Les choses s’enveniment entre Bercy et Mediapart. Dans un article que le site qualifie d’opération de communication, le Journal du dimanche fait état de sources ministérielles blanchissant totalement Jérôme Cahuzac et Bernard Squarcini, ex-patron de la DCRI, évoque sans apporter de précision « un montage de type Clearstream ». Soit comme dans l’affaire des faux listings, des « preuves » totalement fabriquées pour intoxiquer Mediapart. Lequel persiste et resigne une nouvelle fois mais n’annonce pas de nouveaux éléments dans les jours à venir.
« Mediapart maintient l’intégralité des informations jusqu’alors publiées. Oui, M. Cahuzac a eu un compte caché à l’UBS Genève, comme il en atteste lui-même dans un enregistrement que nous avons mis en ligne. Ce compte a été fermé lors d’un déplacement de M. Cahuzac à Genève début 2010 et tout ou partie des avoirs transférés à Singapour. Mais surtout, le ministre du budget et maintenant le ministre de l’économie Pierre Moscovici rendent la situation insupportable pour le gouvernement comme pour l’opinion. ».
Très incriminante accusation
Pour François Bonnet, de Mediapart, l’opération Bercy-Journal du dimanche consiste à faire dire aux autorités suisses, censées « blanchir » Jérôme Cahuzac du soupçon d’avoir détenu un compte à l’étranger, de quoi ébranler les sachants : « S’agit-il de les impressionner, c’est-à-dire de faire pression pour qu’ils n’aillent pas jusqu’au bout des révélations qu’ils sont susceptibles de faire aux policiers ? ».
L’accusation est grave, très grave.
En effet, les formes conditionnelles et interrogatives n’épargnent pas les poursuites en diffamation.
Si les services de Bercy qui se sont confiés au JDD ont été couverts par le ministre, Pierre Moscovici, ce dernier voit sa responsabilité ainsi directement engagée.
Pour Mediapart, il y a la tentative d’infléchir le cours d’une enquête policière et de la justice. On attend donc la réponse ministérielle à la suite de cette terrible mise en cause.
Laurent Valdiguié, du Journal du dimanche, titre son article « Les Suisses blanchissent Cahuzac » et soulève l’hypothèse que l’affaire résulterait d’une manipulation. Il fait état de l’entourage du ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, qui aurait déclaré que J. Cahuzac ne détenait aucun compte en Suisse, ni en nom propre, ni en sous-main, ni via un prête-nom.
Plainte de Michel Gonelle
La requête adressée aux autorités suisses mentionne deux périodes : les années 2006 à 2009 et celle des années 2010 à 2012. Donc, en fait, de début 2006 à fin 2012. La réponse serait formelle : non, aucun compte chez UBS. Le JDD estime aussi que les redressements fiscaux visant le ministre – qui seraient donc de fait confirmés par « l’entourage » de Pierre Moscovici – découleraient non pas d’une action de l’ancien inspecteur Rémy Garnier ou des faits révélés par Mediapart, mais de dénonciations de Patricia Cahuzac. À Bercy, on évoquerait un complot réunissant Rémy Garnier, Patricia Cahuzac, et Michel Gonelle, ancien bâtonnier, ancien élu, chevalier de la Légion d’honneur, &c., qui aurait peut-être été poussé jusqu’à cambrioler l’appartement du ministre et embarquer notamment des montres de collection de grande valeur n’ayant pas été déclarés au fisc.
On voit bien l’intérêt de Patricia Cahuzac de rentrer dans des sommes qui auraient pu être placées à l’étranger, s’il en était, mais se retrouver possiblement inculpée de recel et complicité de cambriolage (surtout si nocturne, en groupe, par escalade…) l’exposerait à se retrouver devant un jury d’assises. Or, finalement, c’est ce que le JDD laisse entendre.
Manuel Valls aurait demandé à la DCRI de lui dire si des enquêtes avaient été menées « sur de possibles comptes suisses de personnalités politiques françaises ». Tiens, pourquoi seulement en Suisse ? Parce que, en lisant Laurent Valdiguié, on comprend que les services auraient reçu des éléments, des dénonciations, pointant sur la seule Suisse, éléments qui ont semblé « provenir d’un montage ». Bernard Squarcini, ex-patron de la DCRI le qualifie de « montage de type Clearstream ».
Là, on ne comprend plus : pourquoi deux poids, deux mesures ? Le montage Clearstream finit dans la presse, mobilise de longs mois police et justice, et ce deuxième montage est enterré ? Ou alors, les documents auraient des faux trop grossiers et les dénonciations rigoureusement anonymes ? Pourquoi stopper un début d’enquête ? Pourquoi n’y avait-il aucun intérêt à tenter de remonter aux sources ?
