En littérature étrangère, je préfère les auteurs morts, Greene, Dos Passos, Orwell… – Burmese Days n’a pas pris une ridule – aux vivants, et d’entre les vivants, j’affectionne plutôt les obscurs, ou les auteures.
Douglas Coupland, très connu pour sa Génération X, ou encore jPod, à 52 ans seulement, n’est même pas malade, et en sus, barbu.
Un autre truc qui me défrise, c’est de comparer un·e auteure à un·e autre.
Hormis le style, limpide, aisé, servi – et non desservi – en français par Christophe Grosdidier, ce Génération A évoque fort, au feuilletage, les thèmes et constructions narratives de Tom Corraghessan Boyle.
Cela suffit pour en recommander la lecture, mais n’en restons pas là…
Sauf nouvelle traduction (et encore…) ou édition en Pléiade, les œuvres des écrivains et auteures disparu·e·s ne sont pratiquement jamais chroniquées. Ce soin est laissé aux devoirs scolaires ou universitaires, trop rarement disponibles en ligne.
De rares exceptions, comme l’édition annotée par Stéphan Pascaud de L’Antipapisme révélé, de l’abbé Dulaurens, brisent parfois le long fleuve paisible du commun oubli. Dommage. Tel un Laurent Obertone prétendant (fort mal) se mettre dans la tête d’un Anders Behring Breivik (avec Utøya, chez Ring), il faudrait tenter de se projeter vers l’au-delà lointain de 2025 pour rendre compte de ce Génération A traduit vers le français pour Au Diable Vauvert.
C’est en 2025 que se situe l’action d’A Friend of the Earth, de Tom Corraghessan Boyle – paru en 2000, sorti depuis en Poche et en Ami de la terre (sic) – et rarement, à tort, évoqué dans les séminaires prospectifs gouvernementaux. Coupland, lui, campe cinq futurs contemporains à l’époque incertaine où les abeilles sont toutes disparues, comme tant d’autres espèces éteintes.
Je ne vais pas vous dévoiler la fin, mais vers la page 356 (sur à peine davantage), cela pourrait donner une ou des phrases du genre : « Il nous parlait tout le temps de Finnegans Wake… Samantha, coupa Louise, je ne sais pas vraiment comment vous dire… Serge ne voulait pas plus inventer un antidote au Solon qu’il ne voulait crécher sur la Lune. ».
Solon, so long (ciao), so lonely, “nursin’ my broken art”, heu, heart, comme le chantait Sting.
Non, même pas Sting n’est vraiment en rapport avec les abeilles, enfin, ici, ou plutôt là, ou là, soit en Nouvelle-Zélande ou in Atlanta, et trois autres lieux où vivent ou d’où – hiatus à moi que j’aime – proviennent Zack, Sam, et les trois autres. Ciao quand même, planeta bella, d’antan, naguère ou autrefois, et comme le bien nommé Apu (mais ne regrettant rien, rien de rien, même avec pus, ou sans… comme il y en avait avant…), on se sentirait parfois mieux loin des autres, quitte à rester très seul. Julien Picard, non point l’ascensoriste social (celui du cinéaste Van Belle), mais le personnage fictif présumé, par Coupland, auteur de L’Homme qui aimait lire et être seul (Terre avec une t bas de casse pour le Boyle en Poche et Homme avec une h, comme page 253, c’est vraiment un laisser-aller lamentable, je le déplore incidemment), titre dont je présume que le Canadien a conservé tel, avec l’accent québécois, dans l’original (mais ce n’est pas indiqué en NdTr ou ndt., dommage), Picard, Julien, donc, préférera les Sartriens au large de son emploi de gardien de phare, soit sur terre (t car plancher des vaches), vaste sol insulaire ou continental. Entendez qu’il démissionne.
Tout comme T.-C. Boyle, Doug Coupland force un peu le, les traits de nos emplois et travers d’à présent (où d’il y a peu), ceux de nos tics langagiers et comportementaux. Dans ce genre qui ne se rattache pas vraiment à l’anticipation telle que la balisent maisons d’édition et facultés de Lettres, c’est parfois « abusé » (ouah, trop-trop top). Rarement abusif chez les bon·ne·s auteur·e·s (Anne Larue, par exemple). Coupland conserve la juste mesure. Que Krater ait pris la tête de Wyeth Pharmaceuticals ou que ce cabinet financier ait pu fusionner avec ce laboratoire reste plausible. Krater & Wyeth est l’une des rares firmes imaginaires mentionnées.
