Après que Médiapart ait révélé, hier, que si Michel Gonelle n’est pas forcément, ni principalement  « la source » du site dans l’affaire Cahuzac, mais bien le détenteur de l’enregistrement sur lequel « une voix » s’inquiétait de détenir encore un compte en Suisse, l’ancien député-maire (RPR, puis UMP) de Villeneuve-sur-Lot confirme les faits à La Dépêche. Ce jour, Michel Gonelle croisera peut-être Jérôme Cahuzac sur le marché de Villeneuve. Question : après deux plaintes en diffamation contre Mediapart, le ministre va-t-il en déposer une autre contre son prédécesseur à la mairie de Villeneuve ?

Hier, nous estimions que le duel entre Jérôme Cahuzac et Mediapart serait « au dernier sang ».
Cela découle de l’hypothèse que le ministre du Budget reste ministre et qu’un remaniement prochain n’intervienne pas pour « l’exfiltrer », comme un hebdomadaire national en a émis la… quoi ? On hésite entre éventualité et suggestion.

C’est la deuxième conséquence des rebondissements les plus récents… Soit un glissement progressif d’une presse nationale et régionale – qui s’était efforcée de préserver une ligne rédactionnelle strictement neutre – vers, non pas un soutien à Mediapart, ou à Jérôme Cahuzac, mais une voie médiane voulant que, décidément, il n’y aurait pas tout à fait de fumée sans feu.

Car, sortant de son silence, Michel Gonelle qui confirme s’être ouvert de l’affaire auprès de l’Élysée, s’est confié à La Dépêche du Midi.
Il le fait avec prudence, se refusant à prendre l’initiative de remettre l’enregistrement incriminant à la justice. Mais c’est pour ajouter : « mais si on me demande le faire… ».

Mediapart, mis en cause, peut le demander à la justice, ou le parquet, sans doute pas sans instruction de la chancellerie, ou encore un juge d’instruction suggérant avec insistance un réquisitoire supplétif.

Les faits remontent aux lendemains des élections municipales de 2001. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Michel Vaillant, est attendue à Villeneuve-sur-Lot, et courtoisement, le maire, Jérôme Cahuzac, en informe son ancien adversaire et prédécesseur. « Un autre message, provenant du même numéro, s’est enregistré », narre Michel Gonelle. De fait, sans entrer dans les détails, Michel Gonelle confirme à Jean-Pierre Bédéi et Serge Bardy, de La Dépêche, la nature des propos tenus et dont Mediapart a reproduit la bande sonore sur son site.

« Est-ce la voix de Jérôme Cahuzac ? C’est aux techniciens de le dire, » poursuit Michel Gonelle. Oui, mais, à qui a-t-il attribué cette voix lorsqu’il contacte un haut magistrat de sa connaissance, hors du ressort (circonscription judiciaire) de sa région (soit le territoire de la cour d’appel d’Agen), lequel lui demande une copie de l’enregistrement et n’en fait rien ? Il est possible que d’autres copies aient circulé, dont l’une a été communiquée à Mediapart.

Michel Gonelle est à maintes reprises contacté par la presse et il s’adresse à une personne de confiance, Alain Zabulon, sous-préfet du Lot-et-Garonne ayant été promu avant de rejoindre le cabinet du président de la République, afin de, la semaine dernière, obtenir des conseils. « Je ne pensais que cette conversation (…) serait rendue publique (…) j’en déduis qu’il existe des liens entre le site internet [ndlr. de Mediapart] et les services de la présidence. ».

Peut-être pressentant que, désormais, Jérôme Cahuzac est désormais obligé de prendre en compte ces déclarations (et surtout les antérieures : comment fut présentée « la voix » à un haut-magistrat, à un haut fonctionnaire devenu collaborateur de l’Élysée), Michel Gonelle, ancien bâtonnier, pèse très soigneusement ses propos : «&bnsp;la vraie question, c’est de savoir si le compte suisse a réellement existé ».

Mediapart, lourdement abusé par des apparences

C’est cela même. Il faut gober que, comme dans la pièce Cher Trésor, un Jugnot se soit targué de détenir un compte à Genève, à l’UBS, simplement pour se rendre intéressant auprès de ses interlocuteurs, qui se trouvaient être en compagnie de Jérôme Cahuzac.
Et que conseille donc Jérôme Cahuzac à « la voix » ? De se mettre en règle avec le fisc ? Ah, mais sans doute n’était-il pas du présent (il devait être au petit coin, par exemple), et personne ne s’en ouvre à lui. C’est tout à fait plausible. La « voix » peut être celle de n’importe qui, laquelle ou lequel s’invente un compte à l’étranger.
Mediapart est de bonne foi, mais s’est fourvoyé : les journalistes en sont restés à l’écume des choses, se sont lourdement fourvoyés, déduisant trop rapidement que le compte en Suisse existe et que celui qui se targue d’intégrer la mairie de Villeneuve-sur-Lot (peut-être en tant que simple conseiller municipal), un affabulateur possible, serait le citoyen Cahuzac, Jérôme. Effectivement, ce dernier admet que, en fonction des propos tenus, « sur les trois minutes quarante (…), il y a quatre ou cinq secondes où effectivement ce pourrait être moi (…) mais ce n’est pas moi. ». À priori, un conseiller municipal, ou une conseillère à la voix virile.