Pour Mediapart, tout cela c’est un rideau de fumée monté par Stéphane Fouks et Marion Bougeard, d’EuroRSCG… Jusque là, soit. Mais le site d’Edwy Plenel s’en prend aussi directement au ministre de l’Économie qui n’a pas attendu que l’aide judiciaire soit demandée au parquet suisse. Ce qui peut constituer un conflit d’intérêts, selon Mediapart. Le document suisse devrait être rendu public puisque l’entourage du ministre s’autorise à en faire état via la presse. S’agissait-il de faire en sorte que la justice se dispense d’une démarche devenue superflue ? « Bercy court-circuite l’enquête judiciaire en cours ».
De deux choses l’une : soit l’entourage du ministre (lequel ?) de l’Économie s’est bien directement confié au JDD. C’est bien le cas : des phrases sont citées entre guillemets par trois fois. Mais si l’emploi des guillemets est abusif (car il s’agirait de témoignages de seconde main : du genre Untel m’a déclaré textuellement…), Mediapart n’aurait dû mettre en cause que « la communication de M. Cahuzac ».
François Bonnet « pense transmettre l’analyse de l’équipe [de Mediapart] même si des mots ou des expressions peuvent évidemment différer ». Il fait état de « bien d’autres témoins et sources dont Mediapart protège aujourd’hui l’anonymat ». Pour mémoire, outre les noms connus à présent de tous, il y a le fameux Marc D., présenté tel un ancien d’UBS Genève relocalisé en Asie.
Les médias embarrassés
Antoine Perraud dresse un parallèle entre J. Cahuzac et Maurice Rouvier (†1911), homme politique éclaboussé par le scandale de Panama qui parvint à se faire blanchir à tort. Et il cite Jaurès : « C’est le procès de l’ordre social finissant qui est commencé, et nous sommes ici pour y substituer un ordre social plus juste. ».
Notons que Le Monde a repris l’information sous le titre « La Suisse blanchirait Cahuzac, mais Mediapart maintient ses informations » à partir d’une dépêche AFP qui ne comportait pas de conditionnel. À la suite de la parution du JDD, l’AFP a contacté aussi l’entourage ministériel qui n’aurait pas souhaité réagir. Donc, pas de confirmation de l’exactitude des phrases (ou même de leur teneur) rapportées par le JDD.
Pour sa part, Michel Gonelle portera plainte contre le JDD, lequel, estime-t-il, a porté atteinte à son honneur. Il a confié à L’Express : « quant à Patricia Cahuzac, cela fait au moins dix ans que je ne l’ai pas vue et je ne suis absolument pas en contact avec elle ». Reste à savoir ce que Rémy Garnier, et Patricia Cahuzac, vont faire.
Le Temps (.ch) est très circonspect et n’exclut pas que Mediapart puisse avoir raison. Peut-être est-ce en raison de la teneur du document suisse transmis à la France. La Suisse n’est tenue de répondre que pour des comptes ouverts ou fermés depuis 2006. Mais elle ne peut que reproduire les déclarations d’UBS qui n’a pas à communiquer la teneur ; la banque peut simplement dire que, pour la période 2006 à fin 2012, aucun compte n’a été ouvert ou fermé (après tout, un compte transféré dans une filiale asiatique est-il vraiment « fermé » ?) au nom de Cahuzac et que, pour les comptes numérotés, elle ne connaît pas l’identité des mandats. Dans ce cas, on ne voit pas en quoi la publication du document contreviendrait au principe du secret fiscal puisqu’aucun secret ne serait dévoilé…
On se souvient qu’UBS est en délicatesse avec la justice française. Et comment les autorités suisses pourraient-elles affirmer que les déclarations d’UBS sont rigoureusement exactes ?
Pschitt, ou Skip mousse peu pour laver mieux ?
Comme l’estime Paris-Match, l’affaire peut faire pschitt… Sans pour autant que Mediapart, même s’il était condamné en diffamation (puisqu’on ne juge pas le fond en la matière) soit désavoué. L’enquête judiciaire sur le fond peut s’enliser… Car, selon la jurisprudence européenne, des indices et éléments concordants ne suffisent pas à constituer une preuve matérielle, et un enregistrement, un déplacement en Suisse non justifié par un ordre de mission (on attend toujours que la questure de l’Assemblée dise ce qui justifiait le déplacement de J. Cahuzac en Suisse), &c., ne sont que des éléments.
Thierry de Cabarrus, journaliste honoraire (retraité), sur Le Plus, déplore « l’absence, dans la plupart des médias, de véritables contre-enquêtes ». Restons sérieux, Cher Confrère, J. Cahuzac ne va rien dire de plus qu’il ait pu dire, Mediapart ne va pas donner le nom de Marc D. L’épouse et la compagne de Jérôme Cahuzac se taisent (enfin, pour le moment). Mais vous avez raison : la prudence des médias ne s’explique pas que par le manque de moyens mais du fait que « le solide réseau d’amitiés » du ministre risquait de se mettre nombre d’informateurs à dos. Or, il n’y a pas que l’affaire Cahuzac en cours. La vérité viendra peut-être – ou pas – de la presse suisse ou d’un indépendant au carnet d’adresses bien fourni.
