Dans le cas de Florence Lamblin, le « sexe » est un lien vraiment très, très ténu avec d’autres affaires présentant cette composante. Mais, coïncidence temporelle, alors qu’une bonne partie de la presse, dont Le Monde, reprend l’information que nous publiions ici incidemment lundi en début d’après-midi (actualisation et finalisation à 17:06), soit que Florence Lamblin, impliquée – peut-être malgré elle ? – dans le circuit de blanchiment franco-suisse de stupéfiants (et assurément d’évasion fiscale) est liée à un site de vente en ligne de godemichés, vibromasseurs, lubrifiants intimes,&c.
J’avais choisi de ne pas titrer sur cet aspect quelque peu racoleur mais plutôt sur la société dont Florence Lamblin était la gérante. Cette société de vente en ligne, MyBio, a fait l’objet de très nombreuses plaintes pour non-livraison de produits et remboursements aux seuls plus acharnés à tenter de récupérer le prix de leurs commandes. Ce qui nous semble bien davantage significatif que le fait que Florence Lamblin, qui disposait de fonds confortables, ait par la suite hébergé chez elle la société, gérée par son directeur du développement de MyBio, Isaac Khaski, entreprise qui négocie des prix réduits avec des fabricants de produits pour sex-shops avant de les revendre en ligne via le site Sexecolo.
Par la suite, Paris-Match indiquera qu’Isaac était lié à la famille El Maleh par le biais d’une actionnaire de la défunte société Babylon Publishing, alors domiciliée rue du faubourg Poissonnière à Paris, dont le capital était en partie détenue par une société établie aux Îles Vierges. Un « détail » qui, faute de moyens (aussi de temps), nous avait totalement échappé.
La doc’, cette parente pauvre
Dans la presse dite d’info géné (en presse régionale, c’est souvent le secrétariat de rédaction qui, avec le reportage, gère la rubrique pour le national et l’international), du moins celle qui se vend encore à peu près confortablement, les moyens ne manquent pas trop pour rétribuer, souvent très correctement, la direction et les chefs de service. Mais pour la documentation, c’est trop souvent réductions d’effectifs, de budget, et vaches maigres.
Il est quand même effarant qu’il ait fallu trois-quatre jours à la « grande » presse pour faire ressurgir les affaires MyBio et Sececolo. Tout était ou presque sur Infogreffe (service payant mais indiquant l’essentiel en libre accès).
Corollaire, la presse, en particulier Le Monde, est désormais accusée d’acharnement, de se repaître de détails scabreux, &c. Effectivement, elle n’avait que très peu fait son travail à propos de MyBio ou Sexecolo (pourtant avares de publicité sauf sur d’autres sites de vente ou services en ligne), et comme par hasard, Sexecolo l’intéresse davantage que les raisons de la liquidation de MyBio. Cela vaut tout autant d’ailleurs pour Come4News qui devrait s’intéresser davantage aux problèmes de défense des consommateurs (domaine qui n’est pas tout à fait négligé ici). Même chose d’ailleurs pour l’activité des tribunaux de commerce et des prud’hommes (hormis le site de Siné Mensuel, les prud’hommes n’intéressent pas grand’ monde). Et le sexe, et Dominique Strauss-Kahn, dans tout cela ?
Eh bien, le lien, c’est que le public se fout un peu de la figure des journalistes d’information (souvent confondus avec des animateurs sous le vocable des « médias ») ou, pire, les accuse de partialité, de mercantilisme. Énoncé ainsi, c’est moins vendeur que d’évoquer un « foutage buccal », n’est-il point ? Là, les professionnels en reviennent à l’adage de la poule et de l’œuf… Je ne développe pas.
Tout le monde savait
D’une part, soit la presse, les médias, en disent toujours trop, soit pas assez. C’est assez vrai dans la mesure où la presse en ligne, pour laquelle le diamètre des rotatives n’est pas compté, n’entre pas assez (sauf exception, initiée judicieusement par Mediapart, qui complémente par des encadrés et le verbatim ou la mise à disposition des documents sources) dans les détails.
Nous avons aussi négligé, ici, de publier la liste complète des sociétés détenues au Panama, au Royaume-Uni et ailleurs, par des membres des familles Sasson et El Maleh. Faute de temps, de moyens, nous n’avons pas non plus établi le lien de parenté entre Judah et Nessim El Maleh, tous deux employés (cadre dirigeant et cadre) par HSBC Suisse à Genève. Est-ce par volonté de « minimiser » ? Absolument pas.
