Certaines chaînes de télévision arabes ne font pas toujours bon usage de la marge de liberté que leur assure la diffusion par satellite qui, on le sait, échappe (encore) au contrôle direct des Etats et de leurs dispositifs, juridiques et technologiques, dédiés à la censure.
Abusant souvent de cette liberté, ces chaînes font à peu près n’importe quoi. C’est le cas notamment des chaînes religieuses du Golfe qui diffusent, à longueur de journée, des prêches imprécatoires et haineux, propageant un Islam obscurantiste et intolérant, attisant la mésentente entre les peuples, si elles n’appellent pas ouvertement au jihad et à la guerre des religions.
C’est le cas aussi de certaines chaînes d’information dites libres et indépendantes, qui multiplient les talk shows où les débatteurs, poussés dans leurs derniers retranchements, se laissent souvent aller à des glissements sémantiques dangereux ou des déchaînements verbaux dont l’influence sur les téléspectateurs n’est pas toujours heureuse.
Sans aller jusqu’à accuser ces chaînes d’être des porte-voix des groupuscules extrémistes ou de faire l’apologie du terrorisme, nous devons dénoncer leurs dérapages et les appeler à un traitement plus responsable et plus pondéré de l’information et à éviter d’ajouter de l’huile sur le feu, surtout dans une région comme la nôtre qui compte assez de foyers de tension menaçant de se transformer, à la moindre étincelle, en brasiers ardents. Mais de là à chercher à museler ces chaînes, dont certaines font un travail remarquable pour la promotion d’une information libre, indépendante et responsable dans un monde arabe qui en a besoin, il y a un pas que nous nous garderons de faire. Un pas que, malheureusement, les ministres arabes de l’Information des Etats membres de la Ligue arabe, réunis au Caire, le 12 février, en session extraordinaire convoquée à l’initiative de l’Egypte, ont franchi allègrement en approuvant (presque à l’unanimité, puisque seul le Qatar, siège de la chaîne Al-Jazira, a voté contre) une charte qui risque de museler davantage l’information sous nos latitude. Et pour cause : la charte en question interdit tout contenu qui mettrait en danger «la paix sociale, l’unité nationale, l’ordre public, la propriété privée et les valeurs traditionnelles». Elle interdit aussi de critiquer les religions ou de diffamer (ou offenser) les dirigeants politiques et religieux. Pis : elle donne aux pays signataires le droit de «retirer, de geler ou de ne pas renouveler les autorisations de travail des médias qui enfreindraient les règles mentionnées».
Par-delà les principes qu’elle énonce et auxquels on pourrait souscrire avec quelques réserves, cette charte pose un certain nombre de problèmes.
D’abord, elle a été élaborée et adoptée (presque au pas de charge) à un moment où les organisations arabes et internationales de défense des droits de l’homme multiplient les mises en garde contre le musellement de la liberté d’expression et d’information dans les pays arabes.
Ensuite, elle est venue à un moment où les médias arabes, dont quelques chaînes satellitaires de qualité, ont réussi à élargir le champ de la liberté d’expression et à redonner confiance dans les capacités des journalistes de la région à produire une information de qualité, distante de la propagande officielle et des vociférations militantes des mouvements d’opposition.
Tertio : les principes énoncés par cette «charte» sont discutables, d’autant que leur mise en application au quotidien posera sans doute problème. Car où s’arrête la critique des choix politiques du gouvernement en matière (par exemple) d’économie, d’éducation ou de santé et où commence «l’atteinte à la paix sociale, l’unité nationale et l’ordre public» ? Où s’arrête la réflexion sur tel ou tel sujet d’ordre religieux et où commence l’atteinte à la religion et aux valeurs traditionnelles? Où s’arrête «l’expression d’une opinion» sur l’action d’un dirigeant politique ou d’un notable religieux et ou commence la «diffamation» de ce dirigeant ou ce notable ? Les services de l’Etat sont-ils les seuls habilités à légiférer sur les cas litigieux qui ne manqueraient pas de se poser à l’avenir et s’imposer ainsi, à l’insu de toute logique, comme juges et arbitres ? Ne devrait-on pas plutôt créer des instances autonomes formées d’experts juridiques, représentants de la profession et personnalités indépendantes connues pour leur probité intellectuelle et morale pour juger des éventuelles infractions et sanctions, à l’instar de ce qui existe dans la plupart des pays développés, comme le Conseil supérieur de l’audio-visuel en France ?
Les ministres arabes de l’Information, qui ont voté la nouvelle charte, ne se sont pas beaucoup attardés sur ces questions qui nous semblent pourtant primordiales. Car à quoi serviraient les ambiguïtés contenues dans le texte adopté, et qui laissent la porte ouverte à toutes les interprétations, sinon à museler davantage des médias arabes déjà largement soumis et aseptisés ?
