Bien sûr, Match ne mentionne pas la longue liste des personnalités politiques et médiatiques qui, dans ses colonnes y compris, avaient vertement critiqué Mediapart ou appuyé mordicus Jérôme Cahuzac. Ces informateurs potentiels ne sont même appelés à réagir aux informations que l’hebdomadaire attribue à de mystérieuses « sources financières suisses » et qui étayent, en prétendue « exclusivité » ce que le journaliste Antoine Peillon (frère du ministre) avait exposé sur Mediapart. Des encadrés consacrés à Pierre Moscovici, ou Bernard Debré, député UMP de Paris, auraient pourtant été fort bienvenus.
Je ne sais si Edwy Plenel me lit, mais je ne doute pas que ce qu’il exprime dans une récente tribune sur le site de Mediapart (en accès libre) lui soit venu auparavant, comme à moi, qui l’a relaté diverses fois sur Come4News, à l’esprit. Alors que des affaires similaires ou proches de celle de Jérôme Cahuzac voyaient auparavant toute la presse s’empresser d’enquêter pour rattraper la concurrence, cette fois, la plupart des titres se sont contentés du fameux « Untel dit, Machin dit ».
Certes, des titres sont allés prendre le pouls de Villeneuve-sur-Lot. D’autres, fort justement, ont relevé que la lettre adressé par l’avocat de Jérôme Cahuzac à UBS était formulée de manière à noyer le poisson. D’autres, encore plus rares, se sont vraiment interrogés sur le libellé de la demande d’entraide fiscale de Bercy aux autorités suisses. Mais pour le reste, suivisme complet.
Match fait semblant, après l’ouverture de l’enquête visant Jérôme Cahuzac, de détenir une exclusivité. Le compte en Suisse de Jérôme Cahuzac (en nom propre ou sous intitulé transparent, comme celui de la clinique du chirurgien capilliculteur, par exemple), aurait bien été ouvert au cours des années 1990 (soit, Match ne le précise pas, quand l’ex-ministre crée le cabinet Cahuzac conseil pour accompagner les laboratoires pharmaceutiques dans leurs démarches auprès du ministère de la Santé dont J. Cahuzac est issu). Mais il n’aurait pas été clôturé en 2010, comme l’avait indiqué initialement Mediapart, afin que les fonds soient transférés à Singapour.
Car, fin 2000, selon Match, le futur banquier Dominique Reyl, demi-frère d’Hervé Dreyfus, gestionnaire de fortune de J. Cahuzac, les rapatrie dans son officine avant de les faire fructifier (toujours chez UBS ou ailleurs), avant d’ouvrir une filiale de sa banque à Singapour.
C’est à peu près ce qu’avait évoqué Antoine Peillon, en bonne place et temps largement utile sur le site de Mediapart. Soit que Reyl aurait ouvert un « compte maître » sous un intitulé quelconque, pour placer les fonds de l’ex-ministre.
Finalement, la seule précision intéressante de l’article de François Labrouillère et David Le Bailly, pour Match, c’est qu’il n’y aurait pas eu deux, mais trois étapes. De plus, « le numéro du compte litigieux existerait toujours à l’UBS. Mais il aurait été attribué à un autre client, qui n’a rien à voir avec l’affaire. ». Soit le numéro du compte initial, en nom propre ou transparent. C’est effectivement une avancée à mettre au crédit de Match. Pratiquement la seule.
Après tout, Vodaphone par exemple, dans certains pays, réattribue le numéro de téléphone d’un abonné qui n’aurait pas rechargé sa carte depuis dix mois. Match ne nous dit rien des règles en la matière en vigueur chez UBS. Est-ce courant ? La réaffectation du numéro est-elle intervenue avant le 4 décembre dernier, quand Mediapart sort l’affaire, ou précipitamment le 6, le jour d’après la révélation de l’existence du fameux enregistrement ?
Les journalistes de Match manient avec dextérité l’indicatif et le conditionnel, mais véhiculent bien ce que le lectorat est censé comprendre : Jérôme Cahuzac aurait menti. Ce fait n’est pas subsidiaire, mais ce qui nous intéressera ici, c’est moins le revirement de Pierre Moscovici (et consorts de tout bord) que celui de nombreux médias.
