Fluide glacial et moi, notre toute, toute première fois !
Par Jef Tombeur
Rédigez, « en une dizaine de lignes maximum, votre première rencontre avec Fluide glacial » et gagnez un abonnement à vie ! C’était dans le très grand et très spectaculaire numéro d’octobre de ce mensuel de BD humoristique. Fastoche, j’écris long, mais j’ai un super logiciel qui fait des synthèses automatiques géniales. Je le règle sur dix lignes, il mouline le texte qui suit, et hop ! l’abonnement à vie, c’est dans la poche (bon, la besace s’ils conservent le format du numéro 400, en vente partout).
La première fois que j’ai rencontré Fluide glacial, c’était circa septembre ou octobre 1973, sous le grand chapiteau strasbourgeois du Grand Magic Circus de Jérôme Savary, entouré d’animaux tristes et du créateur de Gai Luron, j’ai nommé Marcel Gotlib. Un gros cube de la BD. D’ailleurs, à l’époque, on le surnommait affectueusement Gotliebig. Un pseudo qu’Étienne Liebig allait reprendre pour lui rendre un servile hommage, je présume, et s’attirer la sympathie de toutes jeunes militantes et élèves des écoles catholiques de filles, mais c’est une autre histoire. Enfin, pas vraiment tout autre puisque, dans nos riantes provinces, avoir topé avec Gotlib vous valait réputation de guérir les virginités mal déflorées et les jouvencelles vous prenaient la main pour se la porter au laridon-dondaine (parfois à plusieurs reprises). C’est vous dire. Or donc, alors que la copine de Blandine s’extasiait “Do you think the lion will be exciting ?” et que celle lui répliquait “I don’t know, I never be eaten by a lion!” (c’était un grand spectacle polyglotte), voici Gotlib qui se dresse, lève la main pour s’en couvrir le front ! Et d’une voix qui semblait surgir des ténèbres pour retentir au firmament et retentir de part et d’autre du Rhin, Gotlib prédit, devant mes quinquets écarquillés derrière mes verres de lunettes, ce qui suit !
« Lipote, c’est fini ! Et dire que ce fut l’un de mes premiers amours ! Mais la vie continue car je vois, oui, je le vois, là, là, devant moi ! ». Quoi donc, ô visionnaire Gotlib, formèrent aussitôt sans mot dire mes lèvres suspendues aux siennes pendant que Blandine et sa copine, impavides dans leurs simples toilettes, se roulaient un palot… « Il sera grand, il sera gros, il sera en litho grainée au sable chaud, reprenait le prophète, et il s’appellera… ». Oui, dis-le, dis-le donc, ô vénérable augure ! « Il sera oint du fluide du succès et du développement durable et c’est pourquoi Fluide sera son nom, il sera frais comme le téton de Pétronille qui sent la pastille de menthe, et c’est pourquoi son surnom sera Glacial ! ». Épuisé, Gotlieb s’affaissa après avoir virevolté tel un derviche ou une toupie vacillante et sombra dans un profond sommeil.
Je tenais mon exclu ! Hélas, elle ne fut reprise par personne, Pilote se survécut jusqu’en 1989, Fluide glacial attendit encore plus d’un an pour paraître. On a beau venir de loin prophétiser sur les rives de l’Ill, avant l’heure, ce n’est pas l’heure, et personne, à Uss’m Follik (l’hebdo du cru) ou ailleurs, au Klapperstaï par exemple (le mensuel des voisins), ne voulu reprendre cette info prématurée. Faute de scoop, je m’en payais trois, pistache, rhum-raisin et praliné, pour oublier que j’avais les boules, les autres. Moi qui pensais faire péter une roteuse, je laissais au glacier mes ultimes économies.
Donc, cette première fois ne compte pas. Ou du moins, elle pèse si peu que j’en expurgerai la sélection destinée à générer les dix lignes de synthèse. Quoique…
En fait, je n’en crus pas mes yeux quand, de passage à la boucherie Sanzot, à Moulinsart, pour me fourguer un cageot d’andouillettes de poney à la graisse de caniche (j’allais le faire établir par la suite dans un laboratoire), et celui que je pris l’importun Sanzot me tendit un bon pour un abonnement à vie à un magazine, Fluide Glacial. Gotlib avait donc eu raison ! Ô vénérable auspice que j’avais prématurément destiné à l’hospice, pardonne à tes ouailles aux fronts ceints d’andouillettes ! Telle fut ma première pensée formée sous le coup d’un dédoublement de personnalité. Ô Bonne Mère, conserve-le en ton sein giron.
