Dans la première partie (article paru le 30 janvier sur COM4NEWS sous le même titre) j’ai essayé d’expliquer comment la Société Générale comme d’autres banques avait sous-estimé depuis août, l’ampleur des dégâts sur les Subprimes, en annonçant au début des expositions réduites à cette crise puis des pertes de plus en plus élevées. Par ailleurs, j’ai affirmé que le trader ne pouvait avoir agi seul, en expliquant comment fonctionnait le système et qui étaient ces hommes de l’ombre (parfois faisant la Une), ces traders qui brassaient régulièrement des millions voire des milliards de dollars et d’euros.
Enfin, suite à de contacts avec des salariés de la Générale (anciens cadres, responsables d’agence, employés ou simples clients comme moi-même), j’ai noté qu’il n’y avait eu aucune panique – suite au remarquable travail d’information fait par la direction générale et les responsables d’agence –, juste une forte inquiétude en raison de l’information tardive donnée au public, ce qui se justifiait pleinement du fait de la situation des marchés financiers (en forte baisse) à ce moment là. En outre, j’ai fait la comparaison avec l’affaire de la Barings, même si les conditions sont très différentes, le point commun concernant le type d’actifs en jeu.
Depuis, nous avons eu connaissance d’un délit d’initié en deux étapes, réfuté par la direction de la banque, qui fait l’objet actuellement d’une enquête. Il faut savoir que les délits d’initiés se produisent de temps à autre, qu’il est très difficile de les identifier comme tel, le cas récent d’EADS est là pour nous le prouver. On parle souvent de concours de circonstances ou de raisons personnelles pour expliquer la concomitance entre la vente d’actions par un des dirigeants d’une entreprise et l’annonce d’évènements susceptibles d’influer fortement le cours de l’action de cette entreprise.
Aux Etats-Unis, l’autorité de surveillance des Marchés financiers américains, la SEC (Securites and Exchange Commission), se montre beaucoup plus sévères que l’AMF (Autorité des marchés financiers) en France. Cela vient peut-être du fait que les délits d’initiés sont moins nombreux chez nous (ce qui reste à prouver) et que la réglementation est plus contraignante, avec par exemple, l’impossibilité pour le responsable des fusions-acquisitions au sein d’une banque, de posséder le moindre portefeuille de produits financiers, de donner ou de « susurrer » la moindre information sur le marché, sous peine de faire l’objet de sanctions importantes (faute grave voire lourde).
Mieux comprendre l’affaire de la Générale, c’est se replacer dans le contexte de ces journées qui ont vu l’indice CAC40 battre le lundi 21 janvier 2008, tous les records à la baisse avec – 6,83%, qui n’était rien d'autre que la plus forte baisse du CAC 40 depuis un certain « 11 septembre 2001 ». La panique qui s’est emparée des marchés (où la nouvelle de la fraude était connue depuis le vendredi 18, voir paragraphes suivant la note de la SG) était telle que le lendemain, mardi 22 janvier, le CAC40 a continué sa descente aux enfers en plongeant de 5% à l’ouverture (atteignant 4505 pts contre 4744,45 pts à la clôture la veille), soit sur deux jours autant que le Dow Jones au plus fort de la crise de 1929, et moins que lors du Krach du 19 octobre 1987 (le plus fort en terme de % de baisse) où l’indice de Wall Street avait dévissé de 22,6% –, pour rebondir il est vrai le lendemain, mais ne regagner ses pertes que deux ans après.
Avant de rentrer dans le détail des pertes de la Générale – dont la presse s’est fait largement écho – mais de manière plus analytique, ne tombons pas dans le piège de l’anathème à l’encontre du trader Jérôme Kerviel. C’est la curée des médias contre ce jeune homme accusé d’avoir faire perdre à la Société Générale près de 5 milliards d’euros. Tout d’abord, même s’il y a fraude, même si les procédures ont été détournées et que c’est hautement condamnable, il existe un adage boursier qui dit que « tant qu’on n’a pas vendu, on n’a rien perdu ». Or, le vendredi 18 janvier, une position anormalement élevée de risque de contrepartie détectée sur les jours précédents, conduit la Société Générale à des investigations supplémentaires. La « note explicative concernant la fraude exceptionnelle » de la Société générale est claire : « La position frauduleuse découverte le dimanche 20 janvier s’élève à environ 50 milliards d’euros de nominal équivalent. Cette position frauduleuse doit impérativement être débouclée dans les plus brefs délais, en raison des risques liés à sa taille. Le débouclage de la position doit donc démarrer dès le 21 janvier, de façon contrôlée et en demeurant dans les limites de volumes inférieures à 10% afin de respecter l’intégrité des marchés. Les conditions de marché sont très défavorables. Le vendredi 18 janvier après-midi, les marchés européens avaient fortement chuté. Dans la nuit du 20 au 21 janvier, les marchés asiatiques sont en forte baisse (-5,4% sur le Hang Seng) avant l’ouverture des marchés européens. La position a été débouclée en trois jours suivant un mode opératoire contrôlé, qui a conduit Société Générale à ne pas dépasser environ 8% des volumes traités sur les indices futures concernés (EUROSTOXX, DAX et FTSE) ».
