Par suite d'un regrettable incident technique, un passage important, sinon capital, de l'article publié hier, 12 novembre 2008, s'est trouvé caviardé et donc totalement incompréhensible. Avec nos excuses, le lecteur voudra bien le trouver de nouveau ici, dans son intégralité … mais aussi dans son intégrité.

Voici déjà plusieurs mois que la Caisse d’Épargne – alias l’Écureuil – tient la vedette et défraie les chroniques : pas une semaine ou presque, sans que la presse se fasse l’écho d’une enquête ou d’un « incident » ! Au train où vont les choses, peut-être un nouvel avatar sera-t-il survenu à l’heure où paraitront ces lignes ?…

Déjà, le 24 novembre 2007 (triste anniversaire), une dépêche de l’Agence France Presse (AFP) annonçait, citant un communiqué conjoint des deux organismes (repris notamment sur le site FranceBourse.com), que « La Banque Populaire et la Caisse d'Épargne [allaient] racheter à Natixis la totalité du capital de CIFG, sa filiale américaine, très impliquée dans les crédits immobiliers à risque, et lui apporter un soutien financier d’environ 1,5 milliard de dollars ». Mais que vont-ils faire dans cette galère, se demandaient sans doute ceux pour qui la question ne se posait même pas de savoir si la vieille dame (née en 1818) restait fidèle à sa mission historique, confirmée par la loi de réforme du 25 juin 1999 qui précise que « … le réseau des Caisses d’Épargne contribue à la protection de l’épargne populaire… » ? Quel rapport pouvait-il bien exister entre la protection de l’épargne populaire et les paris insensés des subprimes ?

La question reste posée … D’autant plus à la lumière du récent « incident » à 600 millions d’euros (réévalués quelques jours plus tard à 751 millions) et des pseudo-démissions qui s’en sont suivies !

Pourtant, un autre « incident » reste encore à l’heure actuelle enfoui dans les profondeurs de l’iceberg : celui des Fonds de Commun de Placement garantis, et plus particulièrement ceux de la famille Doubl’Ô Monde, sur lesquels un coin du voile semble commencer de se lever, peut-être en raison de l’enquête ouverte par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) annoncée par une dépêche AFP du 23 octobre 2008. Ces produits ont été lancés en rafale en 2001 et 2002 à grand renfort de pression commerciale ; mais, malgré d’alléchantes promesses, les souscripteurs n’ont récupéré six ans plus tard que leur mise initiale, amputée des droits d’entrée et des frais de garde.

Pour mémoire, on estime que 240.000 épargnants sont concernés, pour un montant qui dépasse deux milliards d’euros ! Une bagatelle !…

Fonds à formule – Fonds à promesse

En 2000, sept ans après les débuts du scandale du Crédit Lyonnais et parce que la confiance du public s’est sérieusement émoussée (et plus tard, celle du contribuable …), fleurissent sur nos murs des affiches géantes par lesquelles les banques rivalisent d’imagination pour nous proposer des produits innovants qui garantissent à leurs souscripteurs de préserver leur capital. Entre nous, même en ces temps de faible inflation, c’était bien le moins que l’on puisse attendre de leurs services : la bonne vieille lessiveuse de nos grands-parents était depuis bien longtemps capable de la même « performance » (et même davantage, puisqu’elle ne facture aucun frais de gestion …). Mais le BVP (Bureau de Vérification de la Publicité) ne s’en était pas ému, à l’époque.

La Caisse d’Épargne ne voulut pas être en reste. Déjà le syndrome « me too » (moi aussi) sévissait ; ou bien était-ce une manipulation génétique, avec hybridation du Lion et de l’Écureuil ? ou bien encore s’agissait-il d’évolution métastasique ?). Ce syndrome devait culminer (provisoirement ?) six ans plus tard : création de Natixis, avec le bonheur que l’on sait aujourd’hui. Elle lança un florilège de produits aux noms et aux slogans évocateurs : Doubl’Ô Monde, six produits en 2001 et 2002, durée six ans (« doubler votre capital en toute sérénité »), Boule de Neige, cinq produits en 2003, durée huit ans (« faites fructifier votre épargne en toute sérénité »), Cappuccino, neuf produits de 2003 à 2004, durée quatre ans (« faites mousser votre épargne »), assortis de brochures commerciales toutes plus séduisantes les unes que les autres.

