Que lis-je sur Rue89 ? Que depuis les années 1970, les Éclaireuses et Éclaireurs de France ne prononcent plus de promesse et n’arborent plus l’uniforme, les flots de patrouille au vent, les badges constellant la poitrine ? Scrogneugneu ! J’aurais eu l’air de quoi, sans lui, et le quatre bosses masquant l’acné sur le front, pour dragouiller les guidouilles ?
Si, Parisienne ou Francilien, vous ne savez pas trop quoi faire ce dimanche, allez donc chahuter un peu l’ethnoanthropologue Maxime Vanhoenacker, qui, à partir de 14 heures, s’exprimera au musée du Quai Branly sur le thème « Pourquoi les scouts jouent aux indiens ». Je sais qu’il n’y est pour rien, mais dans un entretien avec Aurélie Champagne, sur Rue89, il m’apprend que les Éclaireuses et Éclaireurs de France auraient relégué depuis fort longtemps le « quatre bosses », le feutre de Baden-Powell et de la Police montée royale canadienne au grenier. Horreur ! Malheur !
À fréquenter les gares (d’où partent les jeunes et les aîné·e·s des divers mouvements scouts), j’aurais dû m’en douter. La dernière scène d’accablement qui me fut infligée fut celle de ma fille, au retour d’un camp, débarquant telle une vulgaire « mono », avec ses copines et les petites guidouilles unionistes (louvettes et pré-adolescentes), en survêtement de pékin débraillé, avec tout juste un foulard noué autour du cou, sans même le nœud de cuir réglementaire (ou l’os creux, ce que que son statut d’assistante de la cheffe de camp aurait pu, à la rigueur, autoriser). J’ai jeté un regard suspicieux aux autres parents et j’ai tancé ma fille d’importance ! Non mais… M’en f’rez six, dont trois de salle de police.
Ma fille est très, très modérément huguenote, c’est son choix. Pour mon compte, je ne suis pas sectaire. J’avais sans doute d’abord dû fréquenter une meute catho (« Bonne chasse, Akéla » – « Yahou, mes loups ! »), brièvement, et je ne m’en souviens plus. Puis, peut-être pour manifester mon esprit rebelle à la religiosité et me distinguer de mes condisciples des écoles libres fréquentées, j’avais rejoint les Éclaireurs de France.
Sérieusement, j’étais très attaché aux traditions. Sans trop prendre tout à la lettre (par exemple les courses d’orientation, sachant, en tant que breveté « œil de lynx », un petit village avec du ravito pouvait se trouver au nord-est, j’enfreignais allégrement les consignes, entraînant ma patrouille – les fennecs – dont j’étais le second, à dériver dans cette direction au grand dam du chef, beaucoup plus jugulaire-jugulaire), .
Sauf que, parfois… Je me souviens d’un camp, en plein hiver angevin fort rude, une rareté, sous la tente. Les chefs de troupe et assistants avaient renoncé à nous faire enlever nos chaussettes pour se glisser dans les plumes des duvets, car il gelait à pierre fendre. Mais, pour le ravito, volontaires ou tirés au sort se devaient d’enfourcher les vélos en uniforme réglementaire. Donc, le pyjama retroussé sous le short bleu de laine rêche, chemise et pull, foulard, quatre bosses. C’est simple, il y avait une descente avant d’arriver au village. On se lâchait, mais tellement gelés, on freinait progressivement longtemps avant de tenter de buter contre le trottoir, y grimper, et se laisser atterrir l’épaule contre le mur de la maison d’avant l’épicerie. Descendre de monture prenait quelques vraiment longues secondes d’engourdissement. Au retour, même avec la pente, on ne suait pas aux genoux.
Rentré à la maison, je me suis vu, après avoir enlevé les deux paires de chaussettes, plonger des pieds d’une noirceur et puanteur effarantes dans une lessiveuse d’eau tiède : cela suppurait, l’eau fut noire d’encre presque instantanément. Mais les apparences avaient été sauves !
Je ne vous narre pas les camps de montagne, avec mission de former des plate-formes aux flancs de pentes détrempées, sous une pluie battante, à la pelle repliable, dans une infâme gadoue. Évidemment, cela glissait, dérapait, &c. J’ai fini par me planquer à la corvée des gamelles (lavées à la terre et aux graviers). Mais, chaque matin, lever des couleurs, cris de patrouille, &c., en dépit des tentes qui s’étaient effondrées, ou avaient dérapé : pas question de déroger aux traditions.
Parfois, un camp de guidouilles se trouvait peu loin et les frontières n’étaient pas trop étanches, surtout pour les totemisé·e·s… ce qui pouvait donner lieu à des accouplements (limités à des bises et des mains baladeuses) assez zoologiquement cocasses (le lynx nonchalant avec la fauvette trépidante, par ex. ; pour vous situer, Jean-Jacques Goldman, c’était « caffra arrogant et décidé »). Sauf que la blonde et bouclée Edwige, dont j’étais follement épris, me snobait.
Est-ce le dédain d’Edwige qui m’a fait déserter la troupe ? Toujours est-il que, peu sectaire, quelques années après, je rempilais avec les Scouts de France. Des scouts m’avaient recruté lors d’une quête, sur un parvis d’église, au bénéfice d’une association de parents de jeunes malades d’une affection rare. Leur chef de troupe était en mal d’assistant, il ne trouvait personne. J’ai accepté, en obtenant par dérogation d’arborer mon quatre bosses, cette fois frappé du macaron des SdF. Quelques camps après, j’entrais à l’université dans une autre ville, et ce fut un adieu aux mouvements scouts : le mouvement gaucho « anarcho-éthylique » nantais (tels que les autres gauchos rigides nous surnommait) me fit par la suite dériver… Mais je n’ai jamais renié les valeurs du scoutisme, laïque (Éclaireuses, Éclaireurs), ou vaguement teinté de catholicisme (Guides et Pionniers), lesquelles sont communes à celles des scouts musulmans.
