Après les Nouvelles Légendes improbables du Nord-Pas-de-Calais abondamment illustrées, voici l’avènement de nouvelles Nouvelles Légendes improbables de Roubaix abondamment illustrées. Que les auteurs, toujours fidèles aux éditions des 3-Jean, soient abondamment remerciés de cette gratification cruciale pour la compréhension de l’imaginaire nordiste. En ces frisquets débuts de l’an 2010, voici de quoi rendre guilleret de Dunkerque à Tamanrasset, et bien au-delà.


Saviez-vous que la cheminée de l’usine de la rue du Fort à Roubaix réapparait tel un spectre au-dessus des toitures de la ville à des emplacements aléatoires ? Et qu’entrevoir cet ectoplasme facilite le choix des chiffres du Loto ?  Vous dit-on que de 1912 à 1940, dates de l’expédition amazonienne Scott-Sanders et de l’abandon de la teinturerie du canal de Roubaix et de l’Espierre (de la Deûle à l’Escault), plusieurs piranhas ont eu raison de trop nombreux baigneurs inconscients ?  Auriez-vous rencontré l’un de ces preux roubaisiens s’élançant pour la Quête du Saint Graal des buveurs de bière, soit le mythique verre du café de l’Espoir (rue du Bock) qu’oncques ne vit plaint tout à fait car il s’emplissait de lui-même ? Saurez-vous percer les secrets des gaufres fourrées Rita (« le plus avantageux des desserts », exclusivité de la biscuiterie Demeuleneire Frères) qui, comme la sainte éponyme, dénouent les aiguillettes et dispensent d’ex-voto à saint Antoine pour retrouver les clefs des bambochards et des caves condamnées du Vatican ? Verra-t-on la domotique adapter les merveilleuses découvertes d’Aimé-Louis Degroote, l’inventeur de la fameuse Maison magnétique (frappée par la foudre en 1932 et, hélas, jamais reconstruite) ?

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Je pourrais arrêter là… Mais ce serait vous priver de l’évocation des exploits du professeur Lamotte (prédécesseur du commandant Cousteau, péri dans le canal, victime de piranhas), de ceux de la Blatavskaïa, la « tsarina guérisseuse », fondatrice de la Confrérie du Lin, et d’autres… Et comment ne pas évoquer les cérémonies de la Confrérie dans les souterrains de la Condition publique (friche industrielle devenue centre artistique), ne pas remémorer le concours des machines volantes de l’Exposition internationale du Nord en 1911 ? Cette manifestation universelle vit d’ailleurs des démonstrations du tout premier ordinateur, la machine électro-pneumato-hydraulique de Backhof : qui s’en souvient depuis que les Américains ont fallacieusement usurpé cette invention antérieure au Mark 1 d’IBM (1944, soit 33 ans plus tard) ?

 

De Roubaix, on connaît surtout sa Lainière, la filature, et sa revue mensuelle « de l’élégance tourisme et sport », Mon Tricot (fondée en 1949).  Elle est bien sûr évoquée, par le petit trou de la cannette, regretteront certains, dans Les Nouvelles Légendes improbables de Roubaix abondamment illustrées.  Injuste récrimination : c’est justement le Roubaix inconnu, voire jamais reconnu, trop oublié, qui est au cœur du propos de ces nouvelles Nouvelles Légendes improbables.  Si l’ouvrage précédent avait – enfin ! – révélé au monde la faramineuse richesse du patrimoine fantastique, fantasmé, mais toujours prégnant dans la région, du Nord-Pas-de-Calais, il aurait été déplorable de laisser dans l’ombre l’apport spécifique de Roubaix en ce vaste domaine. Œuvre muséale, penserez-vous… Que non ! La quenouille a été reléguée au musée –  et nous l’accordons volontiers, un peu négligée dans l’ouvrage – mais c’est le vivant monument de l’imaginaire roubaisien qui est l’honneur en ces pages. Certes, on en chuchote davantage qu’on l’évoque ouvertement. Vous comprendrez aisément pourquoi ce catimini en découvrant les mystères anciens et de nouveau révélés de la tour Jicé (l’un des premier gratte-ciel européens, dont les 72 mètres, dominant le boulevard d’Armentières, toisent de leur formidable renom l’élévation prétentieuse de la tour Khalifa de Dubaï). Vous frémirez à l’évocation du culte voué à Dona Ava Daria, cantatrice excentrique des années 1910, auprès de laquelle les Ulrika von Glott, Cathy Berberian, Thea Kronborg, ou autres Lilian Nordica font figure d’harengères de bastringue. Vous hallucinerez en découvrant l’usage ingéré, induré même, que font certains adaptes du remède souverain contre le tænia qu’Alphonse Berthe (tenancier de l’estaminet Le Ver Solitaire, disparu en 1910 pour céder la place au groupe scolaire Buffon, naturaliste de moindre réputation). Vous partirez peut-être en quête des vestiges du tournage de l’illustrissime nanar La Guerre des Tripodes (1963), de Silvio Bruti (dit le « brutiste » du septième Art) et de Roger Corex (qui conçut les effets spéciaux de Robot Monsters et se surpassa à Roubaix pour la réalisation des décors).