Mais ces brochures avaient un point commun : un minuscule astérisque accolé à la promesse et renvoyant à un texte d’une typographie résolument illisible stipulant « hors droits d’entrée et à condition … ». La condition change, d’une famille de produits à une autre : « dès que le cours d'une action est au moins égal au triple de son cours d'origine pendant la période des 8 ans » pour Boule de Neige. Pour Doubl’Ô Monde, le texte (écrit verticalement dans une police de corps 5, au maximum) précisait sobrement : « Sous réserve des conditions indiquées dans la notice COB, disponible dans cette agence ». Ceux des souscripteurs qui par bonheur eurent copie de ladite notice (dont la remise est pourtant obligatoire), purent y lire :

« Si, à l’une des dates de constatation de chaque fin de trimestre, entre le [date d’ouverture] et le [date d’échéance], on constate qu’une action du Panier enregistre une baisse d’au moins 40 % par rapport à son cours le [date d’ouverture], le porteur ayant souscrit le [date d’ouverture] avant 12 heures percevra le [date d’échéance], au titre de la garantie, le meilleur remboursement entre :

100 % de son investissement initial, hors commission de souscription, majoré d’un coupon qui progresse de 12,5 % par trimestre échu à compter du [date de première constatation], et ce jusqu’à la date de constatation où l’on observe qu’une action du Panier a enregistré une baisse d’au moins 40 % ou ;

100 % de son investissement initial, hors commission de souscription, multiplié par un pourcentage compris entre 60 % et 95 % de l’évolution du Panier calculée à l’échéance »

Un mécanisme pas nécessairement lumineux ni transparent pour le commun des épargnants populaires et qui mérite donc une explication, mais a posteriori, hélas !…

Il ne s’agit ni plus ni moins que d’un pari que l’on fait prendre au souscripteur, à son insu. Sans le savoir, il mise sur un événement par définition imprévisible et aléatoire : quatre ans plus tard, l’un quelconque des douze titres qui servent de référence au FCP (le « Panier », dans le jargon) franchira-t-il ou non un seuil fixé, arbitrairement, à -40 % par rapport à son cours initial ? En ingénierie financière, un pari se gère par des outils statistiques d’évaluation de risque. Mais les avis divergent :

 

·           selon les documents distribués aux conseillers de la Caisse d’Épargne pour Doubl’Ô Monde : sur « 4057 simulations réalisées à partir des historiques de cours relevés entre janvier 1980 et février 1987 :

 

dans 85,21% des cas, le client aurait obtenu au moins le doublement de son capital

dans 94% des cas, le rendement aurait été supérieur à 4,70% l’an »

·           selon les documents diffusés aux mêmes conseillers pour Doubl’Ô Monde 3 : « les simulations réalisées sur une période allant du 1/01/89 au 30/10/01, en reprenant les cours quotidiens de chaque action montrent que dans 100 % des cas le doublement du capital a été obtenu »

 

<!–·         selon un article publié par Testé pour Vous, en date du 31 octobre 2001 : « les probabilités d’obtenir un rendement annuel net inférieur à 0,5 % par an avec Doubl’Ô Monde sont d’environ 76 %, elles sont d’environ 5 % pour un rendement compris entre 0,5 et 2 %, d’environ 4 % pour un rendement de 2 à 4 % et d’environ 3 % pour des rendements de 4 à 6 %, de 6 à 8 %, de 8 à 12 % et d’environ 6 % pour un rendement supérieur à 10 % »

Les résultats devaient hélas confirmer ce dernier pronostic : à leur échéance, aucun des six FCP n’a tenu sa promesse : pour chacun, systématiquement, au moins « une action du Panier [a enregistré] une baisse d’au moins 40 % » et ce, dès la toute première des huit dates de constatation !

Ite missa est … Mais Charles Pasqua ne disait-il pas dans une de ses formules passées à la postérité : « Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent » ?

Les conditions de la souscription

Passons de l’autre côté du comptoir pour apprécier la situation du point de vue des conseillers. Ils (ou elles) ont reçu des brochures publicitaires, des affiches à placarder dans toutes les agences, des plus grandes aux plus petites. Ils ont subi une formation, appuyée par des documents de vente qui présentent une vision idyllique du futur ; on leur a même fourni des réponses aux objections …

On leur a, aussi, assigné des contingents, des objectifs de vente. Pas des « incentive », comme on dit dans le jargon pour désigner des primes ; non, ce sont des quotas. Autrement dit, ce n’est pas d’un supplément de rémunération qu’il s’agit mais a contrario, les conseillers risquent tout simplement leur emploi si les résultats fixés ne sont pas atteints !

