De retour de la manif du Strass (Syndicat du travail sexuel), je me pose dans un troquet et tombe sur le billet emberlificoté de Pierre Marcelle dans Libération. On ne sait pas s’il est vraiment pour ou carrément contre la proposition de loi de pénalisation des clients de la prostitution mais en tout cas, comme tout le monde, il est contre la traite des femmes. Quelle folle témérité, quel panache ! Voilà le résultat de l’intimidation, d’un faux débat, manipulé par des dirigeant·e·s de partis politiques en se préservant bien de consulter leurs bases.

Évoquons déjà les manifs et les autres « forces en présence ».
En séance, ce jour, ce fut de moins de vingt à un peu moins de trente parlementaires au maximum pour faire semblant de débattre de la loi de pénalisation des clients de la prostitution.
On devrait bien sûr écrire « clientes et clients », mais, sur ce point, suivons Vaugelas et les grammairiens.
Il s’agit bien de pénaliser les clients et d’espérer que seuls les plus fortunés, ceux dits de la « haute gastronomie » des escortes les plus huppées, ou les plus malins d’entre les fauchés, puissent continuer à fréquenter impunément des prostituées fragilisées.

Pour soutenir les parlementaires prohibo-abolitionnistes, moins d’une centaine de prétendu·e·s « féministes ». Moins d’une centaine, ce fut peut-être une soixantaine, et jusqu’à peut-être 80, 85 au plus. Selon Libération ou d’autres titres de presse, « une cinquantaine au total ». Ce qui reflète parfaitement l’adhésion de la base, des sympathisant·e·s, &c. Finalement, tout le personnel associatif, contraint ou non (il se dit qu’à la base, les effets de la loi sur les contraintes sont très contestés), qui n’avait pu se « défiler&nbp;», était venu se faire voir de quelques dirigeant·e·s. Les autres ont peut-être pensé que c’était gagné d’avance…

En face, pour une fois, on peut s’en remettre aux chiffres de la police et de l’Agence France-Presse.
À peu près 150 prostitué·e·s, femmes, hommes, trans, et de divers genres, mais cette fois un peu plus de femmes (et une douzaine de prostituées du haut de la rue Saint-Denis, peut-être davantage, mais les autres seraient venues en ordre dispersé). Beaucoup se sont abstenues, pour diverses raisons, dont celle-ci : le sentiment que c’était perdu d’avance.
Mais parmi ces manifestantes, comme c’est bizarre, des féministes, des électrices de gauche.
Sauf que, l’assistance était un peu plus fournie (dans les 200 personnes au total) car des soutiens divers se sont manifestés eux (et elles) aussi.
Notamment un courageux adjoint au maire de Palaiseau, un PRG, ceint de son écharpe d’édile municipal.
Aussi un député écolo, Sergio Coronado, opposant au texte, que le député PS Jean-Marc Germain a quasiment assimilé à un « salaud » qui penserait « touche pas à mon calbute ».
Parmi les femmes du Bus des femmes, des féministes.
Et que dire de cette militante des la Ligue des Droits de l’Homme ?
Parce qu’elle ne proclamerait pas qu’elle défend les droits de la femme et de l’homme, ce serait donc une anti-féministe, une vieille machiste blanche ?
Ou cette insolite indépendante, venue en talons aiguilles : pas assez féministe, pourquoi donc ?

C’est vraiment le bal des faux culs et des taiseuses et taiseux (Fillon, Bayrou, par exemple, à l’assourdissant silence). La hardiesse consiste, pour Jean-Louis Borloo, à dire qu’il ne sait pas sur quel pied danser et « quelle est la bonne décision ». Alain Touret (radical) a tenté de contourner la difficulté en soulignant l’incohérence de la PPL. Effectivement, celles et ceux assimilant toute fréquentation d’un, d’une prostituée, à un viol, et demandant seulement six mois d’emprisonnement plus des amendes, se contenteraient à présent d’une simple contravention ? C’est illogique : s’il s’agit d’un viol, c’est donc passible des assises.

