Ce n’est sans doute pas sans avoir pris langue avec ses « homologues » scandinaves que le Premier ministre écossais, Alex Salmond, a vivement critiqué le veto de Cameron à Bruxelles. En fait, alors que le Scottish National Party, qui obtiendra bientôt un référendum sur l’indépendance de l’Écosse, assure que la livre sera préservée avant d’envisager – peut-être – de passer à l’euro, c’est bien à une totale souveraineté, incluant un renforcement des liens avec la Scandinavie, à laquelle songent les indépendantistes écossais.

Rappelez-vous : la Auld Alliance liait très étroitement l’Écosse et la France, mais, militairement, elle comportait une troisième composante, la Norvège…

Tout comme Cameron, fort conforté par les sondages en faveur du veto britannique, doit malgré tout compter avec d’autres que les conservateurs eurosceptiques, Alex Salmond, Premier ministre écossais, est fortement critiqué par les Écossais unionistes.

Avec des arguments que ne renieraient pas les banksters de la City, qui tentent à présent de faire freiner l’entrée en vigueur des dispositifs de contrôle et régulation les visant (les réglementations prévues par la Commission Vickers, du nom de Sir John Vickers, et la Financial Services Authority, bien plus drastiques que celles de la française Autorité des marchés financiers, de fait…).

La place financière d’Édimbourg serait ruinée si Cameron n’avait pas opposé son veto. Les sièges des institutions financières migreraient hors d’Écosse…

C’est plutôt mal reçu par une partie des Écossais. « Britannia contorsionne les règlements… pour les fricoteurs en costumes rayés », estime Joan Burnie, dans le Scottish Daily Record. Ces « spivs », fricoteurs (ou chevaliers d’industrie) de la City ont déjà reçu beaucoup trop d’argent, alors qu’il est question de supprimer des liaisons ferroviaires directes entre le Nord de l’Écosse et Londres, et que les trains de la Thameslink seront fabriqués en Allemagne, dénonce Joan Burnie.

En revanche, alors que la Barclay’s a été dégradée par Fitch Ratings (ainsi que BNP Paribas, entre autres), aussi en raison de la possible introduction de règles comptables plus strictes (pour résumer), le Herald, par exemple, redoute le carcan européen, ses règlements trop contraignants, &c.

Mais en fait, c’est peut-être une troisième voie qu’envisage l’Écosse, soit une indépendance fondée sur une monnaie nationale, une armée, une diplomatie, &c., en coopération avec les pays scandinaves.

Les blancs flots, cap nord-est

Pour Joyce McMillan, du Scotsman, l’Écosse va devoir affronter « les flots blancs d’une époque qui verra peut-être l’éclatement du Royaume-Uni, mais aussi la fin de l’Union européenne, au moins dans sa forme actuelle… ».
Cela ne touche pas qu’à l’éventualité d’une expulsion de la Grèce, voire du Portugal, sous la pression des marchés et de l’opinion allemande (en dépit des déclarations officielles contraires).
Les Écossais, enfin, plutôt une large partie d’Holyrood, le parlement écossais, et le SNP, envisagent vraiment une autre « géométrie » pour une « Écosse européenne ».

Sous le titre « Bye, bye England ? », Hamish MacDonnell, le permanent de The Independent en Écosse, soulève le voile d’une « feuille de route » pour une Écosse indépendante.

Si le référendum (prévu pour 2014 ou 2015) se conclut par l’indépendance écossaise, les liens avec les pays scandinaves, dans les domaines du commerce, de l’énergie, et sans doute même de l’industrie, seraient considérablement renforcés.

Depuis deux ans, les dirigeants du SNP n’ont cessé de multiplier les rencontres avec les dirigeants suédois, norvégiens, danois. Angus Robertson (Aonghas Mac Raibeart), expert en affaires européennes et industrielles, qui représente le SNP aux Commons, à Westminster, est la cheville ouvrière de cette stratégie. L’Écosse, de par le passé impérial, n’est pas qu’un pays nordique : les liens avec le Canada, l’Australie-Nouvelle-Zélande, voire la zone Pacifique, restent forts. Mais c’est aussi une coopération militaire et maritime « arctique » pour laquelle il plaide.

