L’armée égyptienne semble s’enorgueillir d’avoir mis fin au désordre que semaient depuis plus d’un mois les partisans du président destitué, Mohammad Morsi. A bord de leurs bulldozers blindés, les militaires ont fait le ménage à Rabaa Al-Adawiya, à Nahda, deux Places emblématiques du regroupement des partisans de la confrérie. Un nettoyage radical, genre karsher, à un prix qui dépasse l’entendement, témoignant de ce fait avec force acuité du peu de déférence que voue le pouvoir  épris de démocratie, aux héritiers de Hassan el Banna et surtout à l’intrinsèque valeur humaine. 

Le sang a coulé à flots ; il paraît qu’à côté les vieux déboires de la Place Tahrir ne sont que plaisanteries. Et pourtant la médiation internationale aurait, dit-on, fait des pieds et des mains pour empêcher ce qui s’apparente à un carnage : mais comme d’habitude, sortir l’Egypte de sa politique minée par cet infernal bras de fer entre militaires et islamistes s‘est avéré au-dessus de ses moyens, malgré le contenu conséquent de sa « boîte à outils » : libération des prisonniers, amendements de la Constitution, élection en 2014. 

La plaisanterie aurait sans doute assez duré au goût de l’armée dirigée par le chef d’état-major Abdel Fattah al Sissi pour lequel « les Ikhwanes représentaient l’avenir de l’humanité »avant sa reconversion ; impatiente toutefois, la grande muette se tenait à l’affût de toute opportunité pour retrouver le lustre d’antan.  

S’additionnant les unes après les autres, les bourdes de Morsi nécessaires mais insuffisantes ont eu le mérite de paver la voie royale du retour des galonnés ; un de ces retours gagnés pour le moins au forceps à force de perfusion manipulatrice à l’endroit des détracteurs du président Morsi.Et voilà l’Egypte bon gré, mal gré parti à nouveau pour un autre tour ! Un tour gagné au détriment des Ikhwanes qui se retrouvent sur le carreau  mais qui entendent vaille que vaille recouvrer leurs droits, sortis tout droit des urnes.  

Et dire qu’il y a peu l’Egypte se croyait sortie d’affaire, en passe de conquérir cette liberté tant convoitée ; ce n’était que pur mirage au doux parfum insaisissable (chèm wou la tdou2) ! Mais qui veut donc à tout prix lui réenfoncer la tête sous l‘eau en y allant fort entre état d‘urgence et couvre-feu ? Qui veut lui voler ses aspirations à la dignité, à la vie ? 

L’armée fort aise qui s’imagine désormais que tous les non Ikhwanes réunis devraient l’encenser pour ce coup de maître sanglant risque de bientôt déchanter en se découvrant désavouée :  les désolidarisations n’ont pas tardé à apparaître aux premiers rangs desquelles celles de l’imam d’Al Azhar, de Mohammad Al Baradei, un autre prix Nobel à la Obama. C’est aussi sans compter sur d’éventuelles alliances de circonstances, comme celles des deux rivaux que sont les salafistes et les Ikhwan, selon les dires de certains !  

Dans ce contexte macabre, il y a de quoi se raviser et se dire de vive voix partisan du goupillon et surtout pas du sabre : le premier ne faisant que durer le temps du mandat qu’on lui confère alors que le deuxième lui, peut s’imposer le temps de toute une vie. Parfois. 

Mais au vu de ce qu’il se passe dans les pays voisins, il y a matière à se demander si sous ces cieux on n’a pas vraiment pieds et poings liés malgré des quelques réactions qui au final ne sont que pacotilles ? De troublants dénominateurs communs au Proche-Orient qui laissent à penser qu’en coulisses certains doivent s’activer pour faire sonner en série  les glas du pluralisme avant de planter le décor final. 

Hier, en fin d’après-midi, dans la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah, un attentat sanglant à la voiture piégée a semé encore la mort ; une étrange coïncidence : Hassan Nasrallah, en plus de son soutien à Bachar el Assad a manifesté clairement son empathie pour les Ikhwanes…

Aujourd’hui "vendredi de colère", jour de prière, des rassemblements des pro-Morsi sont attendus au Caire. En cas de débordements, l’armée autorise la police à tirer à balles réelles. C’est dire…