Je ferais une première observation sur cette note de la SG. Il est faux de dire que « Le vendredi 18 janvier après-midi, les marchés européens avaient fortement chuté ». La panique ne s’est emparée des marchés que le lundi 21 suivant, suite, effectivement à la chute des bourses asiatiques. Si on reprend les chiffres du 18 janvier, on a :
– un CAC40 à Paris qui ne perd 1,25%, ce qui est une baisse récurrente depuis plusieurs mois (contre 6,83% le lundi 21) ;
– un DAX Xetra à Francfort qui perd 1,34%, (contre 7,16% le lundi 21) ;
– un BEL20 à Bruxelles qui perd 1,92%, (contre 5,48% le lundi 21) ;
– un IBEX35 à Madrid qui perd 0,87%, (contre 7,54% le lundi 21) ;
– un MIB30 à Milan qui perd 1,22%, (contre 5,09% le lundi 21) ;
– un AEX à Amsterdam qui perd 1,34%, (contre 6,14% le lundi 21) ;
– un FTSE 100 à Londres stable à – 0,01% (contre 5,48% le lundi 21) ;
Par ailleurs, les pertes de 5 milliards, sur lesquelles nous reviendrons plus loin en détail, sont le résultat des décisions de la banque, de déboucler les positions à hauteur de 50 milliards d’euros du trader. Sans épiloguer sur le partage de responsabilités – où il est évident que « l’équipe », voyant les dégâts et par peur de sanctions, a dû tenter « le tout pour le tout » pour se sortir de l’ornière d’où l’énormité des sommes engagées lors des deux premières semaines de janvier –, la panique qui s’est emparée de la direction a certainement accentué les pertes, compte tenu des décisions prises au plus mauvais moment. Même si un autre adage boursier dit que « mieux vaut se couper la main que le bras », un dicton répond : « Patience est mère de sûreté ». Effectivement, si on avait attendu, ne serait-ce qu’une quinzaine de jours, les pertes auraient pu être inférieures à 3,5 milliards (si on prend comme référence à la vente les cours moyens des premiers jours de février des indices EUROSTOXX, DAX et FTSE).
Pour bien comprendre les différentes opérations qui se sont succédées, il faut tout d’abord revenir sur la chronologie des évènements tels qu’expliqués dans la note de la Société Générale, puis expliquer le fonctionnement de ce marché des « Futures ». Voici quelques extraits de cette note (paragraphe « 3. Conditions dans lesquelles la fraude a été découverte ») :
« Vendredi 18 janvier : Une position anormalement élevée de risque de contrepartie sur un courtier avait été détectée dans les jours précédents. Les explications fournies par le trader ont conduit à des contrôles complémentaires. Le 18 janvier, la hiérarchie du trader est alertée de ce problème et prévient à son tour la hiérarchie du département. Il apparaît dans l’après-midi du 18 janvier que les opérations enregistrées auraient pour contrepartie une grande banque, mais le mail de confirmation apparaît suspect. Une équipe est immédiatement constituée pour investiguer. »
« Samedi 19 janvier : La hiérarchie n’obtient pas du trader d’explications claires. La grande banque mentionnée ne reconnaît pas ces opérations. Le trader reconnaît avoir commis des irrégularités et, en particulier, avoir créé des opérations fictives. L’équipe d’investigation commence à détecter la position réelle. »
« Dimanche 20 janvier : Dans le courant de la matinée l’ensemble des positions sont identifiées. En début d’après-midi, l’exposition totale est entièrement connue. Daniel Bouton avertit immédiatement le Gouverneur de la Banque de France. Le Comité des Comptes avait été convoqué dimanche 20 janvier après-midi pour examiner les résultats estimés 2007 et les dépréciations à passer dans les comptes au titre des produits ayant des créances hypothécaires américaines comme sous-jacent (notamment les CDO), en vue du Conseil d’Administration convoqué le même jour à 18h30. Le Président a informé les membres du Comité de la découverte qui venait d’être faite de la position du trader. Il a indiqué qu’il avait décidé de clore la position le plus rapidement possible et, conformément à la réglementation des marchés, de reporter toute communication sur cette découverte et sur les résultats estimés jusqu’à la clôture de la dite position. Daniel Bouton a ensuite informé le Secrétaire Général de l’AMF. Au Conseil d’Administration, le Président a expliqué qu’il n’était pas possible de communiquer sur les résultats estimés compte tenu de la découverte de problèmes sur certaines activités de marché qui pourraient conduire à des pertes substantielles. »
