Affaire Kerviel-SocGen : spéculations en librairie

Alors que va bientôt, le 4 juin, s’ouvrir l’audience d’appel de Jérôme Kerviel, condamné en octobre 2010 à trois ans de prison (plus deux avec sursis) assortis d’une amende de 4,9 milliards d’euros au profit de la Société générale, deux livres sortent aux éditions Eyrolles. Ils en précèdent sans doute d’autres, tant la question de l’épuration des pratiques financières se pose encore avec acuité.

Après Jérôme Kerviel… Bruno Michel Iksil, cette fois de l’agence JP Morgan Chase de Londres. Surnommé « la Baleine », Iksil aurait fait passer dans ses évents environ deux milliards (ou trois ou quatre, la perte est « évolutive ») de dollars disparus dans l’océan des marchés.

JP Morgan Chase a pris des sanctions, visant la supérieure d’Iksil, et peine à faire valoir que, comme l’a déclaré son Pdg, Jamie Dimon, la banque n’est pas « une activité dans laquelle on ne fait pas d’erreurs. ». Une opinion certes emprunte « d’humanité », qu’on peut transposer à, par exemple, la sécurité nucléaire, et d’autres domaines. Ce fatalisme a bon dos quand il implique des conséquences désastreuses pour des milliers, voire millions, de lampistes.

Mais tout passe, et avec une bonne stratégie de com’, cela repart. Patricia Chapelotte, conseil en stratégie de communication de crise, livre donc ses recettes dans un De Kerviel à Clearstream, l’art de communiquer lors des grands procès, à paraître fin mai chez Eyrolles.

Quelques têtes de chapitre : « temps judiciaire versus temps médiatique », « l’art de violer les secrets » ; « veiller, protéger, influencer ».

On l’a bien vu avec l’affaire Clearstream, le veilleur et porteur d’alerte que fut le journaliste Denis Robert fut lâché par une large partie de ses confrères et au final, s’il n’a pu être tout à fait éreinté, Clearstream Banking fonctionne comme à l’accoutumée.

On pourrait donc s’attendre à ce que le cabinet Chapelotte conseille à un autre, d’avocats, d’intenter une action contre Olivia Dufour et son éditeur, le même Eyrolles… Cette journaliste économique, qui fut aussi avocate, publie Un Mythe nommé Kerviel, sous-titré « enquête sur un séisme financier : une catastrophe qui peut se reproduire n’importe où, n’importe quand. ».

Qu’il y ait ou non matière, pour la Société générale, à poursuivre cette auteure et cet éditeur importe peu : le temps judiciaire n’est pas le temps médiatique, et vice-versa. Tout est question d’appréciation et d’agenda, d’effets d’annonces judicieusement ménagés.

Olivia Dufour, journaliste pour Option finance et d’autres titres, connaît bien les acteurs et les mécanismes comptables et autres du secteur financier. Elle s’est refusée à faire entrer ses lecteurs dans les méandres des techniques diverses, privilégiant l’approche humaine. Celle de Jérôme Kerviel, rencontré par hasard fin juin 2010. Celle de ceux qui sont parvenus à en faire un condamné.

Mais elle pose des questions simples : « comment croire qu’une banque n’a pas vu qu’un de ses traders investissait 50 milliards ? Cette même banque qui réagit au plus petit découvert d’un particulier ? Et Jérôme Kerviel ? Etait-il vraiment le génie de la fraude qu’on nous décrivait ? ».

Pour s’être « approchée un peu trop près du cœur du volcan », elle a pu comprendre ce qu’avait pu éprouver Denis Robert, et elle propose à sa suite de « comprendre le système pour le corriger. ».

L’ennui est bien sûr que ce système n’a absolument pas la moindre envie de s’amender et que toute tentative se heurte à d’intenses manœuvres de lobbying et de « communication ».

