La disparition du poète et homme politique martiniquais Aimé Césaire a ému tout le monde. Une référence morale vient de partir. Mais déjà, certains veulent le ‘dépouiller’.
Le 17 avril 2008 à 11h20 (heure de Paris), hospitalisé depuis huit jours pour des problèmes de cœur, Aimé Césaire s’est éteint à presque 95 ans. Il allait fêter son anniversaire dans deux mois, le 26 juin.
Dès cette annonce, hélas prévisible, les médias ont très vite rappelé son brillant parcours et les symboles qu’il a représentés. Une très longue existence pour un homme à taille assez petite. Il avait déjà été fêté l’an dernier à l’occasion de son anniversaire notamment avec une lettre de Nicolas Sarkozy qui lui exprimait sa « profonde sympathie ».
Un écrivain au vocabulaire musclé
Il est communément appelé le « chantre de la négritude », qu’il a véritablement ‘élaborée’ entre autres avec son ami Léopold Sedar Senghor, futur Président du Sénégal, qu’il avait rencontré pour la première fois au lycée Louis-Le-Grand en… 1931 (Le Guyanais Léon-Gontran Damas faisait aussi partie de cette prodigieuse ‘équipée’).
La négritude, c’est un concept finalement assez flou, aussi littéraire que politique, favorable évidemment à la décolonisation, mais avant tout, qui visait à rappeler que les hommes de couleur sont autant capables d’atteindre les sommets intellectuels et littéraires que les ‘autres’. Une sorte de « fierté d’être nègre » et un rappel révolté contre l’Occident juché sur « le plus haut tas de cadavres de l’humanité ».
Ses mots sont particulièrement musclés, vifs, vibrants, dynamiques. Le rythme est original et soutenu, le style est très reconnaissable. Il peut heurter, il hurle parfois, il réveille toujours.
Un court exemple tiré d’un site qui lui est consacré.
« Et sur ce rêve ancien mes cruautés cannibales :
(…)
Je me cachais derrière une vanité stupide le destin m'appelait
J'étais caché derrière et voici l'homme par terre, sa très
fragile défense dispersée,
Ses maximes sacrées foulées aux pieds, ses déclamations
pédantesques rendant du vent par chaque blessure.
Voici l'homme par terre
Et son âme est comme nue
Et le destin triomphe qui contemple se muer
En l'ancestral bourbier cette âme qui le défiait. »
Un vieux briscard du paysage politique
Mais parallèlement à sa vie de poète et d’écrivain, Aimé Césaire était un vieux routier de la politique française et antillaise.
Engagé par le Parti communiste qui vit en lui l’espoir de la Martinique (avec pertinence), il le quitta très vite après la mort de Staline et resta très indépendant (fondant son propre parti) tout en s’étant rapproché petit à petit du Parti socialiste.
En fait, il était un véritable baron local : depuis la Libération, indéboulonnable maire de Fort-de-France pendant plus d’un demi-siècle (il quitta la mairie seulement en 2001, il avait déjà 87 ans !), insaisissable député de la Martinique pendant aussi près d’un demi-siècle (de la Libération à la seconde cohabitation) et impliqué également dans les collectivités locales martiniquaises (au Conseil général pendant presque vingt ans, au Conseil régional qu’il présida brièvement juste avant les nouveaux pouvoirs de la décentralisation aménagée par Gaston Defferre).
Toujours très estimé, peut-être pas toujours apprécié, parfois très en colère (notamment contre l’article 4 de la loi du 23 février 2005 à propos de la mémoire et de la décolonisation) et avec une langue rarement dans sa poche.
L’un de ses premiers engagements politiques fut de faire sortir la Martinique du stade colonial, notamment par sa départementalisation en 1946.
L’Antoine Pinay des Antilles
Au fil des décennies, il était devenu une sorte d’Antoine Pinay des Antilles, chez qui on se rend pour avoir son onction, ses avis, sa photo…
Il avait fini par accepter de recevoir Nicolas Sarkozy en mars 2006 (alors Ministre de l’Intérieur) où il voyait en lui, quand même, malgré son opposition, un dynamisme et un volontarisme exceptionnels (paroles qui furent compliments pour le futur candidat).
Mais, comme un autre illustre nonagénaire (l’ancien ministre gaulliste Jean-Marcel Jeanneney), son soutien pour l’élection présidentielle était allé naturellement vers Ségolène Royal qui passa une partie de son existence en Martinique, qu’il accompagna même, malgré sa santé fragile, à une réunion électorale à Fort-de-France le 26 janvier 2007, lui attribuant confiance et espérance. Il fut même le président d’honneur du comité de soutien de Ségolène Royal.
Plus tard, le Premier Ministre François Fillon le rencontra également lors de sa visite en Martinique le 5 janvier 2008 où il rappela que le premier maire noir de la métropole était le martiniquais Raphaël Élizé, élu en 1929 maire de… Sablé-sur-Sarthe, ville dont François Fillon a été maire pendant 21 ans.
Des éloges unanimes
Un dernier dialogue pour François Fillon avant son hommage d’hier : « Proche d’André Breton [qui s’installa en Martinique pendant la guerre], le poète Césaire ne craignait ni la force des images, ni leurs ruptures. Il laissait naître de sa colère des chants puissants et durs. Il mettait ses morts au service de la lutte pour la dignité humaine, en particulier celle des peuples colonisés et humiliés. ».