« Lundi 21 janvier : Début du débouclage de la position frauduleuse dans des conditions de marchés particulièrement défavorables. »
« Mercredi 23 janvier : Fin du débouclage de la position frauduleuse. Le Conseil a été de nouveau convoqué le mercredi 23 janvier, date à laquelle la position a été close et où il a été complètement informé des faits et de leurs conséquences. »
« Jeudi 24 janvier : Avant l’ouverture des marchés, l’existence de la fraude et ses conséquences sont communiquées au marché. Société Générale demande la suspension de son cours. Des investigations de l’Inspection Société Générale ainsi que de la Banque de France sont en cours et préciseront les circonstances exactes de la fraude. L’enquête de la police judiciaire a débuté. »
Voyons maintenant quels sont ces contrats à terme et comment le système fonctionne-t-il ? EURONEXT (qui regroupe les bourses de Paris, Bruxelles, Amsterdam et Lisbonne) s’est associé avec le LIFFE de Londres, puis tout récemment avec le NYSE (New York Stock Exchange). Euronext.liffe est la branche dérivés internationale d'Euronext. C’est le deuxième plus grand marché de produit dérivés dans le monde avec entre 1.200 et 1300 milliards d’euros négociés quotidiennement, et 949 millions de contrat pour 2007, un record, en progression de 30%. Il propose une très large gamme de produits dérivés : contrats à terme et d’options sur différents supports (ou sous-jacents) : taux d’intérêt court terme (le plus négocié), actions, indices, swaps, obligations d’Etat, marchandises et devises à travers le monde. L’ensemble de ces produits est négociable sur une plate-forme unique de négociation électronique, LIFFE CONNECT, la plate-forme de négociation de produits dérivés la plus sophistiquée au monde.
« LIFFE a enregistré le mois de janvier (2008) le plus actif de son histoire avec 103 millions de contrats à terme et d'options, en progression de 61,1% par rapport à janvier 2007. Plus de 64 millions de contrats ont été traités sur les produits de taux d'intérêt en janvier, en hausse de 71,2% par rapport au même mois l'an passé. Plus de 37 millions de contrats ont été traités sur les produits d'actions en janvier, en hausse de 45,9% par rapport à janvier 2007. 8,6 millions de ces contrats ont été traités sur le service Bclear de Liffe, soit plus du double par rapport à janvier de l'année dernière. 1,4 million de contrats à terme et d'options a été négocié sur les produits de marchandises de Liffe en janvier 2008, en hausse de 74,9% par rapport à janvier 2007. » (euronext.com)
Qu’est-ce qu’un contrat à terme ? Un contrat à terme (ou « Future ») est un contrat standardisé négocié sur un marché à terme organisé. C’est un engagement de livraison – dont les caractéristiques sont connues à l'avance – à une date future (appelée échéance ou maturité), d’une quantité déterminée à un prix fixe, portant sur un produit ou actif sous-jacent (taux d’intérêt, indice, action, etc.). Les contrats à terme sont les instruments financiers les plus traités au monde. Pour Yves Simon, professeur spécialiste des marchés dérivés et internationaux à Paris-Dauphine : « Le contrat à terme est un engagement pris aujourd'hui de livrer ou de recevoir une quantité donnée à une échéance fixée ». On considère que la négociation des contrats à terme est aussi facile que celle des actions, ce qui explique que certains particuliers « dûment autorisés » par leurs banques s’y risquent. A côté de ces dépôts de garantie, il y a des appels de marge. A l’issue de chaque séance de négociation, Euronext Paris SA détermine le cours de compensation de chaque échéance sur la base des cours cotés à la fin de la séance. Les appels de marges quotidiens s’effectuent sur la base de ce cours de compensation.