Tout comme dans le cas de l’animateur Jimmy Savile (Radio 1, BBC) qui se retrouve durablement, à titre posthume, qualifié de pédophile britannique nº 1, « tout le monde », dans l’univers des médias, était censé savoir. Eh bien non. Oui, assurément, presque tout le monde savait que Dominique Strauss-Kahn fréquentait des milieux libertins, mais jusqu’à nouvel ordre, il ne s’agit pas d’une « franc-maçonnerie » (au sens dérivé du terme) qui, au sauna ou dans le jacuzzi, se répartit des marchés publics. Pour Jimmy Savile, quelques proches collaborateurs savaient (voire facilitaient), diverses institutions charitables se doutaient, et c’est seulement maintenant qu’un certain « Uncle Dick », autre animateur radiophonique qui fut célèbre, est accusé de s’être envoyé des adolescentes dans les toilettes de la Beeb (BBC). Il s’agit d’un second « Jacques Martin » britannique, soit d’un autre animateur d’émissions familiales s’adressant à la petite jeunesse.
Tout blanc, tout noir
Dans un premier temps, selon que le commentateur se sente proche de telle ou telle personnalité mise en cause ou, au contraire, que celle-ci lui déplait, c’est (presque) tout blanc d’un côté, (presque) tout noir de l’autre. Avouons que les journalistes de terrain (ne parlons pas des éditorialistes, univers à part) ont aussi leurs sympathies, leurs inimitiés, qui peuvent parfois leur faire un peu ciller des yeux, mais qui ne les aveuglent jamais. Si le factuel est disponible, il sera répercuté.
Sur cette affaire Lamblin et les « godemichés bio », Le Monde a diffusé un billet (plus qu’une brève, moins qu’un article, encore bien moins qu’une enquête. Que n’auraient pas dit et commenté une partie du lectorat du Monde s’il n’en avait pas été ainsi ? Il est fort dommage que la rédaction s’en soit tenue là, n’ait pas déjà développé, ni vérifié pour infirmer au besoin) que Florence Lamblin, dont Libération rapporte qu’elle se déclarait « interdite bancaire », aurait ou non pu comparaître devant une chambre commerciale d’un tribunal de grande instance.
Parce que, n’en déplaise à certains commentateurs, des petits patrons se privent de revenus, puisent dans leurs économies personnelles, pour sauver leur toute petite boîte tandis que d’autres, disposant de fonds ou revenus confortables, n’ont pas le moindre égard pour celles et ceux qu’ils pigeonnent.
La parution de ce billet sur le site des blogues du Monde a déclenché un tollé. Je ne sais si la médiation de la rédaction en fera état, mais à rédigé factuel, commentaires en dérapage. « Jeter l’opprobre sur le plaisir féminin, c’est un peu moyenâgeux, non ? ». Ah bon, où cela donc ? Accessoirement, de fait, le fondateur de Free, actionnaire du Monde, a bâti sa fortune à proximité de la société Babylon Publishing, avec le Minitel rose, et il a été jugé bon de le remémorer en commentaire. Mais supputer une quelconque hypocrisie de la part de la rédaction, c’est vraiment tirer un poil pubien pour faire semblant de dévoiler le maillot intégral.
Le problème, et rien dans le rédigé de la rédaction ne le laisse supposer, n’est absolument pas que Florence Lamblin commercialisait des choux ou des carottes mais que, d’une part, la présentation du site relève de la réclame de type « hype » (avec des DVD X « engagés », mais la rubrique est vide de tout produit), ce qui est véniel. En raison du précédent MyBio, d’autre part, des questions se posent sur la vénalité des dirigeants et actionnaires de cette société. Être entrepreneur et vénal n’a rien de répréhensible, sauf si les ressources réelles du fonds de commerce consistent à se faire de la trésorerie de manière abusive sur le dos des acheteurs. Comme le résume la presse suisse italophone : « Al contrario, stando alle proteste di diversi utenti, il sito avrebbe avuto tendenza a dimenticare di consegnare i prodotti ai clienti, nonostante la merce fosse già stata pagata. ».