Si l’on accorde un minimum de crédit aux sondages, les dirigeant·e·s de gôche n’ont absolument consulté la base du PS, du PCF, du Parti de gauche, et de diverses composantes du Front de gauche. Certes, Clémentine Autain a tenté de ménager la chèvre et le chou en disant qu’elle refusait « tout ce qui rendrait plus difficile encore la vie des prostituées » sans trop s’opposer frontalement aux autres dirigeant·e·s dont le stalinien démasqué qu’est Jean-Luc Mélenchon. À toutes et tous, il faut opposer la refutatio implacable de l’immonde mensonge de Maud Olivier (PS). Elle a menti sur des chiffres, totalement détournés, trafiqués, manipulés.
Elle s’est aussi déshonorée en proclamant, sur le mode de la fausse interrogation, qu’« il suffirait qu’une seule prostituée se dise libre pour que l’esclavage des autres soit respectable et acceptable ?».
Eh bien oui, une seule suffirait pour retoquer la pénalisation de ses clients.
Et bien oui, pour mettre fin à l’esclavage des autres il faudrait bien d’autres mesures, bien d’autres plus puissants efforts budgétaires, pour simplement entamer un tant soit peu l’esclavage des autres.
Or, elle sait fort bien la minable portée de ses préconisations…
Elle sait fort bien qu’elle devrait se faire porter pâle et oublier si ne serait-ce que le dixième de ces présumées « esclaves » (il en est de réelles) en venait à toquer aux portes de qui saupoudrera les fonds de la lutte contre le proxénétisme.

Mais il faut être logique et conséquent. Poursuivre des mineur·e·s suivant une scolarité ou des études supérieures en tant que proxénètes. Car elles et ils condamnent leurs mères à l’esclavage.

Au doigt mouillé, mais en fonction de remontées d’observations, de témoignages, le Strass considère que les « esclaves » selon les définitions (à fort large portée) des prohibo-abolitionnistes, pourraient représenter entre 15 et 20 % des travailleuses du sexe prostituées. Bref, en comptant celles qui remboursent des prêts familiaux, il pourrait – je n’affirme absolument rien – s’agir d’un petit cinquième du « système prostitutionnel ».

Les « prostitueurs » que sont les clients sont pour la plupart déjà sensibilisés et ils n’hésitent pas trop (litote) à signaler aux associations des cas suspects de prostituées qu’ils suspectent d’être contraintes. Sauf que ce fait a totalement disparu, alors qu’il était auparavant signalé, de l’actuelle prose prohibo-abolitionniste.
Alors, bien sûr, qu’ils soient davantage sensibilisés, pourquoi pas ?

Mais les pénaliser, ne serait-ce qu’avec de fortes amendes, ou par le financement de stages auprès du Nid et des associations prohibo-abolitionnistes, c’est mettre le doigt dans l’engrenage.
Les fortes paroles de Maud Olivier reviennent, dans un autre domaine, à réclamer le rétablissement de la peine de mort de peur que la ou le moindre coupable récidive.
Tant pis pour les innocents, les victimes d’erreurs judiciaires !
Donc, de peur que l’amende ne suffise pas, on passera au délit, voire au crime, et donc aux assises, systématiquement.
On comprend que la garde des Sceaux soit réticente : l’encombrement des tribunaux par des prostitueurs ne ravit pas la magistrature.
Mais toutes et tous savent fort bien que la prostitution deviendra plus invisible encore, plus dissimulée, que les plus contraintes ne pourront plus mettre le moindre pied dehors, s’approcher d’une fenêtre, alors… Mais que leur importe ?

Mais le réel problème, c’est qu’en dépit du matraquage prohibo-abolitionniste, très visiblement, l’opinion ne suit pas. Les instituts de sondage sont certes peu fiables, mais quand on atteint des 58 ou des 72 %, la marge d’erreur subsiste, mais on peut vraiment penser qu’une majorité s’oppose à cette loi, y compris chez les militantes, les sympathisants des partis se prononçant pour son adoption. 

Venons-en à Pierre Marcelle qui, peut-être pour ne pas encourir les foudres d’un Jean-Marc Germain lui envoyant qu’il ne penserait « qu’à son calbute », signe un « Pour l’abolition, et les moyens de l’abolition ». Pour lui, si une prostitution « véritablement heureuse et choisie » était possible, il faudrait l’appeler autrement. Cette prostitution choisie existe. Est-elle heureuse ? Pas forcément, certes pas à chaque passe, &c. Mais que voulez-vous, plutôt que la fréquentation d’une Maud Olivier ou d’un Pierre Marcelle, les putes préfèrent la fréquentation d’autres putes.
Et plus je les approche, les interroge, converse, m’enquiers de leurs vues, plus je les comprends.

Or donc, Pierre Perret, Georges Brassens, Jacques Brel, ne pensaient qu’à leur calbute. Pierre Marielle s’émeut pour « la fille qui reçoit dix, trente ou cinquante fois par jour ». Tout d’abord, c’est vraiment l’exception et non la règle, mais, oui, s’il n’en était qu’une, nous ne l’estimerions pas moins en danger, et effectivement, on peut tout à fait admettre que tous les clients ne détectent pas que telle ou telle est contrainte à un tel nombre de passes (même une douzaine, c’est déjà beaucoup). Mais faire de Perret, Brassens, Brel, &c., les employeurs et contractants des proxénètes, leurs simples complices et sous-traitants, permettra-t-il de faire reculer la traite ?

