Les expertises scientifiques et trois témoins attesteraient que « la voix » attribuée à Jérôme Cahuzac et faisant état de la détention d’un compte à la banque UBS serait bien celle de l’actuel ministre du Budget. De ce fait, le juge d’instruction Guillaume Daïeff, chargé de l’enquête sur le système de blanchiment de fraude fiscale visant UBS, pourrait obtenir un réquisitoire supplétif lui permettant de s’intéresser au cas de Jérôme Cahuzac.

Les analyses scientifiques de l’enregistrement incriminant Jérôme Cahuzac seraient concluantes. Mais, surtout, deux témoins connaissant bien l’ancien maire de Villeneuve et député du lot sont formels. Il s’agit d’un huissier, d’un gendarme retraité, qui, en sus de Michel Gonelle, le détenteur de l’enregistrement, ont reconnu formellement la voix de Jérôme Cahuzac.
De plus, un détective privé assure que l’épouse du ministre, Patricia lui aurait, rapporte Mediapart, assuré « de manière catégorique l’existence d’un compte en Suisse » détenu à l’époque par l’actuel ministre du budget.

Par ailleurs, toujours selon Mediapart, Jérôme Cahuzac et son entourage auraient tenté de faire fuiter que Michel Gonelle aurait embauché un imitateur. Dans ce cas, pourquoi ne pas porter plainte contre X qui pourrait être Michel Gonelle, ce que le ministre aurait du faire d’emblée au lieu se s’en prendre à Mediapart, comme nous l’avons souligné à diverses reprises.

Le ministre aurait aussi confié, en off, à des journalistes de Libération, qu’il s’attendait à un revirement l’incriminant, soit de recevoir « un coup dont on ne se relève pas, » rapporte Mediapart.

Quant à la fameuse réponse des autorités suisses, elle ne démontrerait rien et ne blanchirait nullement le ministre du Budget.

Mediapart suggère à présent qu’une instruction indépendante étende ses investigations jusqu’à Singapour ou les fonds placés en Suisse auraient été transférés.

La Dniff (Division nationale des investigations financières et fiscales) a entendu un huissier, Maurice Chassava, qui a reconnu la voix de J. Cahuzac. Celui-ci se serait entretenu avec son chargé d’affaires, Hervé Dreyfus, associé au banquier suisse Dominique Reyl. Florent Pédebas, gendarme à la retraite, ayant lui aussi connu, à Villeneuve, le député et maire, a confirmé que l’enregistrement provenait du numéro de Jérôme Cahuzac et qu’il reconnaissait sa voix. Enfin, Alain Letellier, détective privé, chargé par l’épouse du ministre de retrouver trace de fonds dissimulés, avait été par elle orienté pour trouver trace du fameux compte à l’étranger. Patricia Cahuzac aurait été formelle.

Jean-Marc Ayrault s’est déclaré « trop respectueux des procédures judiciaires et de l’indépendance de la justice pour faire un commentaire ». On attend à présent ceux d’Éric Woerth et des ténors de l’UMP qui seront sollicités. Pratiquement seul, Laurent Wauquiez n’avait pas totalement exclu que Jérôme Cahuzac puisse être désigné à juste titre par Mediapart en tant qu’évadé fiscal.

Lourdes critiques

Devant l’Assemblée nationale, Jérôme Cahuzac avait été catégorique, après les révélations de Mediapart, fin décembre : « je n’ai jamais eu de compte à l’étranger ». Bernard Debré, UMP, avait fait état d’accusations scandaleuses, dégueulasses, ignobles. Le chroniqueur Jean-Michel Apathie avait, à maintes reprises, critiqué vertement Mediapart. Edwy Plenel, de Mediapart, lui avait rétorqué : « vous ne savez pas lire ce qui vous dérange. Votre mauvaise foi n’a d’égale que votre prétention ». Outre Bernard Debré, Jacques Ségala s’était montré particulièrement virulent. Bruno Roger-Petit, du Plus (Nouvel Obs’) évoquait une « défaite journalistique » de Mediapart qui se retrouvait « dans la position de l’arroseur arrosé ». « Les faits sont têtus, concluait B. Roger-Petit, c’est bien joli de vouloir porter la plume dans la plaie, encore faut-il que la plume ne pèse pas que son poids… ». Luc Rosenzweig, de Causeur, titrait « Mediapart apporte la preuve… de sa capacité de nuisance », tandis qu’Élisabeth Lévy, du même titre, évoquait une « ignominie sous couvert de transparence » à propos de la divulgation de l’enregistrement.