Mais d’un côté, comme le relève un commentateur, on érige presque en « Dreyfus féminin » l’élue EELV du 13e arrondissement de Paris, de l’autre, il est dénoncé de vouloir « éluder le fait que la jouissance de ces nantis implique l’inégalité et la dépossession du plus grand nombre. ».
Plus dérangeante est la remarque « je suis outré par la curée à laquelle se livrent les médias à l’encontre de cette personne, tout en ménageant l’anonymat de la quinzaine d’autres notables mis en cause. ». On ne peut pourtant pas dire que l’anonymat de Me Robert Sellam ait été vraiment mieux préservé que celui de Florence Lamblin. L’omerta à ce sujet découle de celui imposé par le parquet ou par les supérieurs des policiers, point. Cela s’est vu, par le passé, des journalistes sont allés jusqu’à employer des méthodes d’agents secrets pour obtenir des pièces, certains ont été licenciés, pénalement condamnés, d’autres félicités, d’autres encore, comme Denis Robert, condamnés et vilipendés avant d’être rétablis dans leur honneur déontologique. D’accord, l’expression est pompeuse, elle n’en recouvre pas moins une réalité.
Un commentateur relève que l’article « n’a aucun lien avec l’affaire criminelle en question… ». Et s’il en existait un, mettons, dérivé, ne reprocherait-on pas de l’avoir occulté s’il n’avait pas été fait état de cette (de ces) activité commerciale ?
Tout y passe
Et voila que «on n’aime pas les femmes en politique. ». Mais que nenni : la presse, mais aussi le public, a raffolé de Rachida Dati, pour n’en citer qu’une. Que celles et ceux qui n’ont absolument rien lu sur la vie privée de Rachida Dati car s’y refusant lèvent le doigt pour me protéger de la première pierre ! Ouille, n’en jetez plus !
L’analyse de la presse et celle du lectorat ne se dissocient pas. Il ne faudrait d’ailleurs pas s’en tenir au seul lectorat du site du Monde, mais tout un chacun peut constater ce qu’il est dit sur des sites proches du catholicisme dit traditionnel, sur des sites identitaires, et d’autres, plus proches de la mouvance écologiste au plus large.
Pascal Durand, secrétaire national d’Europe Écologie, acte que Florence Lamblin, à présent, « quitte ses mandats en interne et en externe ». Disons qu’elle a été priée de s’épargner un passage en commission des conflits. Isaac Khaski va-t-il suivre ? En tout cas, ce n’est sans doute pas en raison de la nature des objets vendus que la décision a été prise.
Sous l’un de nos articles, ce commentaire : « ceux qui tiennent à savoir pourquoi Florence Lamblin se refusait farouchement à démissionner ont dans l’idée que l’examen de la ventilation du budget du Lieu du Design livrerait des enseignements. ». Supputation gratuite ? Cela reste à vérifier. Mais il est tout à fait normal que « tout y passe », en particulier lorsqu’il s’agit d’argent public.
Mais beaucoup plus intéressante est la remarque de Virginie Sasson (il s’agit d’une homonyme), membre de l’Institut Panos, sociologue spécialiste des médias, que rapporte Julie Chaudier dans Yabiladi, site marocain qui a, dans un premier temps, mentionné l’appartenance des El Maleh à la communauté israélite, avant d’en supprimer la mention, du fait des réactions du lectorat.
Les médias français mettent « les immigrés dans un tout englobant qui évacue les spécificités de l’individu. ». Certes, mais si on s’intéresse de trop près à ces spécificités, on s’attirera aussi des critiques. Mais il est fort juste de relever « qu’un individu appartenant, de fait plus que de choix, à une minorité se retrouve coresponsable, aux yeux du reste de la société, de l’acte délictuel d’un autre “membre” de la communauté. Le premier est même sommé de condamner le geste du second, comme si, sans cette précision, il était lui-aussi supposé partager ses vues et donc sa culpabilité. ». Ce qui vaut moins, pour, par exemple, les Corses, en dépit des variés et récurrents articles faisant état d’un « milieu corse ».
Julie Chaudier reprend : « la tendance pour un journaliste, dans le cas de faits divers, à décrire le plus possible les acteurs est, je crois, légitime, mais préciser leur religion lorsqu’il est de notoriété publique et qu’elle fait l’objet de racisme devient d’autant plus malvenu qu’elle n’a aucune incidence sur les faits. Préciser la nationalité d’origine des frères Elmaleh est logique, puisque le trafic de drogue qu’ils auraient mis en œuvre partait du rif marocain, mais leur religion, jusqu’à preuve du contraire, n’a rien à voir dans l’affaire. ».
