En clôture de l’émission Ce soir ou jamais (F2), consacrée à l’obsolescence des partis socialistes ou sociaux-démocrates et à l’émergence de mouvements dits citoyens (Podemos, Nuit debout…), Denis Robert était invité à évoquer les Panama Papers et leurs suites… Pour lui, qui fut lanceur d’alerte avec l’affaire Clearstream, la prochaine crise financière pourrait générer un sursaut insurrectionnel. En clair, une, des guerres civiles…
Le constat est clair, et les invités de l’émission Ce soir ou jamais en ont éclairé les causes, l’Europe (pour n’évoquer qu’elle) se droitise, du fait de la carence ou de la complicité objective des partis de droite ou de la gauche dite socio-démocrate (ou socio-libérale, c’est devenu tout un). Comprenez que ce « ou » est ici en large partie inclusif et non exclusif. C’est ce qu’exposent, à la base, tant un Aïssa Lacheb dans son dernier essai, Choisissez ! (voir par ailleurs sur C4N), que les petites foules des grandes places de Paris, Nantes, Toulouse, Lyon… L’un est fort peu médiatisé, les autres le sont faussement (on montre des images, on en cause, sans vraiment trop approfondir).
Mais un Jean-François Kahn et les autres invités de Ce soir ou jamais (la nuit dernière), émission dont l’intitulé – « Hollande et Valls victimes de la gauchisation du monde ? » – a trouvé sa fausse réponse, même si l’une, Lætitia Strauch-Bonart imagine encore que le capitalisme puisse être régulé en douceur et qu’il ne devrait plus pouvoir nous placer un Sarkozy à la tête d’un État (ou bientôt une Le Pen, donnant mieux le change), ne disent guère autre chose que Lacheb… La rédaction avait trouvé son noctambule vertical avec Manuel Cervera-Marzal, jeune sociologue, auteur des Nouveaux désobéissants, qui ne représente sans doute que l’une des multiples facettes d’un mouvement émergent et peut-être éphémère. Mais en dépit des divergences affichées (pour faire un « bon » débat médiatique, il faut les susciter), même Renée Fregosi était, sur le fond, sur le constat, en accord avec lui. Ce qu’a fort bien résumé Chantal Mouffe, universitaire : ce que nous vivons, ce qu’on nous fait vivre est « obscène ». Elle enseigne au Royaume-Uni, j’ai entendu un obnoxious (odieux, infect, ignoble) au creux de sa diction française.
Un mot sur Renée Fregosi qui est cheffe de file du mouvement Printemps républicain, proche non pas du PS, ni vraiment de l’un de ses courants formellement identifiés, et l’une de ces « socialopes » que fustige Riposte judéo-christique (Riposte laïque) parce qu’elle est justement et laïcarde, et farouchement opposée à l’islamisme, mais aussi, disons-le ainsi, fraternelle, et socialiste anti-autoritariste, nostalgique du temps de Léon Blum et du Front populaire (qui était aussi, rappelons-le, un mouvement véritablement national, mais non pas xénophobe, et même « assimilant »). Pour elle, et elles et eux, ou moi-même « la laïcité est le ciment du contrat social républicain ». Fort bien, mais comme l’a mis en lumière Denis Robert, si ce n’est pas accessoire, la financiarisation, qui s’accommodera fort bien du Front national, sape d’autres fondations.
Pour Denis Robert, même s’il ne l’a pas exprimé ainsi, entre un Sarkozy et un Sapin, les différences sont ténues. Le premier jurait-crachait que les paradis fiscaux appartenaient au passé, qu’à lui seul, tout comme il avait rétabli la paix en Géorgie, puis en Libye, &c., et sauvé l’Europe, tout allait désormais pour le mieux dans le meilleur des mondes. C’est Pinocchio réincarné, et pourtant, s’étonnait-il, il se trouve encore des gens pour l’entourer, des partisans pour l’idolâtrer, et même des journalistes pour se déconsidérer en lui donnant encore la parole et véhiculer l’illusion qu’il conserve une dose (même infime) de crédibilité. Une presse, diurne ou nocturne, encore debout, ne devrait plus recueillir le moindre de ses propos.
Pour rangée « à droite » qu’elle se définit, même Lætitia Strach-Bonart pourrait acquiescer. Elle en appelle à « l’accountability » des décideurs : soit à ce qu’ils devraient rendre des comptes. Mais l’aristocratie technocrato-financière ne rend de comptes qu’à elle-même. Ou s’arrange avec des affidés (Macron ? Sapin ?).
Pour Denis Robert et quiconque suit un peu de près ou de loin l’actualité, si Sarkozy est un Pinocchio, Sapin nous la joue Guignol. « Qu’est-ce que tu as glandé, mec, depuis deux années qu’on t’explique que c’est grave ? Qu’est-ce que tu as fait pour Antoine Deltour ? Pour Hervé Falciani ? Pour Stéphanie Gibaud ? ». Cela, c’était pour sa page Facebook. Hier (enfin, ce matin), il a brocardé le Pierrot lunaire qui fait semblant de découvrir notre satellite.