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La riche iconographie issue des archives municipales, de fonds particuliers, dont ceux des auteurs (Jean-François Delquignies, Jean-Pierre Duplan, Jean-Jacques Tachdjian… d’où la raison sociale de leur maison d’édition, les 3-Jean), de la Fondation Guggenheim à Knokke-le-Zoot (le Mougins de la Manche), vous plongent dans un univers aussi chatoyant, mirifique, esbroufant qu’effarant (l’ouvrage faillit être interdit à la vente aux moins de 16 ans).

 

La parution, retardée par des menées subreptices d’agents triples sud-américains dépêchés en Molvanie (partie Bulgare) où l’ouvrage fut imprimé dans le plus grand secret, a d’ores et déjà suscité une effrénée polémique et des esclandres diplomatiques. En effet, Roubaix, si ce n’est la France,  l’Union européenne, exige désormais de la Patagonie la restitution de la carriole de porteur de journaux de Don Estrambotico de Santamaria (alias Émile Buissiaux), qui avait prédit l’éruption du volcan Sakurajima (Japon), le 13 janvier 1914. Cet illustre érudit Roubaisien, congru ès calendrier maya et féru des maléfices du Trichon et de la Makellerie, avait décelé dans l’émergence du mouvement Dada les prémisses d’une véritable apocalypse. Ses fidèles, « pour le grand jour (…) se destinaient à un suicide collectif en famille (…) voulaient se retirer en un lieu saint (…) se jeter à corps perdu dans la débauche, tandis que d’aucuns avaient choisi de faire les trois, sans pratiquement rien changer [Ndlr. d’apparent…] à leurs habitudes ! ». Affaire(s) à suivre, donc.

 

Cet élégant livre-album, qui ravira les collectionneurs, comporte 48 pages dans l’écrin de sa couverture cartonnée et le colophon mentionne qu’il a été composé en Fuel (Radiateur Fonts) pour les titrages et en Bodoni pour le texte courant (voire cavaleur). La conception graphique est de Jean-Jacques Tachdjian. Une succincte (moins de 30 titres cités) bibliographie ne recense que les rares ouvrages trop méconnus du grand public (La Blavatskaïa, ou l’illuminée lumière, Lefondu, Rael, Rosswell Publishing, Utah, 1989, y côtoie Roubaix au temps des Croisades, attribué à Prurit, prieur de l’abbaye de Châlons, circa 1511, ou encore Le Tricot facile, Bérulle, Jeanine, J’apprends en m’amusant éd., Wazemmes, 1952). Ce choix rigoureux n’est pas critiquable mais nous déplorerons l’absence d’un index et des cotes des illustrations provenant de la Médiathèque de Roubaix. La rotogravure colorisée de la page 27 (la piscine à marée basse) est attribuée à Sophie Deballe, de PhotoSapiens, mais non datée. Nonobstant ces remarques de détail, qu’on pardonnera même si la conservatrice du fonds gréco-romain de l’Alexandrine n’a pas considérés véniels ces manquements aux règles de la proto-paléographie, c’est un satisfecit global et chaleureusement positif sans notables réserves qui a, de la part de la communauté scientifique, salué cette somme tant abyssale que culminante. Le profane y trouvera aussi son compte : nulle cuistrerie ne vient entacher un style alerte, voire enjoué (on aura l’indulgence de le confier aux grands adolescents mais en épargner toutefois la lecture aux enfants).