Deux points : d’une part, oui, entrer dans les détails, en donner le plus possible, est une obligation professionnelle pour les journalistes qui, s’ils n’ont pas d’obligation de résultat ont celles de moyens, soit de se former une vue précise des faits s’appuyant sur le plus vaste ensemble de données possibles. D’autre part, alors que la famille El Maleh affirme que l’argent récolté à Paris provenait de dons de personnes de la communauté à destination d’autres de la même communauté, argument déjà évoqué dans d’autres affaires (ce qui évite de balancer, pardon, « d’évoquer »), faire l’impasse relève de la dissimulation, ce que vaudrait des remarques du lectorat. Ne parlons plus évidemment des coptes égyptiens, ni des chrétiens syriens ou nigériens ou maliens ou pakistanais, ne tarderait-on pas à nous rétorquer.
En revanche, comme le souligne le responsable technique du site Yabiladi, il est effectivement étonnant que, lorsque Serge Harroche obtient un Nobel, Le Monde ou la presse française en général, ne signale pas qu’il est natif de Casablanca et d’une famille israélite marocaine.
Question cruciale
S’il y avait acharnement de la part de la presse à l’encontre de Florence Lamblin, voilà belle lurette (en termes de presse quotidienne, une semaine, c’est très long) que ce que met en exergue Le Canard enchaîné serait évoqué. Florence Lamblin laisse dire qu’elle aurait rapatrié l’héritage d’un arrière-grand-père laissé en jachère en Suisse depuis 1920. Tout comme les chèques des clients de Sexecolo et MyBioShop qu’on n’encaissait qu’après réception d’un accusé de délivrance, sans doute. Or, c’est bien le contraire qui constituait le procédé : encaisser de suite, placer, se fournir le plus tard possible pour négocier au mieux et gonfler la marge sans avoir à stocker ; du moins, c’est l’explication la plus plausible.
« Les Helvètes (…) refusent de communiquer à la justice française le détail des mouvements bancaires effectués sur les comptes des personnes seulement suspectées d’évasion de capitaux. ». On est prié de prendre pour argent comptant le fait que Florence Lamblin aurait subitement rapatrié 350 000 euros sur les 375 000 qui se trouvaient dans son coffre ou chez elle.
Alors bien sûr, cette histoire de Sexecolo semble, en regard, dérisoire.
Or, pour un fait-diversier, c’est aussi un ballon d’essai. Quand on cherche à débobiner, ce qui est un réquisit de la fonction, aucun fil ne doit être négligé : c’est parfois l’élément le plus infime qui pourra fournir des informations, soit des informateurs, des sachants, qui pourraient peut-être renseigner sur les circuits des fonds des sociétés des consorts Lamblin-Khaski. Je sais, l’argument peut sembler faible. Il s’apprécie différemment selon que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre d’un clavier. La technique dite de la spirale, consistant à partir du plus éloigné pour centrer au plus près, gagnerait à être enseignée plus souvent et de manière plus approfondie dans les écoles de journalisme.
Pour finir (ouf !), sur la question de la perception de la profession… D’une part, le public confond trop souvent journaliste et animateur (ex., Zemmour). D’autre part, c’est comme pour les chefs de gare (même si ce métier de journaliste est souvent plus ardu), les invectives à l’endroit de la profession sont aussi vieilles qu’elle-même. Bah, on s’y est fait.
En Suisse, comme le rapporte [i]SwissInfo[/i], « “Nous avons collaboré activement avec les autorités durant ces derniers mois sur ce sujet”, [i]s’empressent de répondre les responsables de HSBC, tout en confirmant l’implication de leur collaborateur. D’après [/i]Le Temps, [i]GPF SA s’apprête à radier son administrateur délégué soupçonné d’être au cœur de l’affaire[/i]. ».
Mais on s’inquiète, à juste titre, de l’image de la Confédération, encore une fois plaque tournante d’une affaire d’argent sale.
C’est la première fois que GPF SA est citée nominativement en Suisse. Elle est présidée par un avocat (voir nos précédents articles) et on ne sait pas si c’est Meyer ou Nessim qui sera débarqué.
Beau travail.