Ridha KEFI – Editorial de L’Expression n° 19, du 22 février 2008
Certaines chaînes de télévision arabes ne font pas toujours bon usage de la marge de liberté que leur assure la diffusion par satellite qui, on le sait, échappe (encore) au contrôle direct des Etats et de leurs dispositifs, juridiques et technologiques, dédiés à la censure.
Abusant souvent de cette liberté, ces chaînes font à peu près n’importe quoi. C’est le cas notamment des chaînes religieuses du Golfe qui diffusent, à longueur de journée, des prêches imprécatoires et haineux, propageant un Islam obscurantiste et intolérant, attisant la mésentente entre les peuples, si elles n’appellent pas ouvertement au jihad et à la guerre des religions.
C’est le cas aussi de certaines chaînes d’information dites libres et indépendantes, qui multiplient les talk shows où les débatteurs, poussés dans leurs derniers retranchements, se laissent souvent aller à des glissements sémantiques dangereux ou des déchaînements verbaux dont l’influence sur les téléspectateurs n’est pas toujours heureuse.
Sans aller jusqu’à accuser ces chaînes d’être des porte-voix des groupuscules extrémistes ou de faire l’apologie du terrorisme, nous devons dénoncer leurs dérapages et les appeler à un traitement plus responsable et plus pondéré de l’information et à éviter d’ajouter de l’huile sur le feu, surtout dans une région comme la nôtre qui compte assez de foyers de tension menaçant de se transformer, à la moindre étincelle, en brasiers ardents. Mais de là à chercher à museler ces chaînes, dont certaines font un travail remarquable pour la promotion d’une information libre, indépendante et responsable dans un monde arabe qui en a besoin, il y a un pas que nous nous garderons de faire. Un pas que, malheureusement, les ministres arabes de l’Information des Etats membres de la Ligue arabe, réunis au Caire, le 12 février, en session extraordinaire convoquée à l’initiative de l’Egypte, ont franchi allègrement en approuvant (presque à l’unanimité, puisque seul le Qatar, siège de la chaîne Al-Jazira, a voté contre) une charte qui risque de museler davantage l’information sous nos latitude. Et pour cause : la charte en question interdit tout contenu qui mettrait en danger «la paix sociale, l’unité nationale, l’ordre public, la propriété privée et les valeurs traditionnelles». Elle interdit aussi de critiquer les religions ou de diffamer (ou offenser) les dirigeants politiques et religieux. Pis : elle donne aux pays signataires le droit de «retirer, de geler ou de ne pas renouveler les autorisations de travail des médias qui enfreindraient les règles mentionnées».
Par-delà les principes qu’elle énonce et auxquels on pourrait souscrire avec quelques réserves, cette charte pose un certain nombre de problèmes.
D’abord, elle a été élaborée et adoptée (presque au pas de charge) à un moment où les organisations arabes et internationales de défense des droits de l’homme multiplient les mises en garde contre le musellement de la liberté d’expression et d’information dans les pays arabes.
Ensuite, elle est venue à un moment où les médias arabes, dont quelques chaînes satellitaires de qualité, ont réussi à élargir le champ de la liberté d’expression et à redonner confiance dans les capacités des journalistes de la région à produire une information de qualité, distante de la propagande officielle et des vociférations militantes des mouvements d’opposition.
Tertio : les principes énoncés par cette «charte» sont discutables, d’autant que leur mise en application au quotidien posera sans doute problème. Car où s’arrête la critique des choix politiques du gouvernement en matière (par exemple) d’économie, d’éducation ou de santé et où commence «l’atteinte à la paix sociale, l’unité nationale et l’ordre public» ? Où s’arrête la réflexion sur tel ou tel sujet d’ordre religieux et où commence l’atteinte à la religion et aux valeurs traditionnelles? Où s’arrête «l’expression d’une opinion» sur l’action d’un dirigeant politique ou d’un notable religieux et ou commence la «diffamation» de ce dirigeant ou ce notable ? Les services de l’Etat sont-ils les seuls habilités à légiférer sur les cas litigieux qui ne manqueraient pas de se poser à l’avenir et s’imposer ainsi, à l’insu de toute logique, comme juges et arbitres ? Ne devrait-on pas plutôt créer des instances autonomes formées d’experts juridiques, représentants de la profession et personnalités indépendantes connues pour leur probité intellectuelle et morale pour juger des éventuelles infractions et sanctions, à l’instar de ce qui existe dans la plupart des pays développés, comme le Conseil supérieur de l’audio-visuel en France ?
Les ministres arabes de l’Information, qui ont voté la nouvelle charte, ne se sont pas beaucoup attardés sur ces questions qui nous semblent pourtant primordiales. Car à quoi serviraient les ambiguïtés contenues dans le texte adopté, et qui laissent la porte ouverte à toutes les interprétations, sinon à museler davantage des médias arabes déjà largement soumis et aseptisés ?
Ridha KEFI – Editorial de L’Expression n° 19, du 22 février 2008
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