Encore Rachida Dati à la Une ? C'est que la ministre de la Justice est décidément en plein coeur de l'actualité politique. Nous l'avions laissée chahutée à l'Assemblée nationale et rabrouée par son président, à l'occasion du débat sur la réforme institutionnelle. Rarement un tel camouflet avait été infligé à un ministre (lire La disgrâce) ! La voici qui contre-attaque aujourd'hui, interpellée à propos de l'affaire du mariage annulé. On sait que le tribunal de Lille a jugé que le mensonge d'une jeune femme sur sa virginité constituait un motif valable. Au milieu du concert de protestations qui a suivi cette décision, la voix discordante de Dati, elle-même ayant fait annuler un mariage de complaisance quand elle était jeune fille, a fait valoir que le verdict du tribunal avait sans doute permis à la mariée de se libérer d'un lien qu'elle souhaitait rompre. Apparemment avec raison, puisque l'annulation du mariage de Lille avait effectivement satisfait les deux parties. Mais coup de théâtre aujourd'hui, puisque la garde des Sceaux décide finalement de demander au parquet de faire appel. C'est sur cette volte-face qu'elle était interrogée par les députés.

Dans son intervention en réponse à la question de la socialiste Martine Martinel, qui lui reprochait son "ambiguité", une phrase a retenu notre attention, révélatrice de la détestable attitude de la garde des Sceaux face à la critique, que nous nous proposons de décrypter : "Je voudrais vous ajouter, Mesdames et Messieurs les députés du groupe socialiste : où étiez-vous lorsque vous avez créé la politique des grands frères, quand vous avez abandonné un nombre de jeunes filles dans ces quartiers difficiles entre les mains des grands frères ? La politique des grands frères, c'est vous. C'est vous qui avez abandonné ces jeunes filles. Votre politique d'intégration a été un échec, c'est votre échec, nous payons aujourd'hui, pour ces filles, c'est votre échec. (…) Les grands frères ont conduit à une politique de repli communautaire, à une politique identitaire, que vous avez soutenue Alors vous pouvez m'attaquer, mais j'ai échappé à l'échec de votre politique, c'est ce qui vous dérange ! "

Tumulte et protestations sur les bancs de la gauche, gêne sur ceux de la majorité. L'argument de remettre sans cesse la faute sur les socialistes, dans tous les domaines, comme si la droite n'avait pas repris le pouvoir depuis la nomination de Balladur en 1993 (avec Jospin intercalé de 1997 à 2002, dont le "projet n'était pas socialiste" !), soit depuis 15 ans, témoigne de la plus parfaite mauvaise foi. Mais il est fort commode, de la même façon que l'UMP incrimine sans cesse, dès lors qu'il est question d'économie, ces funestes 35 heures, censées être la cause de tous les malheurs de la France. Concernant en l'occurrence la "politique des grands frères" que les socialistes au pouvoir auraient mise en place, on ne sache pas qu'un blanc seing à l'oppression des musulmanes aurait été accordé, ni le repli identitaire encouragé. On n'en dira pas autant du projet sarkoziste, qui entend promouvoir le communautarisme de façon masquée : c'est la logique de la remise en question de la loi de 1905 sur la laïcité. Quant aux aînés des quartiers, si un appel leur fut lancé, plutôt par les milieux associatifs que par les socialistes, d'ailleurs, c'était bien pour "tenir" les plus jeunes, les empêcher de tomber dans la délinquance et leur montrer l'exemple, pas autre chose. Dans ce domaine, la "politique des grands frères" vaut bien celle du kärcher ! La saillie de Dati, qui accuse les socialistes d'avoir "abandonné" les jeunes filles des quartiers, ne repose en réalité sur rien.

Mais la fin de son intervention est plus intéressante encore : "Alors vous pouvez m'attaquer, mais j'ai échappé à l'échec de votre politique, c'est ce qui vous dérange !", lance-t-elle. Traduisons : malgré les socialistes qui avaient planifié l'oppression des musulmanes, Dati a su s'élever dans l'échelle sociale et elle est aujourd'hui attaquée à cause de cette réussite. Elle accuse tout simplement ses adversaires de racisme ! Sa consoeur du gouvernement Rama Yade, elle aussi, avait brandi cette excommunication : la gauche l'attaquerait parce qu'elle est noire. Il suffit, Mesdames ! Brandir ainsi votre origine comme un bouclier contre la critique est proprement insupportable. Et cette Dati qui se donne en exemple ("j'ai échappé à l'échec de votre politique"), semblant vivre son ascension comme une revanche sur la gauche ("c'est ce qui vous dérange") – on nage en plein délire ! -, pour qui se prend-elle ? Un exemple ? Question de valeurs : Arabe ou pas, la ministre n'est qu'une arriviste aux dents qui rayent le parquet, imbue d'elle-même, insupportable de mépris pour ses collaborateurs – la bagatelle de douze membres de son cabinet l'ont déjà quittée en à peine un peu plus d'un an ! – et elle ne doit finalement sa réussite qu'au fait du prince. Sarkozy a choisi de la promouvoir comme symbole, pour mieux cacher la réalité de la façon dont les Arabes sont traités en France, à cause de son appropriation des idées de l'extrême droite raciste : avec la police des contrôles au faciès, de l'humiliation au quotidien des habitants des quartiers, au service du ministère des expulsions et de la persécution des étrangers, pour qui tout basané est un clandestin en puissance. La Dati n'est qu'un alibi en tenue Dior. Une intrigante, une parvenue. En fait d'exemple, puisse notre fille ne jamais lui ressembler !

PS : La vidéo de l'intervention de Rachida Dati est en ligne ici.

Olivier Bonnet est journaliste indépendant, blogueur de Plume de presse et auteur de Sarkozy, la grande manipulation (Editions Les points sur les i, mai 2008).