Tout fout le camp, ma bonne dame. « Certains scouts sont allés jusqu’à prôner des formes d’autogestion et de vie communautaire », rappelle Maxime Vanhoenacker. Parfait ! Mais si celles et ceux-là s’étaient pointés à un jamboree en quidams, je crois que je leur aurais battu froid.
« Monte flamme légère, au ciel étoilé » chanté en débraillé, sans planter les fanions, cela, franchement, a l’air de quoi ? Hein !
Vanhoenacker n’évoque que fort peu les Guides et Scouts d’Europe qui, avant 1970, peinaient à se former. Des cathos pur jus, mais, bon, guides et scouts quand même. Qui n’allaient pas tenter de convertir des unionistes (protestants), des laïques ou des israélites.
Le mouvement, à présent, accueille aussi des « non baptisés » (comme le laïque des baptisés et autres). En revanche, on l’a constaté chez certaines troupes de scouts marins cathos, chez d’autres, farouchement traditionalistes, il paraît que Civitas grenouille pour apporter de l’eau à son bénitier. Je ne sais comment on y interprète « le fort protège le faible » (symbolisé par le pouce replié sur l’auriculaire du salut scout).
Cela vaut-il aussi pour les camps de Rroms ?
Éclaireuses et Éclaireurs se contentent désormais du foulard (qui avait été estimé débraillé par les cathos des Entraîneurs, faisant « camionneur », en 1916 – les niais, c’est très utile, un foulard, et pas que pour le secourisme… multiples usages…).
Je conçois que l’uniforme soit une charge pour les familles (surtout que la boucle de ceinturon, frappée de l’arc et de la flèche et de la devise « tout droit », était fort fragile, surtout quand il servait d’outil improvisé, et qu’il faillait souvent en changer). Que, pour « agir contre la misère » avec ATD Quart Monde, se pointer coiffé·e·s du quatre bosses aurait un petit côté cocasse pouvant passer pour incongru. Mais, ô manes de Jean Moulin (qui fut éclaireur), qu’on souffre que j’oppose un tantinet ma réticence (car, question résistance, eh, planqué derrière mon écran, je ne vais quand même pas tomber dans le ridicule).
Il paraîtrait que le groupe d’Angers (les Roches bleues) soit passé du siège historique (doublement, c’était alors un logis de maître en quasi-ruines) de la Doutre à la Chalouère, au Pré Pigeon. Quand même pas dans les beaux quartiers, c’est déjà cela…
Je crois que c’était cela aussi, les Éclés, un vrai mélange social, avec des filles et fils de notables, d’employé·e·s, d’ouvrier·e·s, d’artisan·e·s, &c., et c’est peut-être pourquoi j’avais préféré, aussi, les rejoindre, de préférence aux scouts du bahut catho (tandis que la troupe scoute de la Doutre, c’était encore plus « popu », j’allais m’en rendre compte plus tard : les parents choisissaient la carte scoute comme la carte scolaire).
Remarque insinuative, fortement subjective, qui ne se veut pas insidieuse : on ne se fonde pas que sur un seul exemple. Mieux que la blouse grise, l’uniforme gommait un peu le statut des parents (même si, pour les godillots, on voyait bien que certains étaient bien meilleur marché que d’autres). Le moins bon élève, par sa débrouillardise, pouvait prendre l’ascendant (respectueux) sur le premier de la classe. Rétrospectivement, je me demande si, pour la composition des patrouilles, les chefs et assistants veillaient à varier les origines. Ce compagnonnage juvénile aurait pu évoquer une franc-maçonnerie beaucoup plus ouverte que l’actuelle (même si les familles les plus démunies hésitaient à confier un enfant au scoutisme, estimé un tantinet huppé quand même).
J’estime qu’il n’est pas indifférent qu’Yves Duteil (parfois un peu mièvre à mon goût, mais, des gouts et des couleurs…) ait partagé des camps d’éclaireurs avec Goldman (plus tonique). Il leur en est sans doute resté quelque chose à tous deux. Une ouverture au monde et à la diversité, en tout cas… Bizarre, je n’ai pas été vraiment choqué que Là-bas, de Goldman, ait été proposé en sujet du bac (sauf que, bac pro… mais, bon…) tandis que je me répands nostalgiquement sur l’uniforme, les flots, les badges de brevets, le bâton ferré, &c. Je devrais peut-être y réfléchir avec un peu davantage d’« esprit éclaireur » (et le sourire qui va avec…). Avec ou sans attirail extérieur, c’est peut-être, et même assurément, l’essentiel du scoutisme. Même si un éclaireur sans le quatre bosses me fera toujours l’effet d’un barbu sans barbe…
Le saviez-vous ? Les scout·e·s anglicanes ne prononcent plus de promesse de fidélité à la Reine, ni à dieu. Les guides seront “true to [themselves] and develop [their] beliefs”. Sincères par devers elles-mêmes et suivant leur voie. Un peu trop égotiste, à mon gré. Avant, on promettait de faire de son mieux, preuve de solidarité, et de suivre la loi scoute (en sus de servir “God and the Queen”).
Ah la-la, républicain chez soi, royaliste chez les autres… L’abandon du serment traditionnel a provoqué aussi au Royaume-Uni quelques serrements…
Bon, je vais prendre la relégation du quatre bosses avec une stiff upper lip. Légèrement compressée par l’inférieure, et ainsi la fermer. Mais c’était bon de l’ouvrir quand même…