Gérard Depardieu, intermittant du spectacle qu’on voyait dans la cour des Petites-Écuries à l’ex-ANPE pour pointer, rend son passeport. À la faveur d’un entretien avec le très complaisant Journal du dimanche, il se dit « injurié ». Attends, Gégé, on peut t’en rajouter un max.  

Les cons, ils osent tout, et c’est à cela qu’on les reconnaît. Voici donc Depardiou, Gérard Depardieu, dit Gégé, qui nous la joue, dans le Journal du dimanche, offusqué.

« Je vous rends mon passeport et ma sécurité sociale dont je ne me suis jamais servi », écrit-il dans une lettre ouverte au Premier ministre que publie le JDD. Ok, Gégé, pour la sécu.
Et au fait, ton fils, le mort, il n’a jamais été à Valenton, où j’étais aussi, dans le pavillon du fond, tu sais, près de Créteil, un truc de prothèses et de rééducation fonctionnelle ? Et tu payais plein pot ? Ben, c’est pas ce qui m’avait semblé à l’époque.

Et quoi, à l’ANPE (le Pôle-Emploi de l’époque), au fond de la cour des Petites-Écuries, dans l’agence spécialisée pour les intermittents du spectacle, on ne t’a jamais vu.
Mes yeux auront du me tromper, ce devait être ton sosie…

Tu crois t’être fait « tout seul ». Vaste blague. Et tu as fait travailler 85 personnes. Tu leur as rapporté combien et combien t’ont-elles rapporté ? C’est toute la question.

Moi aussi, j’ai travaillé très jeune.

Comme toi, j’ai fait l’imprimerie, j’ai fait cariste (manutentionnaire), et même, près de Londres, sous une pluie battante et glaciale, j’ai démonté des manèges de fête foraine. Aussi pris des tas de saloperies dans des usines chimiques. Puis j’ai été rétribué pour cirer les pompes de gens de ton engeance. Bien mieux payé.

« Je suis un vrai Européen, un citoyen du monde, comme mon père me l’a toujours inculqué, » qu’il dit, le Gégé. Ben, moi aussi, et peut-être avant toi. Même si nous avons trois-quatre ans de différence, et que je suis ton cadet.

Sauf que, moi, je suis plutôt reconnaissant au Conseil national de la résistance des avancées sociales qui m’ont permis de faire mon chemin, d’obtenir deux mastères, pour pas vraiment cher, et même si je suis au tas, même si j’ai bossé jusqu’à 72 heures d’affilée, je ne crache pas dans la soupe.
Certes, j’aurais pu être tenté comme toi de mettre des sous à « gauche ». Vu les sous à mettre de ce côté, ce n’est même pas la peine de les mettre à droite. Ne crois pas que je suis envieux, jaloux : ma vie n’est certes pas une totale réussite, mais je n’ai pas à en rougir (enfin, pas vraiment du tout), et sam’ suffit. 

Mais, vois-tu, je vais avoir trois petits enfants, et ce sont mes enfants (et vaguement moi-même) qui ont fait tes entrées au cinoche. Alors, tu m’excuseras (ou pas), mais tes éléments de langage, ils me laissent froid.

Tiens, tu me rappelles ce fils de syndicaliste (qui avait fait Sciences Po, puis l’ESJ de Strasbourg), devenu cheffaillon journaliste, qui se plaignait des impôts locaux : il n’avait pas le temps d’aller à la piscine, de profiter des installations municipales, &c. Moi non plus : on bossait dur tout autant. Mais, moi, j’étais heureux de payer des impôts : j’avais tant galéré qu’en payer, c’était bon. Tout bon. J’avais enfin un salaire à peu près décent.

Je ne te craches pas au visage, mais, si cela t’amuse, attaque en injures publiques : Depardieu, tu es con, un double con, un triple con, et tu ne risques pas de faire pleurer dans les chaumières. Vois autour de toi, même à Néchin, on va te cirer les pompes, mais, juste à côté, tu es dérisoire. Oh, d’accord, si tu payes ta tournée, on va te la jouer convivial. Eh, parfois, on n’a même plus vraiment le choix de te dire, comme moi, les choses en face. 

Bon, et puis, je n’ai même plus l’espoir d’avoir de ta part un rôle de figurant ou de silhouette. Plus besoin de la jouer humble : cela doit donner de l’audace (tu parles ! quelle audace ! c’est dérisoire, et j"en suis bien conscient). Mais je ne sais pas : tu n’étais pas bien en Anjou ? Tu ne te serais pas senti bien en Bretagne ? Nan, il te fallait la côte normande, et les voisins qui vont avec, et à présent Néchin (et la proximité des mieux lotis). Ben, fais avec.  

Tu sais quoi ? Quand tu mourras, j’irais sans doute pisser quand les télés te feront des soirées rétrospectives, puis j’irais ailleurs rencontrer de jeunes comédiens ou comédiennes. Ou je ne sais qui. En me disant, mais peut-être suis-je dans l’erreur, que celles et ceux qui t’imiteront auront raté leur vie, au moins sur le tard. D’accord, on rate des tas de choses. Mais finir ainsi, c’est minable. 

Tu sais quoi ? J’ai pas eu de père. J’en suis heureux : j’aurais pu avoir un mec comme toi pour père !
Pourquoi ? Parce que tu pourris la vie des enfants : tu veux te loger ? Tu surpayes si cela te chante, et tous les prix de l’immobilier autour de toi grimpent. Tu veux « travailler » : les enfants du viticulteur, ton voisin, ne peuvent plus s’établir, c’est devenu trop cher, et au mieux, ils trouveront à s’employer chez toi pour que tu vives encore mieux de leur travail. Tes gamins veulent une formation : tu leur payes une école ou une fac privée, et celles du public relèvent leurs droit d’inscription.

Tu serais sans double crédible si, malade et total fauché, tu renonçais à la CMU. Mais, là, eh, tu crois quand même pas mettre Margot dans la détresse ?
La plupart de tes films ont pu être montés grâce à des aides à la production, des avances sur recettes, avec des figurants qui, quand ils ne bossaient pas sur les plateaux, touchaient le chômage, et en fait, aussi grâce des gens qui ne les ont jamais vus parce qu’ils ne pouvaient pas se payer une entrée au cinoche. Ceux-là, maintenant, ils ne te connaissent plus : au mieux, ils regardent du foot dans un bar le soir.

Tu conclus ta lettre par « je reste poli ». Moi aussi, finalement, je me suis retenu.