En revanche, il n’aurait pas été mal venu d’enquêter sur les implants capillaires et ce qu’ils peuvent rapporter. Hors charge, à raison de trois patients/jours, ce serait de l’ordre de 30 000 euros quotidiens pour une clinique avec deux/trois personnes. Soit 600 000 euros du mois. Eh oui, lu sur un site : entre 5 500 et 7 500 euros pour 1 500 greffons, et on pratique des interventions jusqu’à 4 000 greffons d’un ou deux cheveux. Le prix de la séance peut atteindre 3 000 euros pour deux heures ; au moins 10 000 euros la journée pour un seul implanteur. Pas de prise en charge par la sécu, pas de mutuelle…
Cela permet-il d’amasser les 10 millions d’euros, seuil considéré par UBS convenable pour ouvrir un compte numéroté ?
On se demande pourquoi J. Cahuzac a voulu se lancer en politique. Pour l’exposition médiatique et l’aura que cela produit sur la gent féminine ? Pour d’autres avantages induits ? Pour favoriser une politique de gauche alors qu’il ne croit pas à la lutte des classes, selon ses propres déclarations.
Un risque démesuré ?
François Bonnet a insisté dans des déclarations ultérieures : « La lecture que je fais de tout ça, c’est d’organiser une pression indirecte sur les témoins qui vont être entendus dans le cadre de l’enquête préliminaire pour leur dire “vous devez écraser ce que vous savez” ».
À l’époque d’Émile Zola, la diffamation d’un fonctionnaire relevait des assises. Zola sera condamné au maximum et devra s’exiler à Londres. « J’accuse (…) d’acquitter sciemment un coupable ».
Eh bien, finalement, nous en sommes là. Ou alors, qu’on me démontre le contraire. C’est tout l’appareil d’État qui est accusé. Lequel, pour ne pas avoir à affronter une équipe de journalistes, semble préférer la faire passer pour des manipulés, désinformés. Ou aurais-je mal lu, mal suivi cette affaire ? Cherchez bien, les précédents sont rares…
En d’autres temps, cela aurait suffi soit à envoyer aux galères, soit à faire tomber un gouvernement. La question qui nous est posée est la suivante : avons-nous été si anesthésiés que nous admettions désormais tout des « puissants », qu’il s’agisse des possédants, des politiques ou des médias ?
Si cela fait pschitt, c’est peut-être ce qu’il restera de l’affaire Cahuzac. Une formidable défaite des consciences.
Bonjour Jef,
Merci pour ce qui semble être le début de l’épilogue pour cette affaire mais aussi peut être le début d’une longue traversée du désert pour Médiapart
Bonjour,
Je me suis parfois interrogée sur l’AFP, et sur la manière dont sont rédigés ses dépêches.Voir celles-ci reprises abondamment par des journaux ou autres sans moyens d’investigation sur le terrain et autres ne favorise-t-il pas une influence « influençable » ?
Avez-vous des articles ou infos sur le sujet ? Merci
Pour Cahuzac, l’une des raisons de sa présence à ce poste me semble provenir du fait que le monde des médecins libéraux est présent et actif dans la course au pouvoir politique.
Le temps des « médecins de campagne » est loin. Pour [b]certains[/b] aspirants au métier, il s’agit plus de manager leur carrière que de diminuer la souffrance d’autrui.
On peut se référer à certains ouvrages de [url]http://fr.wikipedia.org/wiki/Martin_Winckler[/url] pour connaitre -un peu- les coulisses de ce monde depuis quelques décennies.
Faudrait-il encore que nous buvions l’imbuvable ?
Assez de ces manipulateurs infects qui squattent le gouvernement… et le PS…
Madiapart leur a fait exploser une bombe démontrant leurs insipides magouillages, et ce ne sont que des communiqués du gouvernement, tous d’origine ministérielle, sans rien qui puisse étayer leur teneur, que la presse s’empresse de publier à l’infini pour sauver le soldat Cahuzac pris en flagrant délit de fraude…
Le PS était beaucoup plus glorieux quand il a monté, de toute pièce, l’affaire Cleastream… mais pas vu pas pris…
[b]PARIS (Reuters) – Le maximum pour les paiements en espèces pour les résidents fiscaux en France sera abaissé de 3.000 à 1.000 euros d’ici fin 2013, a indiqué lundi le gouvernement au terme d’un comité national de lutte contre la fraude fiscale et sociale.[/b]
« Une consultation va être engagée très rapidement afin qu’un décret et des mesures législatives soient prises d’ici fin 2013 pour abaisser le seuil de paiement en espèces à 1.000 euros », indique un document distribué par les services du Premier ministre Jean-Marc Ayrault.
Ce seuil sera également abaissé pour les non-résidents de 15.000 à 10.000 euros, poursuit le document diffusé après une réunion avec la ministre de la Justice Christiane Taubira et le ministre du Budget [b]Jérôme Cahuzac[/b]………
sur REUTERS
bizarre, non?