Sont en jeu les ressources énergétiques de l’arc, mais aussi les nouvelles voies maritimes vers l’Asie, via les côtes russes. L’Écosse indépendante coopérerait plus étroitement aussi avec la Finlande et les Pays Baltes… Un terminal maritime à Fife tenterait de rivaliser avec Rotterdam.

Côté défense, le Royaume-Uni se déleste et, selon le SNP, néglige l’Écosse. D’où l’idée de créer une marine de guerre, dont l’état-major serait localisé à Faslane (sur la Clyde, à l’ouest), une armée de l’air axée sur la surveillance maritime, avec des bases dans le Moray (la « constitution » de Robertson-Mac Raibeart, sa circonscription), et une arme de Terre, sans doute dotée d’une « brigade légère » de blindés. Le chardon remplacerait le lion, la couronne disparaîtrait, et ne resterait de l’emblème de l’actuel Royal Regiment of Scotland que la croix de saint André et la devise, « Personne ne me provoque impunément » (actuellement en latin, nemo me impune… éventuellement en gaélique).

Forces centrifuges

L’Europe de demain ne ressemblera guère à l’actuelle. La question centrale reste liée au rôle de l’intergouvernemental par rapport à la Commission et au Parlement européen. Mais c’est surtout la manière de faire face à une récession pouvant empirer en dépression qui divise. Ce qui peut impliquer une pression accrue sur la finance : soit elle continue de gonfler la pure spéculation, notamment à l’international, soit elle participe activement à la relance intérieure, et réduit ses profits.

La France se prépare à un troisième plan d’austérité qui ne dira pas trop fort son nom, l’Écosse renâcle à se voir imposer par Londres davantage de taxes, notamment sur les carburants, alors qu’elle est productrice, avec la Norvège, de brut.

Les autrefois « austères » Scottish Widows (l’un des fonds de placement naguère au nombre des plus sûrs au monde), passées sous la coupe de la Lloyd’s, pourraient se dégager des activités « offshore ». On ne sait trop ce que le SNP prévoit pour le futur secteur financier écossais. Par le passé (en 1998), le SNP avait carrément menacé de boycotter les Scottish Widows, l’un des plus gros employeurs d’Édimbourg.

Tout comme Cameron se voit écartelé entre la City (dont une partie le soutient, une moindre reste dubitative) et les industriels (plutôt favorables aux vues europhiles des libéraux démocrates), le SNP doit faire face à divers groupes de pression, financiers et industriels, dont les vues sont diversifiées. Le CBI Scotland (Confederation of British Industry), le syndicat patronal, s’oppose à l’indépendance écossaise, d’autres secteurs patronaux la soutiennent, à condition de maintenir des liens forts avec l’Union européenne.

Les arguments des unionistes écossais sont paradoxalement l’inverse de ce qu’ils opposent à l’Europe : « united we stand, divided we fall ». L’Écosse doit rester dans un Royaume-Uni, qui tend à vouloir envisager la solidarité européenne comme cela arrange la City et les eurosceptiques.

Le SNP, dont les finances sont particulièrement saines, et dont la capacité de mener des campagnes actives fortes est solide, dispose de trois-quatre ans pour convaincre. Si l’Eurozone éclatait, pourrait-il aussi persuader les futurs partenaires envisagés pour l’Écosse indépendante de proposer une autre forme d’Union européenne ? La question peut sembler prématurée, voire accessoire. Mais elle se poserait aussi au très bancal couple franco-allemand. Car l’Europe « du nord » pourrait bien se scinder. Parfois, en temps de crise, l’histoire s’accélère, et des paris sur l’avenir sont misés sous la pression des circonstances et de l’urgence.