Sur Twitter, récemment, J. Cahuzac déclarait : « Juste et réaliste, réaliste et juste. Telle est ma gauche ». Cette nuit, le site personnel de J. Cahuzac est resté muet.

L’affaire touche à présent l’ensemble du gouvernement au plus haut point et en particulier le ministre des Finances qui avait fait savoir, sans plus de détail, que les autorité suisses avaient blanchi le ministre du Budget. Le 7 février dernier, Pierre Moscovici avait invoqué le secret fiscal pour ne pas révéler la teneur du document obtenu des autorités suisses mais laissait entendre que la communication remettait les pendules à l’heure : cela tombe bien, Pierre Moscovici et Jérôme Cahuzac partagent la passion des belles montres de collection (et P. Moscovici ne dédaigne pas arborer une Blancpain à phase de lune).

Comme l’avait indiqué l’avocat fiscaliste suisse Philippe Kenel, partenaire du cabinet Python & Kenel Jérôme Cahuzac pouvait demander à UBS la levée totale du secret bancaire le concernant : « Sachant qu’il a ce moyen de prouver qu’il n’a pas commis une infraction, c’est un peu douteux qu’il ne l’utilise pas. ». Jérôme Cahuzac ne l’a jamais vraiment fait en des termes clairs et nets.

Diffamations

Michel Gonelle, qui détenait l’enregistrement et l’avait communiqué au juge Bruguières, avait décidé d’attaquer en diffamation Le Journal du dimanche, qui l’avait qualifié « d’homme à la réputation sulfureuse » et de « demi-corbeau », dans un article de Laurent Valdiguié intitulé « Les Suisses blanchissent Jérôme Cahuzac ». Le même journaliste, en décembre 2012, titrait « le corbeau tombe le masque ».

Le JDD doit maintenant réfuter trois témoignages. Reprenant les dépêches des agences, le JDD titre à présent « Cahuzac : l’enregistrement authentifié ? » avec un point d’interrogation. Le titre dominical ne mentionne que Mediapart alors que Le Parisien-Aujourd’hui en France a recoupé au moins l’une des informations, soit le témoignage de l’huissier, qui risque très gros en cas de faux témoignage dans la mesure où il s’agit d’un officier ministériel.

Rémy Garnier, l’inspecteur des impôts révoqué, notamment par Philippe Parini, directeur général des Finances publiques durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, et maintenu en place, avait commenté, dans une lettre ouverte à l’actuel ministre du Budget : « après la défaite, viendra le déshonneur ! ».

Dans une autre lettre au même, Rémy Garnier proposait au ministre : « si vous estimez que mes accusations sont mensongères, saisissez donc à votre tour la justice pénale d’une plainte en diffamation. » Jérôme Cahuzac n’a fait poursuivre que Mediapart.

Rémy Garnier avait aussi fait état d’anomalies dans les déclarations d’impôt et d’intérêts du ministre. Ce volet de l’enquête reste en suspens.

Jérôme Cahuzac pourra désormais redire qu’il s’agissait d’une plaisanterie s’expliquant par un contexte qu’il se gardera bien d’expliciter. Ou demander des contre-expertises, on ne sait quoi. Mais ce rebondissement a déjà été repris par la presse suisse (Le Temps et d’autres). Laquelle pourrait à présent apporter d’autres précisions.