Sarkozy n’a pas si tort : doubler le plafond du Livret A, très mal indexé sur la hausse réelle du coût de la vie, cela revient à faire un petit cadeau à l’État qui, pourtant, n’y trouvera qu’à peine son compte puisque les livrets B et autres placements sont imposés.
Mais les classes moyennes de droite et centre-droit qui forment l’essentiel du visitorat du site du Figaro applaudissent.
Certes, il y a toujours quelques visiteurs de gauche pour se prononcer à l’encontre de ce qui est attendu des consultations du Figaro.
Mais, épisode après épisode, une assez bonne majorité l’emporte toujours : pour conforter l’action gouvernementale, s’opposer à des mesures préconisées par l’opposition. Pas là : les trois-quarts des visiteurs approuvent François Hollande. Pourtant, on leur a bien signalé « Logement : Hollande veut doubler le plafond du Livret A ».
Mais bon sang, il était à la machine à café, le secrétaire de rédaction ? Le question qu’il fallait poser, c’était « Hollande veut faire baisser la valeur des biens immobiliers en relevant le plafond du Livret A, pour ou contre ? ». Même pas besoin de préciser « la valeur de l’immobilier des beaux quartiers. ». Car bien sûr, la proposition connexe en faveur du logement social, c’est de céder pour rien ou à bas prix des terrains de l’État pour construire des logis. Sarkozy devrait faire privatiser illico l’esplanade des Invalides pour contrer ce mauvais coup.
Le lectorat du Figaro ? 9 % des détenteurs de livrets A ?
Soyons sérieux. Hormis l’emprise du futur Pentagone à la française, il n’y a pratiquement plus rien à donner dans Paris. Pourtant, la mairie de Paris fait encore du logement social au cœur de Paris (comme par exemple, dans le bas du Xe ar., à la place d’un ancien entrepôt de la Sernam racheté à la Sncf…). Ce qui aura pour effet un très léger tassement du prix des loyers dans le secteur.
Mais admettons. Encore qu’on puisse estimer que les HLM ont davantage besoin de fonds propres que de capacité d’emprunt, grâce au Livret A, la mesure annoncée par François Hollande peut favoriser la construction de logements sociaux. Pourvu qu’elle soit accompagnée, et qu’il ne soit pas construit à proximité d’implantations industrielles subventionnées qui, au bout de deux-trois ans, délocaliseront en laissant les employés sur le carreau.
Je ne sais évaluer cette mesure. Certes, les évadés fiscaux possèdent aussi un Livret A, voire deux (le cumul est interdit, mais on peut doter d’un tel livret chaque membre de la famille). Mais ce ne sont pas majoritairement ceux-là qui vont faire remonter leurs dépôts. Je ne saurais en supputer les effets pervers.
Le Livret A profite à cette frange des catégories sociales pouvant y souscrire en sus du Livret d’épargne populaire (pour ceux, à priori trop pauvres pour payer l’impôt sur le revenu) et qui mangent du riz, des pâtes, des pommes de terre, en vue de changer de voiture d’occasion, et, de temps à autre, de téléviseur, mais ne fument pas, par exemple. Il profite un peu aussi à ceux qui ont de l’argent, suffisamment, et cherchent en priorité des placements défiscalisés. Mais pour la plupart, le coût réel de la vie, quelque peu différent de l’inflation constatée par l’Insee, rogne fortement ce léger avantage. C’est pire encore au Royaume-Uni où les taux du dispositif similaire sont bien plus bas.
Sarko, le Gingrich français
Sarkozy, menteur tel un bateleur, dénonce surtout la progressivité de la CSG (bonne chose, surtout si elle est vraiment progressive), la suppression du quotient familial (qu’il n’est nullement question de supprimer pour les classes dites populaires et moyennes), et aussi l’instauration d’une nouvelle tranche d’impôt sur le revenu (qui ne frappera que celles et ceux dont les revenus seront comparables à ceux d’un Sarkozy).
Reste l’application d’un tarif progressif sur la consommation d’eau et d’énergie. La mesure peut être très perverse, en fonction de la base de calcul (surface des logements ? Impôt sur le revenu du foyer fiscal ?). Et pour les entreprises ? La carafe d’eau municipale va-t-elle mettre le Fouquet’s sur la paille ?
Ce qui peut encore vaguement étonner le médialogue, c’est que la dépêche d’agence répercutant les propos de Sarkozy soit reprise brute de décoffrage, sans le moindre commentaire ou explicitation dans un premier temps, et que le Figaro se garde bien, au moins sur le coup, de commenter le résultat de sa consultation sur le Livret A. Même s’il se fourvoie, le lectorat a toujours raison…
Mais, là, c’est farce. Là, sur 25 600 répondants, on frôle les 80 % d’opinion favorable à la mesure suggérée par François Hollande. Perso, très peu concerné individuellement, j’attendrai d’en savoir davantage pour me prononcer, soit d’être mis au parfum des projections de Bercy et d’autres sources. J’en retiens pour le moment que la droite n’a pas le monopole du petit portefeuille.