Au final, les lanceurs d’alertes peuvent espérer finir par s’en tirer, mais tout reste pour le meilleur des uns dans le pire des mondes des autres… Indéfiniment, peut-être pas. Mais le jeu est inégal.

La parution simultanée de ces deux ouvrages n’est pas tout à fait qu’anecdotique. On pourrait souhaiter d’ailleurs que les deux auteures puissent se confronter.
Sur la question des abus de droits… ou de pratiques, par exemple.

Pour l’instant, on peut prendre des paris. Que ressortira-t-il de ce procès d’appel ?
Il est certes possible que Kerviel n’en crève pas, mais gageons sans risque que le serpent s’en sortira…

 

Rappelons que la SocGen a porté plainte, contre Kerviel, pour dénonciation calomnieuse alors que l’intéressé venait d’en déposer une autre pour faux et usage de faux.

 

L’affaire Kerviel n’est pas du tout « exceptionnelle ».

Outre son cas, et celui d’Iksil, d’autres, chez Sumimoto Corp. (Yasuo Hamanaka), Barings Bank (Nick Leeson), UBS (Kweku Adoboli) ont fini par faire surface. De même, le rôle de Fabrice Tourre, chez Goldman Sachs, a fini par attirer l’attention.
Pour combien d’autres étouffés ?

Un mécanisme « normal »

 

Le scandale n’est pas tant que deux, trois, quatre, cinq millions de dollars ou d’euros s’évaporent, mais qu’en fait ils ne représentent qu’une fraction de ce que les banques peuvent gagner en un ou deux trimestres. Ina Drew, qui supervisait Iksil, reste une technicienne respectée, qui passe pour un bouc émissaire (écarté et non sacrifié).
De plus, au lieu de claquer ses plus que confortables revenus en magnums de champagne ou fêtes démesurées, elle préférait faire des donations à des institutions médicales. L’ennui, c’est que tout ce qu’elle a pu apporter à ses employeurs (et dans une moindre mesure à elle-même) est bien provenu de quelque part et que ces profits se sont retrouvés prélevés sur des producteurs ou des consommateurs, éventuellement (surtout sans doute) sur des intermédiaires, au passage.

L’ennui, c’est que si l’économie générale progresse, une partie de la croissance alimente les banques mais que, dans le cas contraire, si elle stagne ou régresse, les mécanismes permettent aussi aux banques de s’enrichir. Les dérivés sont des actifs dépendant d’autres actifs qui eux-mêmes dépendent d’autres produits et ainsi de suite. Ils sont supposés améliorer la liquidité des marchés. Mais, comme l’indiquait Adair Truner, « si ces produits soutiennent la croissance économique, montrez-moi donc les usines qu’elles ont servi à financer. ».

Un département d’une banque joue la croissance, un autre joue la stagnation, un troisième la récession. En haut de l’échelle, « on » est censé arbitrer. Jamie Dimon était considéré être l’un des meilleurs banquiers performants au monde. Les transactions informatiques, du fait des énormes masses de liquidités qu’elles traitent en une fraction de seconde, ne font qu’amplifier un phénomène. Mais elles n’en sont aucunement la cause première. L’essentiel réside dans le fait que tant le malheur que le bonheur des peuples doit générer du profit.

 

Reste aux conseillers en communication de tenter de nous persuader plus durablement du contraire et que tout est bien dans le meilleur des mondes… 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

4 réflexions sur « Affaire Kerviel-SocGen : spéculations en librairie »

  1. On trouvera le sommaire de l’ouvrage d’Olivia Dufour sur le site [i]Cristal Banque[/i].
    [i]http://www.cristal-banque.com/kerviel-enquete-sur-un-seisme-financier-ed-eyrolles/27698079[/i]
    On notera qu’en 2012, en France, le nombre des établissements bancaires, de leurs succursales et agences s’élevait, selon Infostat Marketing, à 43 464, marquant une croissance de près de 3%.

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