Naturellement, toute la classe politique française (et évidemment au-delà, puisque Césaire était un ‘monstre sacré’ à la fois de la vie culturelle et de la vie politique) a fait part de son émotion dans la plus grande des sincérités.
Le Président Nicolas Sarkozy a déclaré à Neufchâteau que « c’est toute la nation française qui est en deuil » ajoutant : « Par son appel universel au respect de la dignité humaine, à l’éveil et à la responsabilité, il restera un symbole d’espoir pour tous les peuples opprimés. ».
Son prédécesseur Jacques Chirac a parlé d’un « homme de lumière » et l’ancien Président du Sénégal, Adbou Diouf, actuellement secrétaire général de la Francophonie, a fait part de la « très grande émotion de toute la famille francophone ».
L’ancienne candidate socialiste, Ségolène Royal, a évoqué « un homme de conviction, de création, de témoignage, qui fut sa vie durant un éveilleur de conscience, un éclaireur de notre temps, un démineur d’hypocrisie, un porteur d’espoir pour tous les humiliés, un combattant inlassable de l’humaine dignité » (avec un style d’ailleurs qui se rapproche bien d’Aimé Césaire lui-même).
Responsable de l’Outre-mer, la Ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie a annoncé des obsèques nationales pour dimanche 20 avril 2008 et son Secrétaire d’État à l’Outre-mer Yves Jégo (maire de Montereau) est déjà parti hier pour participer aux trois jours d’hommage.
Le Président de l’Assemblée Nationale, Bernard Accoyer, a annoncé aux députés un hommage à leur ancien collègue pour le 29 avril 2008 en début de séance.
Le maire de Paris, Bertrand Delanoë envisage déjà de donner le nom d’Aimé Césaire à un lieu de la capitale en hommage à ce « progressiste passionné, combattant de la fraternité universelle, éveilleur des âmes et des consciences ».
Une salle d’étude du lycée Louis-Le-Grand portera d’ors et déjà le nom de l’ancien étudiant qui s’y réunissait souvent avec Senghor et Pompidou.
Sincérité et surenchère
Mais on commence à assister, lors de la disparition d’une personnalité hors du commun et finalement, à la fin de son existence, très consensuelle malgré son militantisme très marqué, à des sortes de surenchères pour exprimer son affliction, comme dans une sorte de concours à l’émotion dont le gagnant aurait la reconnaissance posthume de la personnalité.
Et dans ce cadre, la demande au Panthéon fait bien. Cela fait mode, et surtout, cela fait subtile.
Ainsi, Ségolène Royal est parmi les premiers à demander l’entrée au Panthéon du poète comme « éminent symbole d’une France métissée ».
Le député centriste (et maire de Drancy) Jean-Christophe Lagarde (que j’apprécie par ailleurs) a également demandé cette ‘panthéonisation’ par une lettre adressée à Nicolas Sarkozy où il évoque « l’humanisme actif et concret » d’Aimé Césaire.
Le député socialiste Victorin Lurel, président du Conseil régional de Guadeloupe et l’historien Claude Ribbe lui ont emboîté le pas.
Répondant très vite (sur RTL), la Ministre de la Culture Christine Albanel a même donné son accord de principe, car « Césaire aurait certainement sa place au Panthéon, qui rend hommage aux grands hommes qui ont servi notre patrie » tout en restant prudente en laissant l’initiative à Nicolas Sarkozy : « une décision, évidemment, qui doit être prise au plus haut niveau ».
Panthéoniser, pour quoi faire ?
Je ne doute évidemment pas de la sincérité des demandes, mais je ne doute pas non plus de leur ego suffisamment habile pour vouloir l’associer au destin d’un grand homme.
Le discours d’André Malraux lors du transfert des cendres du résistant Jean Moulin reste à jamais gravé dans la mémoire de la République française.
Sorte de sanctuaire républicain qui accueille les canonisés de la République, le Panthéon est une sorte d’exposition des personnalités françaises marquantes.
À qui cela sert-il ? Aux disparus dont le corps est de toutes façons réduit en poussière dans l’humilité du deuil… ou aux vivants ? Pourquoi vouloir faire resurgir une sorte de vague religion républicaine ?
Ne faudrait-il pas plutôt gratifier les vivants méritants ? les honorer et les aider dans leurs engagements pour réaliser encore d’autres actions bénéfiques à la République plutôt que de se tourner sans arrêt à son livre d’images d’Épinal ?
Ce ne sont que des questions évidemment.
Humilité et enracinement
J’ai cependant la nette impression qu’Aimé Césaire, qui n’a pas semblé vouloir de l’Académie française (le jour même de sa mort, elle élisait l’évêque d’Angoulême, Mgr Claude Dagens, au fauteuil de René Rémond) dans laquelle son ami Senghor avait siégé (au fauteuil occupé maintenant par Valéry Giscard d’Estaing), était avant tout un homme humble et enraciné, attaché à sa terre martiniquaise, et qu’il n’aurait eu aucune envie de cette proposition presque indécente.
Il sera enterré sans cérémonie religieuse. Évitons toutes les cérémonies religieuses.
Laissons Aimé Césaire désormais reposer en paix chez lui et parmi les siens.
Sylvain Rakotoarison (18 avril 2008)
Pour aller plus loin :