On ne sait trop ce qu’il en est du Parti de Gauche, sa formation, mais il est clair que le phénomène Mélenchon revitalise le Parti communiste. Cela, de plusieurs manières : crédibilité retrouvée, fort rajeunissement (peut-être temporaire), féminisation, et peut-être surtout acceptabilité. Une, un communiste peut faire de l’entrisme sans trop avoir à cacher son sigle… et par rapport à certaines époques, c’est tout à fait nouveau.

J’ai toujours un reste de méfiance lorsqu’il s’agit du Parti communiste. Ainsi, lorsqu’un permanent indique à Libération un chiffre de 2 500 nouvelles adhésions depuis janvier dernier, j’ai comme un doute. Ce serait quand même pas mal pour un parti auquel il n’y a plus de fortes raisons utilitaires d’adhérer (sauf, peut-être encore dans des bastions) si ce chiffre était divisé par deux. Mais, cela, je le crois pour le constater au moins localement, les communistes enregistrent vraiment un taux d’adhésions largement plus fort qu’avant la constitution du Front de Gauche.

Il y aurait donc officiellement quelque 1 200 ou 1 300 nouveaux adhérents de moins de 30 ans au PCF, et sans doute pas mal de « filles » – lycéennes ou étudiantes de premier cycle, jeunes ouvrières et employées – et de jeunes femmes. Ce qui serait aussi intéressant de savoir, c’est s’il se produit des reprises de cartes, soit d’anciens adhérents lassés ou carrément en rupture avec certaines pratiques du passé visant à instaurer que la ligne dominante soit dictée par l’appareil et que toute divergence pouvait entraîner l’exclusion.

Cette adhésion est souvent vécue comme un ralliement à une sorte de nouveau Front populaire, thème que reprend de plus en plus Mélenchon sur son blogue ou dans ses discours. Nombre de ces nouveaux jeunes adhérents auraient tout aussi bien pu rallier le Parti de Gauche si leur entourage ou leur relationnel les y avaient incités. Mais ils ont dû plutôt « tomber » sur des militantes ou militants du PCF qui se dépensent pour aller « au contact ».

Mais le phénomène des rassemblements lors des déplacements des candidats doit aussi fortement jouer. Le Front de Gauche a dû emprunter un million d’euros supplémentaires pour louer des salles qui deviennent toutes trop petites (sauf à imaginer pouvoir s’offrir de très grands stades). Voyez, récemment, Vierzon. Ce n’est pas le Vesoul de la chanson de Brel, mais cela y ressemble assez fort pour le citadin des grandes villes. Pour faire converger 5 000 personnes sur Vierzon, il faut la logistique de l’UMP (car gratuits, billets de train à prix vraiment cassés par la Sncf). Cette fois, la BBC s’était déplacée : je ne sais si c’était pour engranger des images d’archives ou en vue d’un sujet transversal ou pour un « focus » sur le candidat, et sa "reputation for brusqueness".  En tout cas, le Guardian l’a qualifié voici deux jours de maverick (rebelle, autonome, dissident, franc-tireur, mais aussi phénomène), et il retient désormais l’attention de la presse internationale (au-delà de l’espagnole et de l’italienne, qui furent assez tôt réceptives).

 

Je ne sais s’il devancera de justesse François Hollande mais, est-ce vraiment un présage ?, il a sa page en finlandais sur Wikipedia tandis que le chef de file du PS l’attend encore.

 

vote utile

Tant que, dans les sondages, F. Hollande dépassera l’actuel locataire de l’Élysée au second tour, la perception du vote « utile » peut sensiblement évoluer. Un électorat de gauche, voire d’un centre-gauche social, peut estimer qu’il serait plus utile de voter Mélenchon au premier tour, tant bien même son programme passerait à ses yeux pour inapplicable. Dans son intégralité, il l’est sans doute, sauf à obtenir une forte majorité à l’Assemblée nationale (et en mettant un peu d’eau et d’étalement dans son vin, aussi, vraisemblablement).

Pour ces électrices et électeurs, le vote Mélenchon vise à faire en sorte qu’un Hollande président, conforté par un gouvernement à dominante socialiste (voire avec quelques centristes), ne refasse pas uniquement du Jospin (pour résumer et caricaturer, le gouvernement Jospin n’ayant pas fait que du négatif). Et cela pourrait créer la divine surprise à laquelle Mélenchon ne cesse de croire (ou faire semblant de…), il dépasserait d’une courte tête le candidat du PS. Certaines et d’autres, dont l’exécration du président sortant est la plus forte motivation, commencent à vaciller.

 

Même si j’ignore tout des intentions réelles de l’appareil communiste (par ex., sur une éventuelle participation de ministres à un gouvernement PS), je note une évolution. C’est d’une même voix que Jean-Luc Mélenchon et Marie-Georges Buffet réfutent la possibilité de négociations pour les nominations et soutiens aux législatives. Qui a convaincu l’autre, qui s’est auto-convaincu, allez savoir… Dans son langage imagé, Mélenchon, à Vierzon, a désigné son cou : « il n’y a pas de trace de laisse et pas de place pour la faire passer. ».