Quant à Halliday, Johnny, qu’une nouvelle formule de formol l’ait conservé en boîte upérisée qui fait « ah que coucou ! » quand on en soulève le couvercle, cela crédibilise surtout – même si je viens de l’inventer – que Coupland connaît fort bien la France. Mieux que Boyle en tout cas, lequel traîne le plus souvent en Allemagne… patrie natale de Coupland, si l’on considère que l’Otan n’y jouit pas d’extraterritorialité (Landercut, en germain ???).
Les deux sont plutôt géniaux, Coupland étant de plus capable de passer d’une sardine à un ichtus frappé de l’inscription « DARWIN », ce que Boyle lui envie secrètement, c’est sûr de Chez e-Sur (enseigne roumaine qui se mondialise). Réciproquement, je ne sais pas, donc… je m’abstiendrai.
D’habitude, c’est IXΘYΣ ; Darwin, c’est vraiment farce et il faudra que j’y repense fin mars 2014 en prévision du tout début avril. Au crochet, plus épingle à nourrice, ça devrait le faire. Je ne m’attendais pas à moins de l’auteur d’un Life after God (à paraître sous le titre Après Dieu, le déluge, aux éds Michette).
Le texte de quatrième de couv’ n’étant pas affiché sur le site du Diable Vauvert (c’est un prière d’inséré, d’excellente facture, que l’on peut lire), je vous invite à le parcourir en librairie (à partir du 12 prochain chez les bons libraires exclusivement, mais d’autres ont détourné des exemplaires).
Comme ni l’un, ni l’autre, mais le seul communiqué de presse, ne mentionne que Coupland est aussi l’auteur d’Eleanor Rigby et de Girlfriend dans le coma, traduits précédemment, je vous le signale au passage. Il s’est aussi beaucoup intéressé à Marshall McLuhan. Shampoo Planet (1992) ou God Hates Japan (2001), ne doivent pas être mal non plus : qui soigne ses cheveux et déteste les pékinois, euh, les chichibus ou les hokkaïdos nippons, ne peut être foncièrement mauvais. Worst Person Ever promet.
Revenons à nos ovins ou hyménoptères et au « monde qui advient » (une trouvaille dardant vers Coupat, Julien, peut-être inspirée par le patronyme de Douglas). La petite ville d’Y (dans la Somme) n’est pas devenue métropole de la nouvelle vallée incubatrice, mais le dernier chapitre s’intitule Harj. Tout comme le premier (et d’autres).Ach! Harj ! Comme Tégar Perdunor, pardon, Taggar, Harjeet, un djik. Ou Gill, Harj, inoubliable auteur d’Own your Home Years Sooner & Retire Debt Free, nouvelle bible de la politique fiction.
En fait, c’est un gars qui a survécu à un tsunami genre ukrainien sylvestre. Il ramasse des ratons laveurs crevés sur le rivage (si vous lisez le bouquin, ce à quoi je vous incite fortement, comprendra qui voudra ou pourrave). Rien que pour ce « nous avons refait du monde un livre », les vraies lectrices, les authentiques lecteurs, bref, celles et ceux que je m’efforce d’imiter tel le curé d’Ars ou Jean Tauler font avec « la vie pauvre » (j’ai appris récemment que Jesus était un prénom féminin capverdien : Douce Jesus des Saintes-Petites-Écuries, refais-moi un miracle dans ta Très Glorieuse Cour ; pour le Tauler c’est traduit du moyen hochdeutsch, à mi-pente, quoi…), voudront acquérir et se prêter, faute d’avoir pu le récupérer pour le relire, ce Génération A. Quoi ? Bon !
Tout bon bateleur de bouquin sait qu’il lui faut trouver une phrase laudative bien sentie pour que la maison d’édition le cite ainsi que le titre ou le site pour lequel il pige (pas grand’ chose). Là, ce pourrait être « Coupland, chantre d’une solidarité lucide, n’en ricane pas moins vertement à nos frais, et sa Génération A restera constamment hilarante ». Sauf que, là, c’est un peu long. Tentons la sobriété avinée : « Génération A ? Quoi ? Bon ! » ; ce qui, finalement, mine de rien, fournit un échange denrées-pensées (comme pétrole contre vivres, mais là, c’est thoughts) qui reflète assez bien le massage (de l’inventaire des effets de Coupland).
Sans trop d’effort, qui aura apprécié ce Génération A devrait aussi se régaler avec les Guerriers amoureux de Jean-Louis Costes. Pour mon désespérant cas, et réciproquement (les Guerriers ont été chroniqués surCome4News). Sauf que Costes n’est pas très fildefériste sur la ligne Iowa State que Coupland syntaxise plus bourgeoisement, sympathiquement, en très honnête auteur à succès mérité.