Attention, la rentière de Carpentras soutiendra peut-être moins l’économie réelle. On la comprend. Hormis sur Saint-Gobain, elle a lourdement perdu sur Alcatel-Lucent (qui a filé en Roumanie pourtant), très peu gagné au final sur GDF-Suez (un peu moins sur Suez Environnement), pris la pâtée sur Alstom et ne parlons pas de Lagardère (dont la contribution à l’économie vraiment réelle est fort faible ; lire des magazines ou parier en ligne, cela fait certes tourner de l’argent mais, pour le reste…).
Un livret triple A ?
La diatribe de Sarkozy portera peut-être ses fruits dans les maisons de retraite. Mais la consultation du Figaro en dit beaucoup plus sur la mentalité d’une certaine partie de la société française. Celle qui, peut-être, lâchera Sarkozy au profit de Bayrou, mais serait prête à voter pour n’importe qui du moment qu’on lui fasse croire que ses sous seront bien à l’abri. Même Hollande.
Sarkozy, notre Gingrich local, qui confond classes moyennes et classes possédantes, saura-t-il convaincre ? Il doit lui aussi faire des messages de fumée dimanche. Il sera intéressant de voir s’il agite la couverture sur son feu à propos du Livret A. Ah oui, au fait, la donnée essentielle : quelle est la proportion de livrets A au plafond ? Il n’y aurait que 9 % des livrets A au plafond selon Tonino Serafini, spécialiste logement à Libération. Le livret A est détenu par 59,5 millions de particuliers (papa, maman, l’aînée, le cadet et le petit dernier) et 660 000 personnes morales.
Ces 9 % (dont pas mal de personnes morales) engrangent ainsi 82,6 milliards d’euros, soit 40 % des dépôts totaux.
J’en viens à me demander si Hollande ne cherche pas ainsi, d’abord, à rassurer les agences de notation. Le Japon n’est pas si mal noté, aussi en fonction de l’épargne des particuliers, très fortement ancrée dans le système financier japonais. Pour Thierry Repentin, la collecte supplémentaire serait de l’ordre de 12 à 20 Mds €. Une goutte d’eau, certes, mais peut-être de quoi fournir aux hôpitaux de quoi rembourser les banques et Eiffage, Bouygues, Vivendi, qui les financent en PPP (prêts public-privé), comme les collectivités locales financent les tramways.
Car, c’est aussi l’un des buts. Les livrets A (et autres similaires, indexés sur lui) ne servent pas qu’au logement social. Ils financent aussi des universités devenues autonomes qui, l’exemple du Royaume-Uni le démontre, ne pourront pas indéfiniment hausser les frais de scolarité pour rembourser les PPP. De ce point de vue, oui, indirectement, la mesure voulue par Hollande favorisera un peu les classes moyennes, d’une manière que la plupart des visiteurs du site du Figaro n’ont sans doute pas envisagée. D’ailleurs, peuvent-ils vraiment compter sur Le Figaro pour les éclairer ? On verra, dans les prochaines éditions…
En s’appuyant sur les données du blogue « Avec ou sans toit », du confrère de Libération ? En le citant ? Attendons sereinement de lire et voir…
Coup de vache pour les banksters
D’une certaine manière, ces mesures avantagent toutes les banques de dépôt. Mais pas vraiment. Car si les plus riches se ruent sur le Livret A, comment leur fourguer des livrets B, plus avantageux pour les établissements financiers, et surtout d’autres produits d’épargne beaucoup plus spéculatifs mais qui ne vont surtout qu’à la spéculation et dans une moindre mesure aux sociétés cotées ? Les banques ont voulu obtenir toutes les fameux livrets aidés, elles les ont eu. Parfait pour inciter le petit déposant à mettre un peu de côté et… couvrir ses découverts. Après, la plupart du temps, qu’on lui ait imposé des agios, quels que soit les montants déposés sur les comptes d’épargne.
Mais pour les gros clients, qui ne sont jamais à découvert ? C’est autant de disponibilités en moins pour les attirer dans divers pièges spéculatifs. D’où, on ne devrait pas tarder à le voir, des critiques de la mesure de François Hollande…
De Sarkozy : «[i] en cas de défaite, vous n’entendrez plus parler de moi [/i]». Comme Jospin ou comme DSK ? Plutôt sans doute comme Tony Blair, qui, tout comme Romney, ne détaille pas trop ses revenus. Il a cependant fait parler de lui en déclarant une énorme somme en « frais divers » au fisc britannique. Histoire de payer moins d’impôts que, en proportion, l’ouvrier ou la caissière de supermarché.
Sarkozy pourra commencer ses semaines « [i]le mardi, et les finir le jeudi soir ![/i] ». Qu’il le fasse donc à l’étranger, en résidant en Suisse…
En travaillant moins, il gagnera ainsi davantage.
À moins que, tel Chirac, un émir ne le loge gratuitement au cœur de Paris. Carlita pourrait ainsi louer sa coquette résidence.