Eh oui, la réalité dépasse parfois la fiction, et si Michel Gonelle n’exclut rien, pourquoi donc la presse ne le suivrait-elle pas dans ce raisonnement implicite ? Après tout, un ancien bâtonnier, ancien magistrat municipal, ancien député, membre de la Grande loge nationale, chevalier de la Légion d’honneur, homme d’expérience, ne peut être que crédible.

Il a souvent été indiqué que la source anonyme à l’origine de l’enquête de l’ancien inspecteur Rémy Garnier sur les dissimulations fiscales de Jérôme Cahuzac était « un notable de la région ». Soit, par exemple, un notaire, un membre d’une chambre consulaire (commerce et industrie, artisanat, agriculture), un chanoine, &c. Cela faisait beaucoup de monde à être dans cette confidence.

Affaire de presse

Encore une fois, il existe plusieurs manières d’aborder le feuilleton Cahuzac contre Mediapart ou inversement, et ce qui nous intéresse ici, c’est d’abord qu’il s’agisse d’une des plus formidables affaires de presse depuis au moins la moitié du siècle dernier.

Nous en sommes à trois semaines et voici que Francis Brochet, du Progrès de Lyon, titre « Jérome Cahuzac passera-t-il Noël ? ». Non, aucune autre fin du monde n’est envisagée, et il ne s’agit que du ministre du Budget, non pas de la personne même de Jérôme Cahuzac qui se sentirait une vocation d’incarner le second Roger Salengro de nos trois dernières Républiques.

Francis Brochet constate que le ministre ne parvient pas « à dissiper le soupçon ». Il souligne aussi que la direction des Finances publiques n’a pas démenti, deux jours après les affirmations de Mediapart, que Jérôme Cahuzac, chirurgien, député, maire, mais aussi ministre (puisque ses déclarations fiscales seraient, selon Mediapart, épluchées depuis au moins 2008 jusqu’à 2012 incluse), fait l’objet d’une vérification fiscale. « C’est peu dire que l’inquiétude gagne la majorité. Des députés socialistes (…) confient leur malaise et leurs doutes. ». Conclusion : « le temps presse » (pour Jérôme Cahuzac).

Véritablement revirement : dans un premier, puis un second temps, Mediapart était sur la sellette, non pas vraiment de la presse, mais de rares personnalités des médias (en particulier Apathie, des chroniqueurs, la seule exception étant le site d’information Causeur). Voici donc que la troisième mi-temps donne un tour différent à l’affaire de presse.

Jusqu’à présent très réservée sur l’affaire, L’Humanité reste dans le factuel, mais développe tous les éléments rendus publics. Maurice Szafran, de Marianne, pose l’alternative : « nos confrères de Mediapart parviendront-ils à faire tomber Jérôme Cahuzac ? » ou, puisqu’ils ne disposent pas « de la preuve ultime », s’agira-t-il de l’inverse ?

Auriez-vous imaginé, avant-hier matin, lire dans Le Dauphiné, et surtout en titre, « L’Étau se resserre autour de Cahuzac »?

Un autre phénomène, sous-jacent, est constaté. Les réseaux sociaux se montrent de plus en plus dubitatifs, mais les plus circonspects ne mettent plus vraiment en doute Mediapart, qui n’aurait pas monté (c’était l’évidence même, les risques étant trop lourds) cette affaire de toutes pièces.
Or ces réseaux, ainsi que les commentateurs des sites de presse, forment un lectorat existant ou potentiel. Ce à quoi la presse ne peut qu’être sensible. Elle précède certes l’opinion, mais la suit aussi…

C’est là aussi, en troisième semaine bientôt du feuilleton, l’un des faits nouveaux. L’autre est bien évidemment ce qui bruisse, en coulisses, dans la classe politique. Il se trouvera bien l’une ou l’autre pour ne pas résister à la tentation de se mettre en avant à l’occasion d’une déclaration. Les paris sont pris  : passera-t-on du Mediapart bashing au Cahuzac bashing ? Sans doute pas aussi brutalement. Ni frontalement. Mais on observera si la mise en cause de Mediapart fléchit ou non. Ce qui vaudra, à l’inverse, peut-être en creux uniquement, perte de crédibilité pour le ministre.

Mais puisque la réalité peut parfois dépasser la fiction, n’excluons pas un nouvel élément, qui pourrait renverser la donne. Ou que, faute de « munitions » nouvelles des duellistes, l’affaire s’enlise tout doucement. L’issue dépendra sans doute aussi des « sondeurs » de l’Élysée. Si, même innocent, Jérôme Cahuzac devient gênant, devient « le cactus » de la majorité (comme le titre Le Parisien), il peut avoir tout à craindre…

Ah, aux dernières nouvelles (tard dans la soirée de samedi), la Direction générale des Finances publiques s’est fendue d’un communiqué. On n’a pas très bien compris. Aucun membre du gouvernement n’est l’objet d’une procédure de vérification approfondie de ses déclarations fiscales, mais tous font l’objet de, on ne sait trop (ni contrôle, ni examen), enfin, d’un truc qui vise à « assurer que la situation de chacun des membres du gouvernement est irréprochable et exemplaire. ». La Direction générale se hâte lentement (le gouvernement est formé depuis quand même quelques mois), mais travaille tard la nuit les samedi soirs, veilles de fêtes (voir aussi en commentaires).