Qu’est-ce qu’un appel de marges ? Définition empruntée partiellement à Wikipédia : La chambre de compensation des ordres sur les marchés dérivés est l'acheteur de tous les vendeurs, et le vendeur de tous les acheteurs. Elle procède donc à un appel de marge lorsqu'un intervenant est en perte potentielle. Elle exige de ce dernier une augmentation du dépôt de garantie sensé représenter deux jours de pertes maximales. Si l'appel sur marge n'est pas suivi, la chambre de compensation dénoue d'office la position et apure les pertes avec le dépôt de garantie. Elle centralise donc les risques de contrepartie, qu'elle annule en fixant une amplitude maximale de fluctuation quotidienne des cours de x %, au-delà de laquelle le marché est automatiquement fermé (on dit limit up s'il est fermé à la suite d'une hausse des cours, limit down si c'est à cause d'une baisse).
Dans l’affaire de la Générale, le trader n’a eu qu’à verser un dépôt de garantie, fixé par produit (de quelques pour cent du montant de la position choisie), que nous évoquerons plus loin. Les dépôts de garantie sont définis par LCH.Clearnet SA. Les montants sont mis à jour par LCH.Clearnet S.A. en fonction des conditions de marché. Prenons l’exemple de contrats à terme à terme portant les indices boursiers, par lesquels l'acheteur s'engage à payer ultérieurement (à une date déterminée) un montant égal au niveau de l'indice (convenu lors de l'achat et correspondant peu ou prou à la cotation de l’indice de base), que l’on multiplie par la valeur du point d'indice.
Dans le cas de la SG, le trader a acheté X contrats à terme sur indices. Le montant de chaque contrat était d’environ :
– Contrat à terme sur indice EUROSTOXX 50 = 41410 euros (soit 4140 le nombre de points d’indice ou cote de l’indice à mi-janvier, x 10 euros)
– Contrat à terme sur indice DAX = 756640 euros (soit 7566,40 le nombre de points d’indice ou cote de l’indice à mi-janvier, x 25 euros)
– Contrat à terme sur indice FTSE 100 = 602560 euros (soit 6025,6 le nombre de points d’indice ou cote de l’indice à mi-janvier, x 10 £ X 1,8)
La position du trader, sur les contrats à terme ferme et les contrats d’options, était le vendredi 18 janvier 2008, lors de la découverte de la fraude, de 50 milliards d’euros. Jérôme Kerviel aurait pris ces positions dans la première quinzaine de janvier mais, à mon avis, plutôt à partir du 15 lorsque le marché a commencé à se retourner nettement. On sait par ailleurs que les positions se répartissaient ainsi : 60% sur EUROSTOXX, 36% sur le DAX et 4% sur FTSE, ce qui nous donnerait par déduction et compte tenu des éléments précédents (à partir d’un scénario où les achats auraient été faits principalement autour du 15 janvier et la liquidation, comme c’est mentionné dans la note explicative de la SG, entre le 21 et le 23 janvier) :
– 723 000 contrats sur Indice EUROSTOXX pour 30 milliards d’euros, sur lesquels le trader de la Générale aurait perdu 2,89 milliards ;
– 95 000 contrats sur Indice DAX pour 18 milliards d’euros sur lesquels il aurait perdu 1,86 milliards d’euros (les médias évoque le montant de 1,5 milliards) ;
– 18 400 contrats sur Indice FTSE pour 2 milliards d’euros sur lesquels il aurait perdu 115,5 millions d’euros;
Ce qui nous donne un montant total de pertes de 4,86 milliards (proche des 4,9 milliards annoncés) sous réserve de la justesse des calculs et de la connaissance exacte des cours auxquels ont été exécutées les opérations.
On peut se poser des tas de questions sur cette fraude pour au moins deux raisons :
– D’un point de vue technique, le marché est souvent baissier en janvier, surtout après des années fastes, et en fonction des arbitrages et les nettoyages de portefeuille auxquels procèdent les fonds et les gestionnaires de portefeuille !
– L’analyse technique de Cercle Finance prévoit justement le 15 janvier une descente aux enfers pour le CAC40 à 4300 points : « il aura fallu moins de 120 minutes au CAC40 pour perdre 100 Pts ce 15 janvier (entre 14H30 et 16h30). La formation d'une splendide figure dénommée « tête/épaules » de séquence 5.770/6.170/5.870 induit un potentiel de repli mécanique de –920 Pts en cas de rupture de la « ligne de cou » des 5.250, soit un objectif de 4.340 Pts qui correspond au plancher d'octobre 2005. La Société Générale ne fournit-elle pas d’analyse technique à ses traders ?