 

Espérons enfin qu’un site dédié, au moins similaire en intérêt à celui consacré aux Nouvelles Légendes improbables du Nord-Pas-de-Calais, viendra bientôt prolonger cette passionnante lecture.

 En un rot nauséabond (de linceul de Lorraine plutôt que de bière d’Alsace) boursouflant son encre d’Internet,  un commentateur incrédule autant que malséant avait eu l’outrecuidance de mettre en doute l’existence des déjà anciennes Nouvelles Légendes improbables du Nord-Pas-de-Calais. Elles se trouvent pourtant dans toutes les bonnes librairies et la commande en ligne de cet inestimable recueil reste ouverte pour un temps limité (une réédition est envisagée). Quant on n’a pas eu la curiosité minimale de se renseigner avant de commettre une incongruité, on s’en abstiendra.  Il en est de même pour ces nouvelles Nouvelles roubaisiennes. En revanche, à la suite des remarques et communications fort pertinentes recueillies à l’occasion du précédent ouvrage, portant notamment sur des faits avérés ou non de la geste franco-septentrionale (et belgico-méridionale), les auteurs ont recueilli la matière de futures publications. Que les contributrices et commentateurs en soient ici remerciés. Nul doute qu’il en sera de même pour celui-ci. Vous pouvez de même enrichir le livre d’or de l’éditeur. En ces entrefaites précédant une future parution sommitale égalant, voire surpassant la présente, nous ne saurions trop vous inciter à vous procurer un, si ce n’était plusieurs exemplaires, de ce qui constitue déjà l’entame d’une vaste collection…  On ne ratiocinera pas face à cette fabuleuse (et non fabulée) perspective ! D’ailleurs, improbable n’est pas plus arrageois qu’atrebate. Et c’est bath ! Mais, chut, je ne vous aurais rien dit. Mais vous, vous pourrez vous exclamer : si j’avais pas lu (ce qui précède), elle ne serait peut-être point advenue (la suite des Nouvelles Légendes I & II). Mais pour le moment, gardez-le pour vous. Les deux ouvrages are not and will not be at the British Library. Ce qui en fait et fera la rareté et la cherté, me procurant par là-même une chute qui en vaut bien d’autres et qu’il vous est loisible de divulguer, elle, à foison… et à l’envie des jaloux.

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Nouvelles Légendes improbables de Roubaix abondamment illustrées [Les], Delquignies, Jean-François, Duplan, Jean-Pierre, Tachdjian, Jean-Jacques, & alii, Les 3-Jean éd., Lille-Roubaix, jan. 2010, imp. Polyprint GmbH, Makulh (Molvanie), photogravure Photograve 59. Avec un avant-propos de Joël-Henry Vandescraave et la collaboration de Jean-François Vankeegnies, Jean-Pierre Vanderplane & Jean-Jacques Mainipipaul ainsi que les libations de Jean-Philippe de l’Absurde (11, place de la Nouvelle Aventure, Lille, France ; depuis Mouscron et la Belgique, prendre la A-22/E17 jusqu’à la Ferme et Parc des Dondaines, depuis La Colle et Halennes-lez-Haubourdin et la France, emprunter la N-41 puis la A-25/E42 jusqu’au Port fluvial de Lille, puis dans les deux cas, demander la rue Léon-Gambetta ; depuis les stations des gares Lille-Europe ou Lille-Flandres, rejoindre la ligne 1 puis descendre à la station Gambetta ; depuis la Bretagne, on ne vous dit pas, vous savez déjà, possibilités de covoiturage depuis la rue de la Soif et du quai de la Fosse ; ouvert du lundi au dimanche inclus, musiques selon serveurs, horaires aimablement communiqués par La Voix du Nord).