L’Onfrayeur vient de frapper… Pas en matois, pas en faisant sa chattemite, mais en dévot ermite se la jouant Savonarole : « Il y a plus d’humanité dans le regard de mes chats que dans celui d’un être qui hurle de joie quand le taureau vacille et s’effondre, l’œil rempli de larmes et bientôt de néant ! ». Ils sont châtrés, les chats de Michel Onfrey ? Claquemurés par un tortionnaire qui les prive du dernier râle d’un moineau ou d’un lézard ? Mais il n’a point tort : « l’argument de la tradition devrait être définitivement dirimant ». Il est grand temps de fustiger les propriétaires d’animaux domestiques et de réhabiliter les amateurs de corrida…

C’est relativement simple : plus de toros de lidia, de toros bravos, et que vivent les taureaux en stabulation condamnés à la masturbation permanente en instance de finir comme des bœufs destinés à l’abattoir. Ou alors, des races naines, d’appartement. Adoptez donc un taureau nain, Michel Onfray, et revenez nous faire larmoyer sur l’humanité de son regard de castrat (car bonjour l’entretien d’un taurillon d’appartement en rut). 

Je pourrais développer l’argumentation, mais pour répliquer au dernier billet du philosophe Michel Onfrey, seule l’invective et la dérision conviennent. D’une part parce que cela ne mérite pas mieux (bien sûr, l’indifférence, le mépris… mais que voulez-vous, si personne ne réplique…), d’autre part en raison du fait que, bien évidemment, rien ne sert, quand on est gueux, de la plèbe, de tenter d’argumenter : ces beaux messieurs, ces belles dames, ne répliquent qu’à ceux qui peuvent de nouveau les mettre en valeur, leur assurer une couverture médiatique. Alors, autant se lâchez dans son coin.

Je ne suis pourtant pas dans l’afición, tout juste dans l’affectĭo. Certes, j’ai vibré aux arènes de Pampelune en voyant Paquirri l’emporter. Certes, ayant assisté, dans une école de Castellon de la Plana, au rituel d’habillage des quadrilles (et rapporté, de cette colonie de vacances, une oreille de bravo dans un bocal de formol), j’étais prédisposé. Mais l’investissement documentaire, et autre (c’est fort cher, au-dessus de mes moyens), plus le fait que l’enthousiasme ne me pousse guère à l’emportement, que je me méfie des héroïnes et héros, m’ont dissuadé. Je ne glorifie pas davantage un torero qu’un métallurgiste de haut-fourneau. Valeur, virtu, ne sont pas moindres au quotidien qu’au spectacle.

Mais mon « cerveau reptilien » (comme le voudrait Onfray), devant un spectacle taurin, ne me fait pas davantage bander que lorsque je voyais Benny Hill se casser le nez : la mort du bravo ne me réjouit en rien ; s’il ne s’agissait que de cela, la tauromachie ne vaudrait guère mieux que les glissades sur des peaux de banane.

Me voici donc, par Onfray, amalgamé aux « tortionnaires, inquisiteurs, guillotineurs ». Qu’il se rassure, voir sa tête tomber sous le couperet m’indifférerait autant que s’il s’agissait d’un autre, un obscur, un anonyme. De même, je ne crie pas « mort au cons », même lorsque je lis : « la preuve que le taureau ne meurt pas toujours, c’est que, selon le caprice des hommes, on décide parfois d’en épargner un sous prétexte de bravoure. ». La responsabilité de l’intellectuel, c’est d’abord de se documenter. Jamais un taureau pleutre, même aux mains d’un novillero maladroit, n’est épargné, mais un animal valeureux qui finirait charcuté par un maladroit (ou un adroit épuisé ou jouant de malchance) sera effectivement épargné…

Je veux bien passer pour un idiot, un inconscient, et même à présent pour un nazi, un oustachi, un gestapiste, un tortionnaire FLN ou parachutiste, en tout cas aux yeux d’Onfray, mais, bizarrement, les spectacles de boxe qui voient un adversaire trop supérieur faire de la charpie et peut-être un abruti à vie d’un malchanceux mis maintes fois au tapis ne m’excitent nullement. Et il en est de même lorsque la ganaderia fournit des toros trop peu aptes au combat. Mais au-delà, non, ce ne sont pas les souffrances – indéniables – de l’animal, et encore moins celles des encornés, qui me motivent (et me motiveraient si je recherchais encore – ce qui ne m’est pas arrivé depuis quelques décennies – à voir une corrida).

« Quand le boucher tue pour nourrir la population, il ne jouit pas d’abattre », énonce sentencieusement Onfray. Je ne suis pas du tout de ceux qui exigent de qui s’exprime d’avoir vécu une situation (de victime, de bourreau, de violé·e, de violeur, &c.). Mais, là, pour un peu, j’aimerais voir Onfray manier le mandrin. Avoir été projeté en l’air (et cru ne plus jamais de nouveau respirer) par un veau de bonne taille aux cornes à peine sérieusement neutralisées, ou d’avoir été frôlé par celles d’un lâcher d’encierro, ne me donne aucune supériorité sur Onfray. Pas davantage que d’avoir passé mes jeudis après-midi d’écolier dans les bottes de foin et les vessies de porcs d’un abattoir départemental imbibé d’odeurs de sangs divers.

Je ne mourrai pas plus pour la corrida que pour Dantzig. Ou même Alep. Peut-être pour qui m’est plus proche, et la tauromachie m’est devenue lointaine. Je ne vais pas rendre les chats d’Onfray à la vie « sauvage » (soit d’une autre civilisation que celle, médiatique, de leur « maître »). Mais il me semble salutaire de traiter par la dérision qui énonce : « je ne sache pas qu’il existe dans le règne animal ce spectacle dégradant qui consiste à tuer lentement. ». Onfray vit avec des chats, mais il ne les a jamais vus, simplement imaginés. Parfois, on se demande qui vaudrait d’être castré (ok, outrance verbale, commode, facile).

Cela ne disqualifie pas du tout l’ensemble des écrits d’Onfray. Il arrive à tout le monde de se fourvoyer, de se ridiculiser. Mais qui aime bien châtie bien. J’en viens à me demander s’il ne faudrait pas abattre charitablement Onfray avant qu’il se ridiculise davantage (le prendre avec distanciation, bien évidemment). Après tout, on achève bien les chevaux, n’est-il point ? Souhaitons-lui donc plutôt une retraite paisible, auprès d’infirmières et d’aides-soignantes qui l’infantiliseront davantage qu’il le fait à présent de lui-même. Déclin d’un penseur qui n’aura même pas droit à l’arène ?