisions condamnables peuvent avoir des effets bénéfices, et inversement, des décisions fort justes entraîner des effets pervers.
Si le gouvernement tunisien en était resté à ses premières déclarations, elles auraient pu être interprétées intérieurement par certains cercles islamistes comme une incitation à s’en prendre à des symboles français. Cela aurait été peut-être plus clair, donnant du grain à moudre au FN, mais on notera surtout que les autorités tunisiennes ont renforcé la sécurité autour de l’ambassade et des locaux diplomatiques en Tunisie. En contrepartie, la France a fait dont d’armes défensives, de gilets pare-balles, de radios sans fil, &c., à la Tunisie.

À Regueb (gouvernorat de Sidi Bouzid), le drapeau tunisien a été supplanté par les étendards noirs dont ceux Hizb-ut-tahrir (mouvement issu des Frères musulmans). L’opposition « dénonce l’inertie des autorités locales ». À Médenine, sur la route de Gabès, hier, a été découvert un dépôt d’armes (« de quoi remplir quatre camions de police », selon des témoins s’exprimant dans la presse). Outre les munitions et armes légères, il y avait des missiles RPG, des explosifs.

Le très policé et propre sur lui Abderraouf Ayadi, du Wafa tunisien, critique le projet de constitution qui serait « empreint de colonialisme » et révélant les visées d’une « élite occidentalisée, anciennement complice de l’oppression, et qui devrait aujourd’hui se remettre en question ». Sa conclusion : « il faut arrêter d’être complexé par le jihad ». C’était surtout Israël qui était ainsi visé, mais on ne voit pas trop ce qui distingue ce député des milices musulmanes britanniques.

Un commentateur de Business News (.tn) estime : « Les salafistes empêchent les gens de travailler à Sidi Bouzid (…) des gens terrifiés préfèrent obéir aux salafistes car ils savent que le gouvernement ne fera rien pour les protéger. ». On ne sait aussi si le détenu qui s’est immolé hier par le feu à la prison de la Mornaguia était un salafiste réclamant la grâce pour lui et ses codétenus salafistes ou un simple droit commun.
Marine Le Pen a partiellement raison, tout comme au Royaume-Uni, certains prémisses sont présents aussi en France. Mais si Paris valait une messe, Tunis vaut peut-être, jusqu’à nouvel ordre, des éléments de langage.

De plus, qu’on le veuille ou non, la diffusion des paroles de Merah et de la mère de sa victime vaut message aux diverses communautés musulmanes de France. Dont partie de la tunisienne qui avait voté majoritairement pour Ennahdah. Parfois, avoir deux fers au feu, parfois contreproductif.

Quant à mesurer toutes les conséquences, comme dans l’intervention militaire au Mali, qui en est capable ? Surtout à l’avance. Les conseillers militaires du FN ? Son officieux officier de liaison avec les Armées ?

Pas de conclusion hâtive

Kapitalis estime que « les salafistes sont toujours en tête des sondages » en Tunisie. Selon l’agence espagnole Efe, des gardes-frontières libyens ont assuré que deux véhicules venus d’Algérie (entendez, du site gazier) « ont pénétré en territoire tunisien ». Un choix qui n’est peut-être pas que de circonstance (la voie de la Libye étant possiblement bloquée). Adnan Manser, pour le gouvernement tunisien, a démenti. Que ce soit vrai ou faux, pouvait-il faire autrement ? Il avait été aussi démenti, fin août, que des touristes auraient fui la Tunisie après s’être heurtés à des salafistes (en zones sous contrôle de la charia ?).

En choisissant ses éléments de langage, le gouvernement français savait sans doute qu’il serait critiqué. Il a choisi ses critiques, en France, et à l’étranger. En laissant diffuser les propos de Mohamed Merah, ec qui peut être critiquable, comme tout choix. Gardons-nous peut-être d’en tirer des conclusions définitives trop à l’avance…

 

 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

Une réflexion sur « Affaire Merah : c’est cela l’islam (…) je te tue »

  1. Bien cet article!Mais à mon avis encore en dessous de la vérité, les Sicambres étaient des centaines, « la poignée » de fanatiques musulmans sont aujourd’hui des millions ……

    Bref nous sommes en train d’évoquer un cancer alimenté par le pétrole saoudien depuis ………combien d’années……?

    Le problème doit-être traité à la racine….

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