Dan Israël, sur Mediapart, le pointe. C’est seulement à présent que Le Canard enchaîné, fort du communiqué du parquet, découvrirait que les services du ministère de l’Intérieur auraient informés ceux de l’Élysée, dès Noël, de l’authenticité de l’enregistrement et de l’identité vraisemblable de son (ou ses) protagoniste (J. Cahuzac et Hervé Dreyfus).
C’est aussi seulement tout récemment (le 20 mars) que Le Monde fait état d’une confidence d’un conseiller de J. Cahuzac au Budget qui n’excluait pas du tout l’existence d’un compte à l’étranger mais insistait sur la primauté des apparences. Quand donc Le Monde a-t-il recueilli cet élément ? Pourquoi avoir attendu la démission de l’ex-ministre ?
Antoine Peillon, dans Mediapart, avait fait état des informations d’un banquier suisse bien avant la décision du parquet. Ni Le Monde, ni La Croix, qui ont « subitement » découvert ce banquier et lui ont donné la parole, longuement, n’avaient eu auparavant la curiosité de s’intéresser à celui-ci, ou d’en trouver un autre, tout à fait autant susceptible d’exposer le système suisse et les activités de Dominique Reyl. Bizarre autant qu’étrange ?
Ne s’agissait-il pas plutôt de ne pas s’aliéner les ténors de la majorité et de l’opposition (qui, hormis Wauquiez, faisaient quasiment front commun pour louanger le ministre du Budget) ?
Dan Israël confronte aussi les déclarations récentes de Pierre Moscovici à ses antérieures. Lesquelles avaient alimenté un article du Journal du dimanche enfonçant Mediapart et accréditant le fait que les autorités fiscales suisses « blanchissaient » l’ex-ministre. Le constat, car les dires « parlent d’eux-mêmes », est flagrant.
Notons que, si le compte a bel et bien été fermé en 2000, les faits seraient prescrits. Le non-lieu s’imposerait. Du fait aussi de la prescription, Mediapart ne pourrait même pas (autre improbable retournement) assigner Jérôme Cahuzac en diffamation (les propos de ce dernier incriminant le site remontant à plus de trois mois à présent).
À propos de diffamation, voici des mois que j’indique ici que Jérôme Cahuzac aurait poursuivre Michel Gonelle en diffamation. C’est venu telle une petite épiphanie au Nouvel Observateur ces jours derniers : « Vous auriez pu porter plainte pour faux, dénoncer un montage, vous insurger… ». Ce jour, l’hebdomadaire révèle que J. Cahuzac aurait contacté – en vain – le secrétaire général de l’Élysée et le directeur de cabinet de Matignon pour faire pression sur le procureur Molins.
La presse française va-t-elle à présent s’intéresser de plus près aux activités de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (l’équivalent suisse de l’AMF française) qui s’intéresse à présent aux activités de la banque Reyl & Cie ? Là, figurent sans doute non plus forcément des politiques, mais des annonceurs. Ou va-t-elle laisser de côté l’affaire Cahuzac, et surtout ses prolongements, en attendant qu’en mai, l’ex-ministre retrouve son siège de député ?
Va-t-elle s’intéresser au rôle d’Hervé Dreyfus auprès du citoyen Nicolas Sarkozy (et de sa seconde épouse, Cécilia) ?
Qui, à présent, selon le bon mot de Charline Vanhoenacker, du Soir (.be) sera pris « la main dans le Cahuzac » ? Et par qui ? Bercy ou de nouveau Mediapart ? Tous derrière, tous derrière, et lui devant, comme le chantait Brassens avec Le Petit Cheval blanc ? Il serait peut-être grand temps de reconstituer un attelage.
À peine étonnant, du fait que la compagne de François Hollande conserve de vagues chroniques pour [i]Match[/i], une partie des commentateurs laissent supposer que l’hebdo n’aurait nullement enquêté, mais obtenu des infos de l’Élysée qui lâcherait à présent complètement Jérôme Cahuzac.
Dans ce cas, doit-on en espérer d’autres sur Reyl & Cie SA, qui, après Singapour, s’est renforcée, à l’été 2012, au Luxembourg ?