Affaire Cahuzac : le pas vu, pas pris de Bernard Debré

Beaucoup plus qu’une affaire d’évasion fiscale (qui reste à totalement établir ou à dissiper), qu’une affaire de presse, ou politique, l’affaire Cahuzac est devenue un fait de société. L’Occupation puis la Libération avaient dressé un portrait de la France, nation de délatrices et de corbeaux. Plus d’un demi-siècle plus tard, c’est l’inverse : c’est le « peuple » des partisans du pas vu-pas pris qui caractérise le pays. Ainsi de ce commentaire définitif du député parisien Bernard Debré (apparenté UMP), membre du… Comité consultatif national d’éthique : « si un certain nombre de faits devaient s’avérer réels, il serait toujours temps de les dénoncer, mais pour l’instant, tout semble faux et il n’est pas honorable de se réjouir de ces mensonges. ». 

C’est du propre. Ainsi, tout est faux, tout est mensonger. Aucun membre de l’entourage de Jérôme Cahuzac n’a jamais détenu de compte bancaire non déclaré à l’étranger. C’est un « corbeau » qui l’assène à Michel Gonelle, ancien bâtonnier, toujours officier de la Légion d’honneur, ancien député-maire UMP, et il est de la même formation que lui, peut-être de la même association Union Républicaine, et il s’agit de Bernard Debré, député de Paris.

« Même si la femme avec laquelle il est en instance de divorce essaye de l’en faire accuser, il n’y a aucune preuve » contre Jérôme Cahuzac, « il s’agit de ragots, d’échos de caniveau ». Ah oui, « la France est tombée bien bas ». Tout cela, tout comme « les ministres du gouvernement Fillon accusés à tort (l’histoire l’a démontré) de toutes les turpitudes » (notamment accusés par devant la Cour de justice de la République, et qui le restent…), n’est que « mensonges ».
Oui, mais, si des faits venaient à s’avérer réels « il serait toujours temps de les dénoncer ».
Du Front de Gauche au Front national inclus, et même au-delà à la droite ou la gauche de ces formations, c’est bien, dans cette affaire, l’attitude de toute la caste politique, de la majorité de la classe médiatique, et pourquoi pas, d’une large partie de l’opinion qui est résumée : pas vu, pas pris.

Il faudrait vraiment que Jérôme Cahuzac lui-même ou la personne de son entourage s’exprimant dans le fameux enregistrement connu de Michel Gonelle, connu par ouïe-dire du juge Jean-Louis Bruguière, se fasse prendre la main dans le sac à liasses de billets, à une frontière, pour que Bernard Debré trouve que le temps soit venu de s’alarmer. 

Bien évidemment, cela ne se passe plus de la sorte, comme l’affaire Lamblin-El Maleh et consorts (une bonne douzaine dont les identités sont à présent connues, révélées, publiées, mais d’autres encore, qui restent à découvrir) l’a fort amplement révélé.

Un passeur cueilli à la descente d’un avion provenant de Singapour serait-il pris sur le fait, déclarerait-il agir pour le compte d’Untel qui pourrait être en rapport direct avec Jérôme Cahuzac ne suffirait pas à convaincre Bernard Debré : affabulations du passeur, évidemment, et la presse serait tancée, comme « ces journaux qui accusent sans preuve ».

Comme le rappelle Me Jean-Pierre Mignard, avocat de Mediapart, sur le site de ses clients, Edwy Plenel et Fabrice Arfi, « bien souvent les enquêtes ne disposent pas à leur origine de la moindre preuve. Tous les policiers vous le confirmeront. On ne dispose que d’indices, et s’il y en a plus d’un, on évoque un faisceau d’indices. ». Au moins, quand, dans l’affaire de la tuerie de Chevaline, ou dans celle de l’assassinat du chef de la police municipale de Champigny, on ne dispose que de très peu d’indices, tente-t-on de les suivre, de les exploiter, et cela à grands frais. Selon Bernard Debré, la presse devrait attendre que ces indices conduisent à des preuves pour en faire état. C’est nouveau !
On n’a guère entendu Bernard Debré quand police ou parquet font fuiter des indices vers la presse quand cela peut contribuer aux enquêtes.

Et il faut le croire : total consensuel à constater l’unanimité dans la distance et la circonspection dont font preuve tant les responsables politiques de tous bords que la plupart des rédactions en chef, au moins dans cette affaire Cahuzac. En revanche, pour une minorité dont fait partie Bernard Debré, la prudence n’est pas de mise : il faut dénoncer Mediapart.