Pierre Marcelle, tout en admettant que les clients ne soient pas des violeurs, des monstres, passibles des assises (ce qui serait logique), feint de croire que la loi serait adéquate, idoine et adaptée à la situation du moment que seraient dégagés des moyens à la hauteur. Déjà, ceux avancés sur le papier (concrétisés, ce sera une autre affaire) sont largement insuffisants pour ne répondre qu’à une, deux ou trois centaines de cas annuels.
Si toutes les « victimes » recensées à louches d’ogresse par Maud Olivier se présentaient au guichet, cette gôche-là préférerait sans doute, de sa main sénestre, rétribuer en loucedé leurs proxénètes pour les séquestrer davantage.

J’entends ainsi faire pressentir que cette gôche-là ne veut en fait que quelques victimes « têtes d’affiche », soit des faire-valoir. C’est en tout cas, à présent, mon intime conviction. Sergio Coronado, député EELV, résume : « vous opposez des femmes toujours victimes, des hommes toujours coupables ». Des victimes suffisamment médiatiques pour diffuser cette vulgate, voilà l’objectif réel de cette proposition de loi.

Le chef du gouvernement, le président de la République, se sont laissés piéger par un lobby.

Najat Vallaud soutient que le gouvernement s’appuiera « sur toutes les associations, de toutes orientations » pour favoriser le « parcours de sortie » des prostitué·e·s désirant exercer une autre activité. Mais le Strass, le Bus des femmes, ne demandent pas mieux. Car la sortie progressive est sans doute beaucoup plus réaliste que la sortie immédiate. Ah, non, foin de réalisme, il s’agit d’idéologie, et d’une « victoire » à proclamer, d’abord pour soi-même, accessoirement pour les prétextes invoqués, les fameuses victimes.
Comme l’exprime Jean-Marc Germain il s’agit « d’envoyer des messages au monde ». Allo, allo, non mais quoi, Houston ? Vous m’entendez ? Vous pouvez renvoyer ma puissante voix universellement ?

20 millions d’euros ! Combien pour organiser des sessions, combien pour recruter des formatrices et formateurs, combien pour les encadrer, et combien au final pour chaque demandeuse, chaque demandeur d’aide ?

Bien sûr que, comme François de Rugy (EELV), d’emblée, l’abolition de la prostitution me semble une belle idée fort séduisante. L’idée est sans doute partagée par les actrices et acteurs de terrain, celles et ceux de Médecins du Monde, par exemple. Celles et ceux du Planning familial. Bref, quiconque a bien voulu écouter des prostitué·e·s sans parti pris, sans préjugé, sans trop d’idées reçues et inculquées, sans être trop gavé de propagande, pensent que la pénalisation du client fragilisera toutes les « victimes ».

Les « bons » sentiments invoquées par les (enfin, des) dirigeantes et dirigeants du PS et de Front de gauche qui font de « l’affectueux du dimanche » (réplique des Tontons flingueurs) un violeur, qui ont pris leurs éléments de langage dans l’argumentaire du Parti évangélique suisse (PEV), mais l’ont encore corsé, radicalisé, leur sont montés à la tête.

Au moins, en Suisse, le Parti évangélique, qui attend qu’un rapport soit discuté en 2015, espère « qu’il contiendra cette distinction entre prostitution librement choisie et forcée&nbsp». En France, PS et Front de gauche et mouvements « féministes » (car infantiliser les prostituées, qu’est-ce donc d’autre que de la misogynie ?) affidés ont tenté de faire avaler le postulat qu’il ne peut exister de prostitution autre qu’imposée par les prostitueurs, les clients.
Il se trouve que cette fausse évidence ne saute plus du tout, du tout, aux yeux du public et de ce qu’il reste d’électorat.

« Vous couchez avec nous, vous votez contre nous », scandaient les prostituées manifestant. C’est vrai, et faux… puisque beaucoup s’abstiendront, ce qui, de fait, revient au même puisque le PS et le Front de gauche vont tenter de faire respecter la discipline de vote… Jean-Marc Germain a finalement raison, c’est bien « touche pas à mon calbute », même si cette abstention révèle à quel point il n’y a vraiment que très, très peu dans ces caleçons ou slips.
Au Sénat, sénatrices et sénateurs auront peut-être plus de cœur à faire valoir qu’il leur reste encore des gonades.

On l’oublie souvent : le terme d’abolitionnisme, en matière de prostitution, fut tout d’abord employé par Josephine Butler, féministe chrétienne britannique du siècle avant-dernier. Mais il désignait alors tout autre chose, soit certes la responsabilisation de la clientèle (par l’information, le débat), mais surtout pas la pénalisation des clients ou le harcèlement des prostituées.
Actuellement, les prohibo-abolitionnistes renient de fait les origines du mouvement abolitionniste.