Mais que va donc faire Sarkozy mardi et mercredi en visite officielle aux Etats-Unis ? C'est son petit marquis porte-parole David Martinon qui répond : "L'objet de cette visite, c'est de consacrer les retrouvailles entre la France et les Etats-Unis après la crise de 2003 et d'adresser un message au peuple américain à travers le discours que le président fera au Congrès". Consacrer les retrouvailles, c'est beau comme de l'antique.
Mais question : le Président n'a-t-il pas passé ses vacances cet été aux Etats-Unis, partageant hot dogs et hamburgers avec la famille Bush au complet ? N'en a-t-il pas déjà fait des caisses sur le thème de la grande amitié franco-américaine ? N'a-t-il pas même osé parler d' "arrogance" à propos de l'opposition de la France à la guerre en Irak (la seule chose que Villepin ait faite de bien dans sa carrière politique !) ?
Le traité européen de Lisbonne, pour la ratification duquel il pèse de tout son poids, n'entérine-t-il pas l'allégeance européenne à l'OTAN et donc au commandement américain ?
Sarkozy a beau, pour la forme, préciser n'être pas toujours en accord avec les positions états-uniennes, il n'a de cesse de brader l'indépendance française, fondement historique de notre diplomatie depuis le général de Gaulle. Mais cela ne suffit apparemment pas puisqu'il faut encore, la semaine prochaine, "consacrer les retrouvailles entre la France et les Etats-Unis". Allons bon. Nous aurions préféré au moins attendre l'alternance américaine à venir, qui promet des dirigeants tout de même plus fréquentables que la clique bushiste, vilipendée dans le monde entier, devant laquelle notre Président vient s'agenouiller.
Et concrètement, de quoi sera-t-il question ? Martinon énumère l'Iran, le Proche-Orient, le Liban, le Kosovo, la sécurité en Europe, la Birmanie, l'environnement et "sans doute" les otages en Colombie. Légère divergence avec la Maison blanche, qui parle de son côté, par la bouche du Martinon local, Dana Perino, de l'Afghanistan, du programme nucléaire iranien, de la paix au Proche-Orient, du Darfour, de la Birmanie et du Kosovo. Pas d'Europe, ni d'environnement, ni des compagnons d'infortune d'Ingrid Betancourt. On note en tout cas qu'aucune des deux parties n'annonce de discussions à propos de l'Irak…
Droits de l'Homme : allo Rama ?
Le Président français ne vient pas seul, emmenant dans ses bagages plusieurs ministres : l'inévitable Rachida Dati, Christine Lagarde, Bernard "la guerre !" Kouchner et Rama Yade, secrétaire d'Etat aux Droits de l'Homme. Tiens, puisqu'on parle de ce sujet, on aimerait que la décorative UMPiste évoque Guántanamo, même si l'on craint qu'il n'en soit rien. Comment pourrait-on être chargée des Droits de l'Homme et ne pas même mentionner ce qu'Amnesty International appelle un "goulag moderne" ? "Ces prisonniers sont privés des garanties prévues par le droit international et leurs conditions de vie s’apparentent à un traitement cruel, inhumain ou dégradant", juge pour rappel l'organisation, faisant observer que même "le Comité contre la torture des Nations Unies a rappelé au gouvernement américain que les «disparitions», les détentions secrètes et la détention illimitée sans inculpation constituaient en soi une violation de la Convention contre la torture. Il a réclamé l'enregistrement de toutes les personnes détenues par les États-Unis, où qu'elles soient, et la fermeture du camp de Guantánamo". Allo, Rama ? Quatre organisations de défense des droits de l’homme ont déposé plainte le 25 octobre dernier contre Donald Rumsfeld pour “tortures”, reprochant à l’ancien secrétaire américain à la Défense d’en avoir autorisé le recours dans les bases américaines en Afghanistan, en Irak et à Cuba : allo Rama ? Un petit rappel des méthodes, dans un excellent article du blog La Mouette : "privations de sommeil, soumission à des températures extrêmes, simulacre d’étouffement ou début d’étouffement (avec le recours au supplice de l’eau déjà utilisé au moyen-âge), stations debout prolongées et attachées, intimidation à l’aide de chiens, humiliations sexuelles…" Appouvées par Rumsfeld lui-même, puisqu'un mémo censé rester secret, signé de sa main, autorise nommément : "Le cagoulage, l’exploitation des phobies, les positions stressantes, la privation de lumière et les stimuli auditifs, le retrait des vêtements, l’usage de chiens, [ou encore] l’usage de contacts physiques modérés et non préjudiciables tels que l’empoignade, le pointage du doigt dans le torse, et la légère poussée, [ainsi que] d’autres tactiques coercitives habituellement interdites." Sympatoche. La ligne de Rama Yade sonnera-t-elle désespérément occupée ?
Axe Washington-Paris-Tel Aviv
Le programme de Sarkozy inclut aussi, outre les rencontres avec Bush et Rice, celle de Adrian Fenty, maire de Washington, "plus jeune maire élu des Etats-Unis, métis, et donc symbole d'une Amérique métissée, travailleuse et ambitieuse que le président affectionne" (tête-à-claques Martinon). Avec Dati et Yade, il est vrai que Sarkozy lui-même a pris soin de se mettre au diapason dans le registre métissé et ambitieux ! "Le chef de l'Etat doit également décorer six vétérans américains de la Deuxième guerre mondiale, qui ont participé au débarquement allié, rencontrer la communauté française de Washington ainsi que les représentants des principales organisations juives", annonce enfin une dépêche de Reuters. Stupeur. Que vient faire ce rendez-vous avec les principales organisations juives ? Ou Sarkozy va-t-il aussi voir les associations chrétiennes, musulmanes, bouddhistes ? Apparemment pas. Mais alors, pourquoi les juifs ? Et quel discours leur tiendra-t-il ? Parions sur le droit d'Israël à se défendre, mais les droits du peuple palestinien ? Le mur interdit par l'ONU de séparation avec les Territoires ?
Dans le contexte proche-oriental, où l'on sait qu'un rien peut parfois mettre le feu aux poudres, le geste de ne rencontrer que les organisations juives ne manquera pas d'être interprété comme l'engagement tacite de la France, kidnappée par un ultra-atlantiste, aux côtés des faucons, néo-cons et soutiens inconditionnels d'un Etat hors-la-loi, Israël – qui viole constamment les résolutions de l'ONU et maintient le peuple palestinien dans l'oppression.
Nico et Ehud
L'illustration "American Sarko" provient du blog Sarkostique.