J’avais senti pourtant le coup foireux, mais je ne pus m’en empêcher. Il faut vous dire que je collectionne les abonnements à vie à des magazines, et que c’était justement celui-là, dont j’entendais parler pour la toute-toute première fois, qui me manquait ! Par exemple, l’un de mes fleurons, c’est celui de Patek-Philippe Magazine. Pour l’avoir, je me suis fendu du produit d’une attaque de fourgon blindé afin de me payer une montre – pardon, un garde-temps – pour premiers communiants de moins de 50 ans (les moins chères mais qui garantissent le succès dans la paix du Petit Jésus et des recours en cour de cass’ jamais inscrits au rôle ainsi que le droit à l’abonnement à vie et le rachat de petits horlogers chinois par les Pères Blancs sous l’égide de la Croix-Rouge). Dans ce trimestriel, il y a tout plein de gags horlogers hilarants. Un exemple ? « à Remontoire, touche pas à la mie mollette ! » Celle-là, je capitule si vous m’en trouvez une meilleure, et quand on l’a sorti en l’an Quarante, du maréchal Philippe au caporal-chef Adolphe, tout le monde était écroulé de rire. Les pataquès de Patek sont proverbiaux. Bref, cet abonnement-là, je l’attends toujours. Mais je conserve le bon fallacieux dans une enveloppe scellée du sceau de Genève et elle sortira de son coffre luxembourgeois au besoin.
En fait, cette boucherie était un étal forain terriblement bien imité, selon les dires de l’infâme Sanzot, assurément un coup d’un concurrent de Champignac, soutint-il : le garde-champêtre chargé de l’enquête le crut et me tança en m’assurant que si je persistais dans mes insinuations calomnieuses, j’étais cuit. Un instant, je me vis finir moi-même en andouillette sous ce regard évoquant des tromblons. L’affaire en resta là, et il y aurait, dit-on, prescription.
Pour mon compte, je ne vais pas en rester là. J’estime que j’ai largement droit à une seconde chance. Et en fait, sous mes dehors virils, ma toison pectorale, je suis une grande blonde comme une autre et mes copines mastoc, les mâtines, vont vous sonner l’air du « Laissez-lui une chance ! » à toutes volées de cloches. Quoi, c’est quoi ce préjugé ? Les blondes seraient toutes des cloches ! C’est un malentendu ? Ah bon. Avec tout ce bruit de battants frappant le bronze coulé de frais, c’est encore plausible. Vous n’en penserez pas moins… Et ma seconde chance, avec les dix lignes de synthèse, je la tiens…
Résonnez musettes, envoyez synthèse :
J’ai rencontré le dénommé Glacial, Fluide, dans les toilettes d’un certain Toupie, Peter. Il avait un magazine pour en recouvrir la lunette. C’était lors de la Saint-Mamère en l’an Quarante, et quand un bronze coulait, cela faisait un bruit de blonde. Ici Londres ! L’andouillette peigne l’horloger chinois !
Argh ! Démasqué. C’est bien à Londres, chez Sylvie et Peter Tupy, l’aussi regretté que célèbre animateur de dessins filmés, que j’ai découvert toute une pile de Fluides glaciaux, pile que j’ai dévorée en décapsulant des blondes tchèques. Mais c’est une toute autre histoire.
Bon, allez, un bon geste : filez-le moi, cet abonnement gratuit à vie. Quoi ? Non ! Même en payant un peu ? Par exemple 35 euros l’an, soit plus de 50 % de réduction ? Pour le même paquet de douze numéros mensuels plus quatre hors-série alors que cela en valait 52, avec même pas 25 % de réduction en 2004 ? Finalement, je crois que je vais attendre encore cinq ou dix ans. Car à ce rythme, je risque de l’avoir quasi gratuit, mon abonnement à vie. Et si en plus, à Fluide, ils rétablissent la réduction pour les étudiants, ce sera encore mieux qu’avant ! Fluide glacial, le magazine qui bonnit en mûrissant ! Avec plein d’andouilles dedans ! Et des calembours réglés tels des chronomètres et aussi récurrents que l’Almanach Vermot ! Phil Casoar y disserte sur Topor, qui collaborait autant avec le Moïse qu’avec le Mao de Jérôme Savary, et Frémion cause de Franquin, ce qui vous donne un air instruit aux dîners des Dugommier ! On y retrouve Gotlib grandeur nature, encore plus grand couché sur papier glacé que vivant ! Et sous la chemise, en pur Lin d’Ingres, les pages de Jean-Claude Tergal vous habillent chaudement pour l’hiver ! Vais-je pouvoir attendre pour m’abonner ? Là, je doute. Comment tenir jusqu’au « spécial 40 ans » de Fluide glacial, vers 2015. Et si la grippe canino-équestre m’emportait avant ? Plutôt me suicider à grands coups d’andouillette dans la poitrine que de laisser passer une telle occasion !