Recep Tayyip Erdogan à qui l’on reproche des dérives autoritaires, donne de l’urticaire à une frange de la population qui aspire à le déloger. Un ras le bol en bonne et due forme de l’opposition laïque qui accuse le parti islamo-conservateur au pouvoir de vouloir islamiser la société : le vote d’une loi le 24 mai limitant la vente et la consommation d’alcool afin de préserver la jeunesse ; la paternalisation grandissante de la société, etc. 

Aussi quand la compagnie aérienne Turkish Airlines a voulu imposer à ses hôtesses un uniforme sobre avec prohibition de ces rouges à lèvres qui flashent, les procès d’intention ont visé l‘Etat, lequel est détenteur 49% du capital de la compagnie. 

La gigantesque manifestation de ces deux derniers jours s’inscrit dans ce mouvement général de mécontentement. Urbanistes, architectes, écologistes avaient tiré la sonnette d’alarme, dénonçant aussi la mégalomanie des projets en cours à Istanbul. En vain. 

Et la goutte d’eau qui en définitive a fait déborder le vase, serait un projet d’urbanisation avec l’objectif  de redessiner la place Taksim en l’amputant de son parc Gezi, la dotant de centres commercial, culturel, d’une caserne militaire datant de l’époque ottomane entièrement reliftée.

Aussitôt  le coup d‘envoi des travaux lancé avec comme préalable le déracinement de 600 arbres que les indignés, alertés par les réseaux sociaux, ont déferlé tous azimuts. Débute alors un échange nourri de tirs entre policiers et émeutiers : bombes lacrymogènes et canons à eau contre jets de pierres avec à la clé des victimes à la pelle ! 

Loin de se cantonner à Istanbul, la colère a fait tache d’huile touchant d’autres villes comme Izmir, Antalya, Ankara. Les proportions inattendues qu‘ont pu atteindre ces violences ont eu raison hier de l‘inflexibilité de Recep Tayyeb Erdogan : toutes ses velléités  pour venir à bout des pressions fomentées « par des groupes d‘extrémistes«  sont passées à la trappe : la police antiémeute et les camions blindés ont battu en retraite, les manifestants ont déserté la place Taksim, foyer de la contestation au terme de deux jours d’insurrection populaire sans précédent en Turquie. 

Une enquête a été ouverte par le ministère de l’Intérieur afin d’évaluer les responsabilités des policiers ; une manière implicite de battre sa coulpe pour Recep Tayyeb Erdogan affublé désormais de surnoms peu glorieux : comme Tayep le chimique ou l’homme qui gaze.  

Aujourd’hui le calme n’est que très relatif ; la police à grands renforts de gaz lacrymogène, est revenue à la charge contre des manifestants à Ankara à l’heure où ils se dirigeaient vers les bureaux du Premier ministre. Militants des partis communistes, des partis socialistes, de la cause ont réinvesti la place Taksim pendant que le loup n’y est pas, au cri de « Istanbul nous appartient », « démission du gouvernement » ! 

Sans doute pour jeter l’opprobre sur ses détracteurs Erdogan a fait savoir qu’il ne rendait les armes que sur une partie du projet de construction qui a mis le feu aux poudres : la mosquée de la place Taksim sera bel et bien édifiée. 

D’ancien allié de Bachar el Assad, Erdogan est devenu son plus grand pourfendeur.  Habitué à marcher à la carotte, il devrait pouvoir sortir avec habileté son épingle du jeu !