Comment s’étonner, dans ces conditions, qu’ils se lancent dans une campagne de vente forcenée ? Quitte, parfois, à « Vendre n’importe quoi à n’importe qui » ; c’est ce que l’on peut lire dans le supplément au n° 86, de décembre 2004, de Trait d’Union Magazine, le journal du Syndicat Unifié / UNSA du Groupe Caisse d’Épargne. Résultat : « Tous les FCP à promesse n’ont pas été vendus dans le respect scrupuleux de l’éthique du vendeur irréprochable, contingent démesuré oblige ! ».

C’est une litote, car dans certains cas, les bornes sont très largement franchies : Emmanuel … cite une expérience qu’il vient de vivre le jour même de l’interview : « une personne de 87 ans à qui on a ouvert un PEA il y a deux ans pour y mettre du FCP Doublo (sur 6 ans) » ; ou bien encore Paul, qui reconnaît : « En début d’entretien, je commence toujours par une découverte du client, mais lors des challenges ou lorsque notre chef nous pousse à vendre certains produits … le besoin du client est mis de côté ».

Problème : comment faire souscrire un client qui ne dispose pas de liquidités ? Élémentaire, mon cher Watson : il suffit de lui faire vider qui son Livret A (ils ont en tous …), qui son Livret B, qui son Plan d’Épargne Logement, parfois les trois. Et qui plus est, il va le faire volontairement : il suffit de lui expliquer, en insistant lourdement au besoin, qu’un doublement sur 6 ans, cela représente 12,25 % par an. Même le moins averti fait vite la différence avec ses autres placements ! Et puisque c’est le conseiller de la bonne vieille Caisse d’Épargne (là où il a ouvert un livret depuis la nuit des temps) qui le dit, on ne peut que lui faire confiance …

Mais pour certains, on peut encore faire mieux et certaines Caisses inventent la panacée : une « formule ingénieuse » qui permet de faire souscrire même ceux qui n’ont aucune liquidité ! Comment ? Tout simplement en leur accordant un prêt (in fine ou amortissable, c’est selon), garanti par le FCP lui-même. Des subprimes, des crédits hypothécaires avant l’heure, en quelque sorte …

Et tout cela sur un rythme d’autant plus effréné que la date du lancement se rapproche. On retourne cette pression en argument en martelant bien au client que c’est en quelque sorte une faveur qu’on lui consent, qu’il n’y en aura pas pour tout le monde et que demain il sera trop tard. Parfois, souvent, tout va si vite qu’on en oublie de faire signer les bulletins de souscription !

Alors, vous pensez : remettre des notices d’information COB, s’assurer qu’elles ont été lues et comprises : il y a bien longtemps qu’on n’en est plus là ! Les grincheux appellent pourtant cela une obligation d’information et de conseil. Mais si on devait écouter les grincheux, où irait-on ? A l’ANPE redoutent in peto les plus pessimistes …

En se basant sur les chiffres officiels du volume des parts émises, telles qu’ils figurent dans ces notices COB, précisément à la rubrique « Montant maximum de l’actif » en page 4, on peut estimer la population des souscripteurs à 240.000 environ et le cumul de leurs mises de fonds à plus de deux milliards d’euros.

La réaction des épargnants

Comparant d’une période sur l’autre les maigres informations qu’ils recevaient occasionnellement, ils se sont inquiétés de l’évolution des valeurs liquidatives. S’en ouvrant à leurs interlocuteurs, ils ont obtenu invariablement la même réponse : « Rengainez vos craintes : ce n’est qu’à la fin de la foire que l’on peut compter les veaux ! ». Et de s’en retourner, rassurés pour un temps : encore une fois, puisque c’est le conseiller qui le dit !…

D’inquiétude, pourtant, leur réaction s’est muée en fureur au fur et à mesure que pleuvaient les lettres circulaires annonçant sans ménagements ni excuses l’échec systématique des FCP, à chaque échéance.

Les moins résignés d’entre eux ont entrepris des démarches auprès de leurs agences respectives ; celles-ci se sont la plupart du temps défaussées sur le Service Relation Client, avec des suites aléatoires, dans la gamme qui va du silence persistant à la fin de non-recevoir pure et simple. Un petit nombre a obtenu des dédommagements, le plus souvent symboliques : remboursement des droits d’entrée et/ou des frais de garde ; dans certains (rares) cas, octroi d’une indemnisation calée sur le taux du Livret A.

