Collusion (ke’lu:zn)

(à la manière de JM…)

Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde.

Définition : entente secrète entre deux ou plusieurs personnes pour agir en fraudant les droits d’un tiers, et qui est réprimée par la loi ; toute entente secrète visant à tromper quelqu’un.

Synonymes : complicités, connivence.

Difficultés : ne pas confondre avec collision (choc de deux corps en mouvement)
Source : dictionnaire de français Larousse

 

 

Ces définitions éclairent d’un jour édifiant le nom choisi par Mozilla pour le module additionnel (encore expérimental) dont peut être équipé son navigateur Firefox, au risque de causer quelque trauma aux esprits confiants (et naïfs) qui entreraient en collision avec l‘implacable réalité.

La coloration juridique, et même délictuelle, y est assez claire, puisqu’elles expriment très explicitement les concepts de fraude, de répression et de tromperie. Tout un programme,qui ressemblerait presque à la lettre de mission de la DGCCRF (Direction Générale de de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes), localement rebaptisée en DDPP (Directions Départementales de la Protection des Populations). Protection !…

Vérification faite, il ne s’agit pas d’un faux-ami : en V.O. (kəˈlu:ʒn), le sens est rigoureusement le même, à la nuance près de la répression, peut-être ; mais la fraude et la tromperie se voisinent à l’unisson pour les deux groupes culturels.

A ce point de l’article, je conçois le trouble qui peut,naître chez les béotiens : mais de quoi s’agit-il donc, grands dieux ?Eh bien, éclairons-les sans barguigner davantage : Collusion permet aux utilisateurs de Firefox de mettre en évidence, en les matérialisant, les connivences qui peuvent lier les sites Internet que vous visitez, intentionnellement,et ceux qui en sont informés, à votre insu.

Répétons-le clairement par souci de pédagogie : lorsque vous vous rendez sur un site, il peut  prendre l’initiative, sans même que vous en ayez la moindre conscience, d’en informer d’autres sites. Cette pratique étant secrète (et ayant vocation à le rester sans l’intervention de quelques donneurs d’alertes), on peut, sans verser dans la paranoïa, soupçonner que l’intérêt la motive.

Je n’évoque ici ni Bradley Manning, ni Edward Snowden à qui nous devons la révélation de certaines activités de renseignement (ah qu’il est beau le mot anglais, qui parle d’intelligence à leur sujet…) ; sans parler de toutes celles qui demeurent inconnues,même de ces éclaireurs !

Que la NSA, la DPSE ou le MI5 s’infiltrent dans notre vie privée me choque ; mais sans me surprendre : après tout, ces officines ne font qu’exécuter consciencieusement (à défaut de scrupules) les missions à elles assignées par des gouvernements élus par nous, en toute « citoyenneté ». Nous leur avons de facto délégué, aveuglément certes, notre conscience, plus ou moins mauvaise.

En revanche, me heurte le fait que des sociétés civiles et mercantiles puissent monnayer auprès d’autres (encore plus mercantiles, si la dose est possible) les informations qu’elles ne cessent de collecter secrètement à propos de notre intimité (construction périphrastique ampoulée qui pourrait aussi bien se résumer par « dérober », « voler » ou « violer »). Des sociétés mercantiles, c’est à à dire toutes celles qui opèrent sur la toile, la « gratuité » n’étant qu’un gigantesque piège à c… ; j’espère ne choquer, ni ne déciller (ou dessiller) personne par cette « révélation ».

Ceux d’entre vous à qui ce billet donnera l’envie de tester Collusion (kəˈlu:ʒn) obtiendront des diagrammes semblables à celui-ci, dans lequel les segments représentent l’envoi par des sites (que vous avez volontairement visités), figurés par des ronds bleus, d’informations vous concernant à d’autres sites, représentés par des cercles jaunes.

Certaines sont triviales ; par exemple, acer.fr vous présente à son boss, acer.com. De même, wikipedia.org et wiktionnary.org font rapport des visites rendues à wikimedia.org.

Plus surprenant : impots.gouv.fr « cafte » auprès de xiti.com (tout comme le font reverso.net, farmzer.fr ou lesnumeriques.com) ; mais aussi auprès de doubleclik.net, lequel passe à invitemedia.com !

Ils remarqueront aussi que certains ronds sont de taille plus grande, moyenne, (comme ceux illustrés d’un « F » –facebook.com-, d’un « G »-google.com– ou d’un autre « G » –gravatar.com-, d’un oiseau –twitter.com-ou d’un « + » –addthis.com,le bien nommé- ou encore non illustrés, comme facebook.net et ajax.googleapis.com) ; et qu’en bonne place trône un rond jaune, de taille très nettement plus importante que tous les autres : google-analytics.com (qui, rendons-lui cette grâce, agit au moins à nom découvert).

Du coup, je serais très surpris que Microsoft® songe à adapter Collusion à Internet Explorer®, ou Google® à Chrome® ! Et je commence à me demander si c’était une vraie bonne idée d’avoir choisi un smartphone fonctionnant sous Androïd®, au nom de ma méfiance avérée pour Windows®…

Tout ceci vient en renfort du sentiment de malaise ressenti à l’écoute des propos qu’Eli Pariser tient au sujet de ce qu’il appelle des bulles de filtres et qui peuvent se résumer ainsi : si au même instant deux internautes, situés n’importe où sur la planète envoient la même requête au moteur de recherches de Google, ils recevront des retours différents, car les résultats de base seront « filtrés » par les éléments collectés au sujet de leurs profils et de leurs centres d’intérêts, le tout amassé et complété au fur et à mesure du surf ! ! !

PS : charité bien ordonnée commençant par soi-même, je crois utile de porter à votre connaissance que come4news.com entretient des conversations nourries avec 1- pinterest.com, 2- licdn.com, 3- linkedin.com (qui passe à 3bis- addthis.com), 4- facebook.net, 5- facebook.com, 6- google-analytics.com (l’incontournable), 7- tokywoky.com (qui passe à 7 bis- fonts.googleapis.com ; assonance avec talkie-walkie n’est donc pas due au seul hasard…), 8- twitter.com (qui cause, cause, cause ; mais n’est-ce pas la raison d’être même d’un gazouilleur ?…), 9- google.com, 10- youtube.com, 11- google.fr, 12-gstatic.com et 13- devatics.com. Ouf !…

Si ça se trouve, Come4News ne le savait même pas, ces bavardages étant inclus (dissimulés ?) au plus profond des APIs (Application Programmatic Interface) généreusement et « gratuitement » fournies par les « sponsors ». Voilà une nouvelle qui incline au pessimisme ; mais, heureusement inspirés par Michel Serres, faisons flèche de tout notre optimisme : il va peut-être en tirer argument pour négocier à la hausse les royalties qu’il en obtient (et qu’il nous ristourne) !

Autre élément inclinant à l’optimisme : ceux qui avaient déjà installé Adblock (« publicité » se dit « ADvertisement » chez nos cousins d’Outre-Atlantique) pourront utilement le compléter par TrackerBlock (au titre explicite) qui se fait fort de bloquer les « fuites » vers pas moins de 1 200 sites (au nom parfois empreint d’un cynisme non dissimulé, comme Share This, ou bien Sponge, ou encore SteelHouse –steel = acier, mais aussi to steal = voler- ou enfin Value Click Media). Les deux modules sont « gratuits », jusqu’à plus ample informé…