– Le marché à terme allemand Eurex, avait prévenu la SG, dès l'automne, des positions inhabituelles de Jérôme Kerviel, qui s’est paraît-il justifier à l’époque par de fausses données et états informatiques. Ce qui met d’autant plus en cause ses supérieurs qui n’ont rien vu venir, par négligence ou manque de professionnalisme, ou même par manque de flair comme disait l’ex-plus grand spéculateur de la planète George Soros.
Pour le ministre de l’économie Christine Lagarde, toutes les procédures ont fonctionné normalement, et l’erreur vient du jeune trader et/ou de ses supérieurs hiérarchiques. Le rapport remis au Premier ministre montre que les outils de contrôle de la SG ont fonctionné, mais que la banque n'a pas tenu compte des signaux…
Mais, lorsqu’on scrute les marchés les quatre jours fatidiques (du 18 au 23 janvier), des détails nous interpellent. Premièrement, le trader a choisi les indices les plus volatils du marché pour jouer la hausse : EUROSTOXX est l’indice qui a le plus baissé depuis le début de l’année (-14,45% au 6 février 2008), avec le DAX (-15,03%) et le CAC40 (-14,21%), alors qu’à la même date à un jour près (5 février), le Dow Jones n’a perdu depuis le 1er janvier que 7,54%, le Nasdaq 12,92, et le Standard & Poor 500 8,97%. Deuxièmement, la façon dont la position du trader a été débouclée (par un seul autre trader) mériterait plus d’explications.
Le 21 janvier, alors que la SG déboucle environ un tiers de sa position les marchés ouvrent exactement au plus haut de la séance (le CAC est à 5006 points, l’EUROSTOXX 50 à 3988,42, le DAX à 7292,68, le FOOTSIE a 5866) pour se replier ensuite et terminer en baisse (quasiment au plus bas de la séance) de 6,83% pour le CAC, de 7,31 pour l’EUROSTOXX, de 7,16 pour le DAX et de 5,48% pour le FTSE. Lorsqu’on sait que les contrats portent sur les indices avec lesquels il y a bien évidemment une forte corrélation, on peut se demander si la SG a débouclé sa position en début (au plus haut de la séance), en milieu ou en fin de séance (quasiment au plus bas), et s'il n’y aurait pas eu collusion de la part d’intervenants du marché pour que l’on soutienne les cours durant la vente des contrats…
Le 22 janvier, tout commence par un cauchemar, en quelques minutes le CAC40, l’EUROSTOXX, le DAX et le FTSE 100 perdent aux alentours de 5%. NYSE EURONEXT suspend la cotation de certains produits dérivés – vérifié pour au moins l’un d’entre eux et confirmé par la salle des marchés de la Société Générale – peut-être de tous (l’opacité de la City a déteint sur nos marchés), qui n’est rétablie que lorsque les indices remontent ! Impossible de vendre ni d’acheter, et ce n’est pas la première fois. Il est vrai qu’en ce qui concerne les « Futures », la réglementation des marchés financiers est claire : « La limite de variation quotidienne du contrat à terme ferme sur l’indice CAC 40, de nominal 10 euros, est fixée à +/- 300 points (variable) d’indice par rapport au cours de compensation de la veille. Lorsque cette limite est franchie sur une des deux échéances les plus proches sur le contrat le plus liquide, les cotations peuvent être momentanément suspendues sur les contrats à terme ferme et d’option cotés par Euronext Paris SA et portant sur l’indice CAC 40. Il peut, par ailleurs, être procédé à un appel de garantie supplémentaire. De même, ce dispositif de coupe-circuit peut trouver à s’appliquer en cas de déséquilibre du marché entraînant une réservation des cotations sur un nombre de valeurs de l’indice représentant ensemble plus de 75% de la capitalisation de l’indice CAC 40. »
Si la position avait été débouclée à ce moment là, au plus bas, les pertes auraient été doublées. Daniel Bouton, le pdg de la générale a raison lorsqu’il dit que la banque aurait pu perdre jusqu’à la totalité de sa position, mais il aurait fallu pour cela des circonstances exceptionnelles de chute des marchés qui avaient ans l’immédiat peu de chances de se produire. Il aurait simplement suffi que la banque perde 30,7 milliards (le montant de son capital) pour qu’elle se retrouve en liquidations, ou soit rachetée comme la Barings pour un euro symbolique (à l’époque c’était une livre).