 

Pour les militants du Front de Gauche, le vote utile se conçoit différemment dans la perspective d’une cohabitation avec un président de droite renvoyé aux inaugurations et voyages de prestige. Proclamer que rien ne sera négocié officiellement n’empêche pas de le faire en coulisses, avec de possibles futurs transfuges. Il suffit d’opposer un candidat pas trop brillant et de se contenter d’une campagne molle dans certaines circonscriptions. Cette perspective n’ira peut-être jusqu’à prôner secrètement l’abstention au second tour mais chez les plus convaincus, l’idée de voter Hollande a du mal à passer.

La stratégie UMP

Ayant tenté de faire encore davantage fléchir Marine Le Pen dans les sondages, en musclant le discours de son représentant, l’UMP espère obtenir un ralliement de Bayrou ou que son électorat s’en détache entre les deux tours. Bayrou se refuse à toute indication sur ce que pourra être son attitude, ce qui peut irriter son entourage, mais ménage l’avenir. Selon Le Canard enchaîné, au grand dam de Borloo, Bayrou serait pressenti pour Matignon. D’où les attaques de Mélenchon contre le Modem et l’exigence d’une réponse de Hollande « avant le premier tour » sur la question d’une alliance du PS avec les centristes (sans doute sur le dos des Verts et d’on ne sait qui au PS, selon qu’Aubry reprenne ou non le dessus en fonction des résultats aux présidentielles).

Plus Mélenchon arrive au premier tour en position de force, plus l’UMP croit que ce serait pain béni pour elle. Mais ce n’est pas si sûr. Les Françaises et Français sont parfois imprévisibles. Ils peuvent croire que Mélenchon pourrait leur épargner un sort comparable à celui des Espagnoles ou des Italiens, vraiment drastique, sans pour autant se voir « punir » par l’Europe. Tout simplement parce que la punition pourrait conduire à un démantèlement désordonné de l’euro, trop catastrophique pour être envisagé par les plus informés.

Quand l’UMP prône des prêts aux étudiants comparables à ce qui se fait au Royaume-Uni où les « bénéficiaires » ne peuvent plus rembourser pour beaucoup et chaque mois davantage, les parents d’élèves des classes moyennes, surtout basses, traduisent : « suppression des bourses, des loyers bas en cités universitaires, des tarifs aménagés. ». Leur détestation du sortant aidant, même des centristes mal rassurés par les perspectives d’avenir de leurs enfants peuvent être sensibles au discours de Mélenchon.

En sus, le sortant passe pour être le candidat du Medef et du très grand patronat. Mélenchon a attaqué Laurence Parisot sur le mode émotionnel. « La Terreur, c’est vous qui faites que des milliers de gens se lèvent le matin la peur au ventre avant d’aller au travail, » lui a-t-il rétorqué. C’est une allusion directe aux conditions de travail dégradées ressenties par désormais une majorité de salariés mais aussi une évocation de la peur du chômage, de la précarité durable. Tout dans le discours UMP contribue à faire croître diverses appréhensions, notamment celle que la flexibilité, les licenciements de convenance (pour l’employeur), seront la règle. Sur ces questions du travail et des contrats, Mélenchon interpelle Hollande. Mais il dénonce aussi le candidat UMP sans avoir à le nommer. 

 

L’idée qu’un second mandat du même, sans contrepouvoir à l’Assemblée, le conduirait à faire passer des solutions ultralibérales effrénées (il n’est pas vraiment réputé pour sa modération) fait son chemin. Qui, dans ce cas, serait le plus pugnace pour le contrer ?

 

Le blogue de Mélenchon est chaque semaine plus massivement consulté. Certes par la presse, très certainement par des gens s’étant rendus à des réunions ou des rassemblements, mais sans doute aussi par un électorat flottant.

 

C’en est au point que selon un sondage, 43 % des interrogés souhaiteraient, sans y croire (sauf pour certains militants du FdG, pour environ 20 % des sondés se déclarant sympathisants de cette formation), que Mélenchon passe devant Hollande. Bien évidemment, cela inclut des partisans de l’UMP ou du FN qui le voient plus facile à éliminer que F. Hollande. Mais aussi 23 % des sympathisants du Parti socialiste ne seraient pas déçus de voir Mélenchon devancer leur candidat.

De son côté, visant Hollande, le candidat UMP a récemment lancé : « la politique sans sentiment, sans passion (…) est une politique condamnée. ». Dans l’atmosphère émotionnelle entretenue par les médias, ce n’est pas si faux. Mais de ce point de vue, Mélenchon réussit à faire croire qu’il est plus passionné par les gens que par lui-même. Soutenu par la logistique PCF requinquée grâce à lui en grande partie, et face à celle, plutôt molle, du PS, il pourrait encore, en moins de deux semaines, progresser, assez en tout cas pour placer un groupe à l’Assemblée nationale.