Puisqu’il y a un haut-allemand moyen, pourquoi pas une semi ou hémi-anticipation ? Déjantée du réel, dé-chapeautée du cyclique, tel un paon déplumé appareillé comme nul autre d’une prothèse à moitié sphérique, s’affranchissant de la morne quadrilogie mari/maîtresse, épouse/amant, nombril/rectum, inclusif et/ou exclusif, couplandine du sommet de l’Aconcagua aux tréfonds de la tourangelle fosse marine et au-delà, très loin sous la gare de Perpignan, au plus enfoui méridional des Mariannes ? D’aucuns préféreront couplandienne, cela se discute. Une idée à creuser, Génération A (puis peut-être Z, après Génération X) nous y incitera encore, circa 2025. Enfin, si Nostradamus nous le permet.
Coupland, avant Étienne Liebig (chercher ce nom sur Come4News), mais quasi aussi bien, excelle dans le pastiche (et ce qui ne gâte rien, goûte le « chou-fleur Knorr »). En référence à l’item trois de la quadrilogie supra, on trouvera un extrait très (hiatus que j’emprunte à qui je n’aime pas) significatif de la veine harlequinesque 2015 (coll. automne-hiver) avec le Diana Beaton, Le Pasteur et sa salope de prêtresse, adultérine, évidemment. Propre (si j’ose) à faire ronronner ou ahaner veilleuses et veilleurs (pas sur la place publique, quand même…).
Il y a pourtant tout plein d’élévation spirituelle et de clefs du temporel dans ce roman. Tenez, « les cinq premiers beignets que j’ai mangés avaient un goût divin ; le sixième m’a donné l’impression d’être une truie ». Outre cet emploi, rare chez les Nord-Américain·e·s du point-virgule (en romain dans l’original), on relèvera la fine allusion à la folcoche de Marie Darrieussecq et l’évidente référence à saint Thomas Defourkinos, célèbre higoumène. Le « jeune scientifique français » (spécialiste ès signalétique cervicale) qui ne vivait pas à Locarno renvoie évidemment à la marquise five o’clock de Mauriac. Cette acuité, cette formidable perspicacité clairvoyante (anglicisme, ici) de Coupland est d’ailleurs reflétée subtilement (l’un des personnages, Diana, décrypte du corps quatre, en graisse light, ce que je mets quiconque apte à lire trois lignes de nonpareille au défi de relever, surtout lorsqu’il s’agit du moule de l’arial-like light). L’initial relou quart de seconde de l’aube d’une prémonition laisse très clairement entrevoir que ce bouquin fera causer largement, y compris hors des turnes hypokhâgneuses, ce qui, de nos jours, n’est point mince exploit, les chaumières s’illuminant davantage de la lueur des étranges lucarnes que de celle de l’âtre auprès duquel Yvonne vint s’asseoir.
Avant qu’il soit de bon ton de prétendre l’avoir lu, autant prendre le plaisir non-facultatif de le lire. Tel l’était Julius Richard, Douglas Coupland est pétri de culture européenne, de savoirs encyclopédiques, mais il nourrit le fort bon goût de se borner à le laisser subodorer par légers fumets discrets. Plus au sud de Vancouver, un vernis dickensien, augmenté des versions cinématographiques de Saint Joan et Pygmalion, et Wikipedia version Simple English suffisent à de remarquables auteures et écrivains. Le régal qu’offre Coupland est autrement, copieusement davantage, roboratif.
À déguster en compagnie d’un dandelion wine de garde (de Cornouailles de préférence, mais un artisanal dandewine de Pleasanton, Texas, peut convenir), en croquant du Toblerone (ou en suçant une Ricola alpine si en sevrage alcoolique). Le prix, guère plus de 19,99 euros, est justifié par le nombre de pages – plus de 352 imprimées, quatre vierges, d’autres en techniques mixtes – et la réputation de l’auteur (ainsi que la rapacité de son agent). Dans une bibliothèque, la tranche jaune et l’A capitale noire (ou demi-grasse, mais N de CMJN) est du meilleur effet ; elle se détache bien, le Belzébuth tendant son croupion attirera l’œil et tout un chacun témoignera de votre élévation de pensée.
Le site Le Choix des libraires présente un extrait qui remémore Prévert, trop court, mais… et l’appréciation élogieuse de Jérôme Dupuis (L’Express). Finalement, ce jeune Dupuis n’est pas si niais.