Le 12 mars dernier, Lazare Ponticelli, vrai faux héros de la Grande Guerre disparaissait, emportant avec lui le souvenir d'horreur qui nous liait au premier grand conflit mondial.

Et si certains pensaient les tragédies enfouies dans de profonds charniers de l'Histoire,

Les guerres, elles, continues de s'exporter comme de sales maladies, qu'il nous faut continuer d'accepter de mener…tant qu'il y aura des hommes.

"Hivers : saisons des tracas de la nature. Saisons de misères. Saisons de l'attente. Noëls sans feu, Noëls sans bois, Noëls sans femmes. Saisons des poux, saisons des neiges salies, rougies par les entrailles humaines. Saisons des cadavres mal enterrés. Saisons des putains laides, vieilles et usées. Saisons de toutes les véroles. Saisons d'un dieu sourd et des prières que personne n'écoute…" Paroles de poilus – Guéno, Laplume – Librio

Il est parti le dernier permissionnaire à avoir croisé ceux de la Tête à Vaches et du Bois Bouchot. Le dernier qui s’épuisait d’avoir pour tout repas une boite de singe. Le dernier à avoir vu des océans de feux ramener aux rivages des tranchées, des morceaux de ses camarades. Le dernier qui avait un ennemi – en réalité un homme comme lui – à peine à 100 mètres. A peine à 30 mètres. A peine à 10 mètres et à pouvoir sentir la rumeur de sa trouille d'homme.

Et la rumeur disait : je veux vivre, je veux vivre

Il est parti le dernier d’Argonne et du Tyrol. Le dernier à avoir entendu la rumeur d’un obus de 120 grêler le ciel. Le dernier à s’être levé sur des terrils de boue et de sang. Et ce n’était rien d’autre. Pas même des Empires. Pas même des Républiques. Juste des montagnes de crasse du haut desquelles, il ne voulait porter, ni arme, ni drapeau. Empruntant à ceux qui déjouent les ordres, le pouvoir de dire « non ».

Il est parti le dernier à pouvoir humer le cadavre d’un Conseil de Guerre qui voulait l’arracher aux matins de gris. Qui voulait l'arracher aux crépuscules lorsque se chantait les longues listes de noms. Le dernier à enterrer sa tête. Le dernier à enterrer ses jambes. Enterrer son ventre. Embryon d’homme reniflé par la mort.

Il est parti, rompant le fil qui nous étranglait et révulsait nos yeux quand il fallait regarder le « cri du temps ». Cette source qui se tarie à chaque souffle coupé, quand au préalable elle n’a pas fait pousser les germes de ses échos.

Il est parti le dernier de la dernière. Car si mal sont nommée les horreurs, dont les gouvernants s’inventent soudain des fièvres religieuses, comme pour autant de pardons refusés.

Aujourd’hui la terre charbonneuse, charrie l’impuissance sociale et l’impédance capitaliste. Comme si de mauvaises augures, les zones commerciales avaient poussées par dessus les no man’s land. Une même vie injurieuse, soupçonnée d’être plus radieuse car ayant fait feu des hurlements de 75, de 120 et de 400. Feu la ferraille profonde au fond des cuisses. Feu les hurlements étouffés d'Ypres. Feu les bandeaux noués sur l’horizon de ceux que l’on exécutaient à Vingré et pour l’exemple.

Les guerres sont loin maintenant. Ecrasées par le mouvement de l’histoire. Rejetées aux confins de continents aux frontières éparses. Parfois réduites au simple silence d’un bouton de télécommande et dont il est acquis de croire désormais, qu’elles seront témoignées en direct.

Des guerres. Bâtardes pour peu qu’elles se ressemblent. Souvent niées, déformées par la dialectique qui en fait des évènements, des opérations de maintien de l’ordre ou des fièvres sporadiques. Des guerres propres. A l’hémoglobine absorbée. Des guerres qui éclatent miraculeusement à l’heure du diner et dans un jeu de lumières vertes.

Des guerres encore et toujours, car de leçons l’homme puissants de pouvoirs, ne veut retenir que la façon dont l’opinion mondialisé pourra les tolérer d’avantage. Des guerres à mener jusqu’au fond des chiottes. Des guerres de mensonges. Construites dans des bunkers de formes ovales. Des guerres pieuses. Imaginées sous la tôle des bidonvilles. Des guerres arrachées aux silences de la justice d’un dieu anecdotique. Des guerres ficelées autour des corps. Des guerres de plastique, de dommage collatéraux, de balles perdues et abandonnées dans les chairs innocentes. Des guerres d’innocents.

Des guerres aussi que nos suffisances devraient pouvoir mener. Une autre guerre, capable de faire tomber des vitrines. Capable d’extirper de nos mains, l’immondice des labeurs et de ses rétributions pécuniaires.

Des guerres que l’on imagine au fronton de barricades. De petites guerres de lacrymo entre Bastille et République. Des guerres jusqu’à l’heure du dernier métro. Des guerres aux urnes mais qui ne compte même pas. Des guerres de mots, jetés, solitaire, à la tronche des écrans froids. Des guerres pour occuper de longues journées de repos. Des guerres au chaud et lavée du soupçon d’héroïsme. Des guerres sans trouille autre qu’une charge de CRS. Des guerres sans ne jamais pouvoir mourir. Des guerres naïves. Supplantées par l’armistice des frontières retrouvées, des drapeaux relevées et des compensations monétaires.

Des guerres aussi inefficaces qu’improbables. Car chaque fois, chaque jour, que reprenait la cohue des hommes était piétiné cette nouvelle promesse d’un conflit. Comme si l’enfer des guerres était avant tout l’enfer des autres. Comme si de dernières en prochaines, rien ne pourrait jamais tarir cet « espoir effroyable » de se battre, tant qu'à chaque saisons il y aurait des hommes.