Sapin, ni tout autre au gouvernement, et pas grand’ monde sur les bancs PS des assemblées, n’a rien fait pour les lanceurs d’alertes, n’a pas mis les pieds dans le plat à Bruxelles pour que le Luxembourg (et quelques autres) subisse ce que les É.-U. ont fait pour la Suisse et pour le plus grand profit de leur État du Delaware (autre paradis fiscal).
Il n’en a pas parlé. Mais vous souvenez-vous des accointances de Cahuzac et de membres éminents du Front national pour optimiser des placements dans des paradis fiscaux ? De même, la presse ne nous parle plus du Carlyle Group (arrangements Sarkozy-Kouchner). Le format de ces émissions ne permet pas de marteler les évidences.
Mais dans un silence interloqué, et sans susciter de contradiction ou l’expression de nuances, Denis Robert a conclu dans un silence qui aurait pu être glacial et qui ma part figé, en évoquant la crise des subprimes. À l’époque, les États, les banques centrales européennes, &c., ont sauvé la mise des banques, des quelque 28 banques dictant leurs conduites à leurs anciens ou futurs employés de la technocratie financière dans la haute administration et la caste politique. Sauf que, si une telle crise se reproduit – et elle ne peut actuellement que se reproduire – on a trop taxé, trop infligé d’amendes routières ou autres, trop imposé les contribuables pour dégager assez d’argent afin de rebattre à l’identique les cartes. D’où le risque de guerre civile. Et pour tout redouter, de l’écrasement d’une nouvelle Commune de Paris par de nouveaux Versaillais.
Les caisses publiques sont à sec, et ne peuvent plus renflouer les caisses privées. Les pauvres et moins pauvres ayant été saignés sont trop exsangues pour perfuser leurs sangsues financières.
J’ai souri en lisant, sur un blogue-notes de Médiapart, un contributeur remémorer que Denis Robert exposait les mêmes (mé)faits au siècle dernier, voici quinze ans, et évoquer « les journalistes couchés ». Rester debout, pour un journaliste lambda, c’est quasi-impossible. On peut. Par sursauts. Ce qui m’advient encore. J’ai payé le prix, je n’ai plus rien à régler, insolvable. C’est plus facile. Vous accordez encore foi en Montebourg et Peillon ? Qu’ont-ils donc fait ? Ils devaient eux aussi en finir avec les paradis fiscaux. D’où la conclusion de cet abonné de Médiapart : « journalistes, ayez au moins la décence de rester couchés ou faites votre boulot et reprenez le flambeau là où Denis Robert l’a laissé. ».
Oui, évidemment. La rédaction du Monde s’honorerait de faire grève, ainsi que celles des autres titres (108) ayant diffusé les Panama Papers, pour que l’affaire des Luxleaks n’aboutisse pas à la condamnation du lanceur d’alerte. Nous protégeons nos sources ? Prouvons-le. Sauf que mon compte, à part faire la grève de la faim, je ne vois pas trop.
Comme le dit Denis Robert à propos de la Société générale, à quoi sert donc une filiale offshore si ce n’est à dissimuler. Quoi ? Les profits des trafics de cigarettes frelatées ? D’organes humains ? De la surpêche ? Des faux médicaments ? Bref, des profits engendrés au mépris de notre devenir, de notre survie. Ou alors, je me méprends, je n’ai rien compris : qu’est-ce qui est profitable et nécessite de dissimuler ? Je plaide d’avance la naïveté, et une comprenette handicapée par des études fort loin de celles de la sphère financière. Ma possible méprise en découle.
Ce que ces gens doivent comprendre, c’est que la ceinture d’explosifs n’est pas l’exclusif apanage de l’État islamique. S’il s’agit de survie, on pense à ses enfants et petits-enfants. S’il n’est plus d’espoir, plus d’utopie, comme le déplorait J.-F. Kahn, la dernière, possiblement illusoire, c’est de se laisser soi-même persuader qu’il vaut mieux ne pas rester couché. Qu’est-ce finalement que Nuit debout et d’autres mouvements ? L’affirmation de l’espérance qu’il est d’autres voies. Qu’il est encore possible d’avancer sans en arriver à de telles extrémités. Ce que nous n’avons pu, ni su, transmettre, à qui s’en remet à la charia, un éventuel dieu rédempteur, ou à un sauveur suprême, parent autoproclamé bienveillant de la nation.
Alors, prenons au sérieux, pondérons vraiment l’avertissement de Denis Robert. La prochaine crise financière peut s’envenimer et devenir fatale à beaucoup d’entre nous. Prenons les devants. Choisissons, comme nous exhorte Aïssa Lacheb. Maintenant.
Chronique des siècles qui s’achèvent :
1ere Epitre de Jean 5:19
[b] »Nous savons …
que le monde entier
est sous la puissance du malin. » [/b]