Comme le prévoit la procédure, les déboutés se sont alors tournés vers le Médiateur du Groupe Caisse d’Épargne, pour tenter d’obtenir réparation du défaut d’information et de conseil. Au terme du délai de deux mois qu’accorde la charte de la médiation, les réponses ont eu pour trait commun d’ignorer le fond du litige, d’exonérer les Caisses d’Épargne de toute responsabilité, tout en concédant parfois une rémunération « correspondant à 50 % des intérêts acquis au taux du livret A » (ou B, selon les cas) « pendant la période considérée sur les capitaux placés hors droits d’entrée ». A chaque fois, le Médiateur a pris soin de préciser que son avis ne s’imposait pas aux parties ; utile précaution, puisque certaines Caisses ont choisi de passer outre à cette concession, pourtant bien timorée !…

Certains se sont tournés vers des structures comme Que choisir ?, l’Association Française des Utilisateurs des Banques (AFUB) ou SOS-Petits porteurs. Au prix, trop souvent, d’une déception supplémentaire, proportionnelle à la hauteur de leurs attentes.

D’autres encore ont opté pour la voie judiciaire : c’est ainsi que des procédures ont été diligentées à l’initiative d’avocats spécialisés tels que Stéphane Andréo, Hélène Féron et Daniel Richard.

De la réclamation individuelle à l’action collective

En février 2008, s’est constitué sur Internet le « Collectif Lagardère », pour fédérer les épargnants lésés et leur permettre de se faire entendre. Son site (http://doublo.monde.free.fr/) reçoit en moyenne plusieurs milliers de visites par mois, avec des pointes à près de 500 par jour, au gré de l’actualité. L’émission « En partenariat avec Le Particulier : Peut-on faire confiance à son banquier ? » (Isabelle Giordano, Service public, France Inter, 29 mai 2008) n’est pas pour rien dans cette prise de conscience.

Ce rassemblement, qui est en train de se constituer en association sous l’appellation « Collectif Lagardère contre les Abus Bancaires (CLAB) », a déposé des recours auprès de l’AMF et de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) ; il a également alerté Madame Christine Lagarde, Ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi.

Plus récemment, il s’est adressé directement à Monsieur Bernard Comolet, nouveau Président du Directoire de la Caisse Nationale des Caisses d’Épargne (CNCE) pour lui proposer d’ouvrir des négociations : « Puisqu’il s’agit de « tourner la page », ne pensez-vous pas, Monsieur le Président, qu’il serait opportun de mettre un terme à la guérilla dans laquelle vos services se complaisent depuis si longtemps, trop longtemps ? Nous y sommes, quant à nous, résolus : nous n’aspirons qu’à une réparation juste et équitable, mutuellement agréée … Le rétablissement de la confiance est à ce prix ; ce serait donc un excellent investissement, de rentabilité immédiate ! ».

Pour évaluer cette réparation « juste et équitable », le collectif se fonde sur la transposition en droit français de la Directive MIF (en vigueur depuis le 1er novembre 2007), qui impose à la Caisse d’Épargne (comme à tous les autres intermédiaires financiers, ni plus, ni moins) de catégoriser ses clients ; lorsqu’elle consentira enfin à s’y conformer, la Caisse d’Épargne ne pourra que confirmer le profil très majoritairement sécuritaire de ses clients. Et elle devra reconnaître que l’obligation d’information, de conseil et de mise en garde que lui fait la loi aurait dû la conduire à ne leur proposer que des investissements répondant à ce critère, c’est à dire des placements de type obligataire, rémunérés par définition au taux sans risque.

Ce taux (publié quotidiennement par … Natixis) a varié entre 3,82 et 4,98 % au cours de la période de lancement des six FCP Doubl’Ô ; des niveaux sensiblement supérieurs à celui du Livret B (ou même du Livret A) sur la même période !… Et il devrait s’appliquer, selon le CLAB, à la totalité des sommes mises en jeu, à savoir, le montant de la souscription, celui des droits d’entrée et des frais de garde, le tout majoré des dépenses encourues (intérêts des emprunts, par exemple), nonobstant le préjudice moral.

Pour l’instant, comme le dit non sans humour Noël Hongne, Président du CLAB : « Le Collectif Lagardère attend impatiemment le facteur ! », car la réponse à cette main tendue tarde à venir.

La suite dépendra du préposé de La Poste : « si nous n’aboutissons pas à rencontrer les banquiers dans un délai raisonnable, nous organiserons, début décembre, une journée de mobilisation générale », prévient le CLAB dans un communiqué en date du 7 novembre 2008.

Soit à quatre jours de l’anniversaire de l’armistice : faut-il y voir un présage ? Wait and see …