Il se trouve qu’Edwy Plenel, « au nom de Mediapart », vient d’adresser une lettre à Monsieur François Molins, procureur de la République pour Paris, lui faisant part d’« informations [qui] concernent la détention par l’actuel ministre du budget, Jérôme Cahuzac, d’un compte à la banque UBS ». Mediapart croit qu’un enregistrement d’une conversation entre Jérôme Cahuzac et son gestionnaire de fortune, Hervé Dreyfus, évoque(rait) un compte à la banque suisse UBS. Ce n’est pas Cahuzac et Dreyfus qui se parlent ? Fort bien… Qui d’autre ?

Délateur ! Dénonciatrices, sycophantes ! Faisant fi des conseils, ou plutôt admonestations de Robert Debré, voici que les journalistes de Mediapart caftent au parquet !

Au passage, Edwy Plenel révèle que la seconde plainte supposée déposée par Jérôme Cahuzac contre lui et Fabrice Arfi ne leur a pas été signifiée à ce jour, plus d’une semaine après son annonce. Il indique aussi que la Chancellerie, soit Christiane Taubira, a fait savoir qu’il convenait de s’adresser au procureur François Molins. C’est fait ! Quoi donc, Christiane Taubira, s’écartant de la ligne préconisée par Robert Debré, conseille la délation ? Alors qu’il n’y a pas « de preuve » ?

On attend donc la réponse du parquet : vile dénonciation calomnieuse de plus, de pire ? Alors que, si le compte a été fermé en 2010, une possible prescription fiscale pourrait intervenir fin 2013 ? Laissons le temps aux preuves (ou à leur inexistence) de s’établir.

Très rares sont les sites d’opposition faisant état de l’affaire si ce n’est pour dénoncer les liens qu’est supposé entretenir Jérôme Cahuzac avec l’association anti-corruption Anticor. C’est le cas de la fédération UMP de l’Isère qui, incidemment, croit savoir que Cahuzac Conseil existe toujours (Bernard Debré affirme le contraire). À gauche, un prudent billet de La Gauche unitaire incite le ministre à « parler vrai » (et non « plus vrai »). Il faut vraiment aller fouiller dans les blogues libertaires ou de la « gauchosphère » pour trouver des évocations des informations de Mediapart assorties de quolibets.

Il se trouve quand même, timidement, à droite en particulier, quelques personnes rappelant que « les dérives affairistes mitterrandiennes » avaient été davantage dénoncées par la presse que par la magistrature. Il s’est trouvé une section du Parti socialiste, celle de Gréasque (Bouches-du-Rhône), pour donner toute la teneur des articles de Mediapart à la disposition de ses adhérents. On trouvera aussi, ça et là, un responsable des Jeunes Démocrates de Bretagne pour accorder le bénéfice du doute à Mediapart, des individus tenant un blogue-notes pour relever que l’activité de dirigeant de Cahuzac Conseil ne figure pas sur la déclaration de l’intéressé sur le site où figure les responsabilités et activités antérieures des ministres en exercice. Mais c’est plutôt rare.

Le Journal de Saône-et-Loire risque un « il faudrait que la justice soit saisie du dossier pour que ce ministre apprécié pour sa connaissance des dossiers soit invité à démissionner et si tel était le cas, il serait probablement remplacé en interne par Nicole Bricq. ».

On comparera avec l’affaire Dominique Strauss-Kahn : être accusé par la police et la justice ne font pas non plus un criminel… d’ailleurs… Au fait, pour Bernard Debré, c’était un « délinquant sexuel » (nombreuses déclarations dans la presse d’alors). Il est « humiliant pour la France d’avoir un homme comme lui qui se vautre dans le sexe. ». Ah bon, mais sur la foi de quoi ? D’articles de presse ? Mais où sont donc, aujourd’hui, les preuves que réclame Bernard Debré ?
Et pourquoi donc imputer à Mme Cahuzac, en instance de divorce, la volonté de faire tomber son mari de son fauteuil ministériel ? Diffamation, volonté de nuire ? Sans la moindre preuve, tout juste un vague indice…
Ah, que la présomption d’innocence a bon dos, et des bosses variables : chameau ou dromadaire ? Le professeur Bernard Debré devrait réviser ses notions d’anatomie de base.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

3 réflexions sur « Affaire Cahuzac : le pas vu, pas pris de Bernard Debré »

  1. « Pas vu, pas pris ».

    C’est bien ça, c’est la « règle du jeu » (sic) que les commanditaires d’agressions violentes à mon encontre m’ont déjà très violemment reproché d’enfreindre en portant plainte à raison desdites agressions, dont les exécutants avaient bien reçu pour consigne de les perpétrer en l’absence de tout témoin. A peine mes dépositions enregistrées, elles étaient transmises aux commanditaires, qui me retombaient dessus immédiatement…

    Cette sainte règle vaut partout, de l’ancien RPR à l’ancienne LCR.

  2. joli .

    ils ont peut etre presque tous un compte « la bas » aussi simplement que chaque citoyen a un livret A ici………..

    franchement Debré hein ! entre nous ! Cahuzac est quand même dans la seringue…

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