C’est un fait divers comme tant d’autres, qui ne fait même pas à la une de la presse roumaine. Lors d’un mariage, qui avait pour cadre la fête nationale rrom de Costesti, qui coïncide avec celle, mariale, de la vierge Marie (Fecioara Maria ou, pour celle du 8 septembre, se Sfanta Maria Mica, la petite, celle de la Nativité), une dispute éclate entre deux familles tsiganes. Bilan, cinq blessés, quatre à l’hôpital, et une Ferrari « flambante » neuve incendiée. Si l’incident est misérabiliste, il fournit un autre éclairage sur le train de vie de certains clans ou familles de « Roms ».

En 2011, Ferrari a alloué 28 voitures à la Roumanie. Dès février, 27 étaient vendues. Celle qui a brûlé dimanche dernier, lors du Ziua Romilor (jour des Rroms) de Costesti, dans le département de Valcea, en Roumanie, valait sans doute davantage de 150 000 à 220 000 euros (payables en cette devise, alors que le leu dévisse). Il n’y a pas eu beaucoup de miséricorde, lors de la fête mariale, mais une très forte discorde entre les familles Oaie Bratianu et Cristache. L’affrontement s’est produit dans la ville voisine de Drăgășani, en Valachie, et deux Cristache ont fini à l’hôpital de Valcea, deux Bratianu ont été expédiés à celui de Craiova. Des coups de couteau ont été échangés.
Le présent destiné à l’une des familles, a failli partir entièrement en fumée, mais la Ferrari n’a pas explosé.

À la fête de la Nativité, à Costesti, jusqu’à 3 500 tsiganes se rassemblent, faisant étalage de leurs véhicules de luxe (certaines familles en alignent cinq), le clan Oaie alignait cette fois aussi une Maybach et un Hammer, et de leurs bijoux. On passe à la broche des taurillons entiers. Généralement, cela se passe bien, comme, pour les gitans, aux Saintes-Maries-de-la-Mer.
Parfois, des conflits, souvent dus à des jalousies, ternissent les réjouissances.

J’ai déjà eu l’occasion, sur Come4News, de faire état des « palais » rroms, ces immenses bâtisses aux boiseries, frontons et cimiers fortement décorés. Ils donnent une image aussi erronée de la réalité, très diverse, des Rroms de Hongrie, Bulgarie et Roumanie, que les campements miséreux que Manuel Valls, après Hortefeux, d’autres, font disperser en France.

Pas de généralités abusives. Beaucoup de Rroms roumains, ou leurs descendants, font partie de l’élite politique ou intellectuelle, voire financière et industrielles légales, encore davantage sont parfaitement intégrés, et parmi ceux qui émigrent, des centaines ne sont nullement des « gens du voyage ». La Roumanie compte encore beaucoup d’artisans, mais aussi d’ouvriers, employées, contremaîtres tsiganes et des Rroms travaillent en France dans le bâtiment, ou les services, tout comme d’autres Roumains. 

Un autre cliché veut que tous les Rroms appartiennent à des clans, tribus, familles très élargies, censées se liguer ou entretenir des liens étroits. En fait, en Roumanie comme en France, de nombreux couples avec enfants peuvent être voisins sans même vraiment entretenir des liens de voisinages.

Mais d’autres familles se partagent les rôles, entretiennent la criminalité, certaines envoyant leurs enfants à l’école pour faire montre – un temps – de conformité, tandis que les enfants des autres en sont dispensés pour se livrer à la mendicité, à des rapines, voire à des pillages organisés, concertés. D’autres encore n’ont que le recours à la mendicité et au chapardage, mais préféreraient, et de loin, obtenir un travail régulier, voire se fixer.

Il n’empêche, la fortune, l’opulence indéniable de certaines familles ne doit pas grand’ chose à des placements boursiers ou à de (très) bonnes affaires, mais à l’exploitation, parfois féroce, de leurs présumés « protégés ». Ce tant en Roumanie, Bulgarie, Hongrie, qu’en Europe.

Les « petites mains » ne se contentent pas d’emballer (avec des machines leur étant fournies) des cigarettes de contrebande. Certains ambitionnent de monter dans la hiérarchie criminelle, d’autres resteront durablement relégués aux tâches subalternes…

Les autorités, municipales et policières, se retrouvent souvent confrontées à l’angélisme de braves gens indignés par ce qu’ils estiment relever d’une discrimination parfois, trop souvent sans doute, aveugle, manquant de discernement tant il est difficile de faire la part de ceux se retrouvant contraints de vivre dans des campements insalubres et d’autres pour lesquels ces lieux sont des bases d’expéditions délictueuses.

On « donne à voir » des policiers roumains patrouillant avec leurs collègues français dans les beaux quartiers parisiens, bien peu les résultats de la lutte contre le crime organisé, bénéficiant très souvent de complicités internationales qui n’impliquent pas que des Rroms.

Voici quelques jours, 34 Rroms roumains ont été arrêté dans l’Ontario, et la police a saisi 85 000 dollars canadiens en numéraire, un million ayant déjà filé à l’étranger. Des campements ne sont parfois dispersés qu’après que les surveillances discrètes ne permettent plus de remonter des filières, d’autres ne le sont que pour la galerie (ou répondre aux demandes pressantes d’édiles locaux).

En Roumanie aussi, des campements sont dispersés (en juillet dernier à Timisoara, où 80 personnes vivaient dans des roulottes traditionnelles hippomobiles fort peu confortables, le 30 août à Oradea, où des baraques de fortune avaient été installées sur un terrain privé, et des expulsions sont attendues à Baia Mare où sont implantés cinq campements illégaux). 

Ces évacuations restent confinés aux rubriques locales, et il y a fort à parier que la rixe de samedi à dimanche derniers, sans la Ferrari, n’aurait jamais eu droit aux pages intérieures nationales. Mais des efforts de scolarisation, des programmes de retour à l’emploi, sont aussi diligentés. Des étudiant·e·s rroms intègrent les facultés de médecine, et réussissent.

Peut-être conviendrait-il de cesser de se renvoyer des arguments péremptoires aussi « définitifs » que réducteurs. L’éditorial bien senti de Ruxandra Paul, de Romania Libera (voir sur Courrier international), critiquant vertement les déclarations de Manuel Valls, est tout autant simpliste que ceux véhiculant des arguments contraires. Tous les Rroms ne sont pas si attachés que cela au nomadisme et à un système « tribal-féodal romani » qu’évoque Revista 22 (voir via PressEurop).

Un jeune Rrom, Pardalian, 22 ans, devenu un Français, conclut ainsi son entretien avec Robin d’Angelo et Emma Paoli, de Street Press : il aimerait bien aider d’autres Rroms « mais eux ne veulent pas comprendre. Je ne vais pas te mentir, quand je leur parle de l’école, ils me disent qu’ils préfèrent faire la manche. ». C’est une réalité dont il apporte aussi la preuve du contraire. Il n’y a pas de solution globalisante aux problèmes que posent les Rroms (enfin, certains) ou qui se posent à eux-mêmes. Il en est sans doute de multiples, répondant à des cas diversifiés, dont certaines sont peut-être indubitablement vouées à l’échec, y compris parmi celles pavées de bonnes intentions. En ce domaine, les discours les mieux ciselés doivent être confrontés au pragmatisme, qui impose de faire la part des réussites bancales, durables, et des échecs, non obligatoirement irrémédiables.

Cela ne fait certes pas une conclusion qui « sonne » bien. Le mi-chèvre-mi-choux ne satisfait personne. Il faut parfois savoir s’en contenter.