Le 23 janvier dernier jour de débouclage de la position de la Générale, il s’est passé quelque chose de surprenant. En effet, on peut se poser des questions du soutien des cours – pour aider la Société Générale à s’en sortir sans trop de casse – par certains institutionnels. La CDC ou caisse des dépôts et consignations est celle qui a la plus grange marge de manœuvre – elle a en banque tous nos dépôts d’épargne – pour venir au secours d’une banque ou d’une grande entreprise non financière en difficultés, en mission commandée pour le gouvernement. Comme ce fut le cas avec le Groupe Lagardère, en rachetant 50% de ses parts dans EADS, à un prix supérieur de 30% au cours des jours suivants !). La preuve, ce jour là, une dépêche d’agence de presse nous informe que selon CMC Markets : « Londres, Paris et Francfort, ne sont attendues qu'en hausse de 0,2% à 0,4% à l'ouverture », une information qui se traduit aussi dans la cotation des Futures sur indices. Or, que voyons-nous à l’ouverture des bourses, dès les premiers échanges : une forte hausse de 2,19% du CAC40, de 1,7% de l’EUROSTOXX, de 1,7% du DAX et de 1,8% du FTSE, alors que toutes ces bourses passeront dans le rouge vif à la mi-journée pour terminer respectivement à – 4,25%, – 4,68%, – 4,88% et – 2,28% !
Il reste encore plein de questions à se poser : le rôle de prévention et de surveillance dd NYSE EURONEXT LIFFE, de LCH.Clearnet S.A, le compensateur, de l’AMF. Il y aurait beaucoup de choses à dire, que je raconterai peut-être un jour, en ce qui concerne certains bugs qui figurent dans les programmes des banques, et qui permettent à certaines transactions financières douteuses de s’opérer en toute tranquillité et impunité. Et, en dernier lieu cette « Enquête US sur d'éventuels prolongements de l'affaire Société Générale » (Reuters le 06/02/2008) : La justice fédérale américaine recherche d'éventuels prolongements en matière de transactions boursières aux Etats-Unis de l'affaire de la Société générale, rapporte le Wall Street Journal. L'article, qui cite une personne proche de la banque française, indique que le bureau du procureur de Brooklyn essaie de déterminer si le trader de la Société générale Jérôme Kerviel, accusé d'avoir fait perdre près de 5 milliards d'euros à la banque en dissimulant des prises de position, a parié sur un indice boursier américain ou encore s'il a pu effectuer des transactions en passant par une société de Bourse américaine. Par ailleurs, de source proche de l'enquête, on indique que le département américain de la Justice se penche sur des ventes d'actions par un membre du conseil d'administration de la Société générale avant l'annonce par la banque de sa méga-perte. Un porte-parole de l'administrateur, Robert Day, a indiqué mardi que les autorités américaines ne l'avaient pas informé de l'ouverture d'une enquête sur ses ventes d'actions. »
Sans être oiseau de mauvaise augure, soyons réalistes au lieu de nous cacher la face comme le font nos politiques, analystes et encore certains économistes encore partisans de l’ultra-libéralisme. Allons-nous réagir au lieu de penser à notre ego, en croyant que tout s’arrangera avec les lois du marché. Le pire est devant nous, avec l’arrivée d’une nouvelle vague beaucoup plus grosse, celle-là scélérate et qui brassera non plus des centaines de milliards d’euros de pertes, mais des dizaines de milliers de milliards d’euros, si l'on en croit cet article de Nouvelle Solidarité du 1er février sur les subprime et leur descendance : « La tempête des subprime ne fait que commencer. Elle va même s'amplifier puisque l'agence de notation Standard & Poor's vient d'abaisser ses notations portant sur 534 milliards de dollars d'obligations adossées à des créances douteuses ! Les dégâts se chiffreront à 265 milliards de dollars, soit 1,7 fois plus que les montants déjà annoncés par les plus grandes banques depuis fin juillet 2007. Cette deuxième vague de pertes frappera surtout des institutions plus petites aux Etats-Unis, en Europe et en Asie. Il s'agirait des banques régionales et caisses d'épargne qui jusqu'à présent n'avaient pas eu à refléter la chute de la valeur de leurs titres douteux, car elles comptaient les conserver jusqu'à maturité et se voient aujourd'hui, par les règles comptables, forcées de révéler leur vraie situation. Mais ce n'est pas tout. Il faut savoir que 2 400 milliards de dollars d'obligations douteuses ont été assurées par des rehausseurs de crédit comme Ambac, MBIA et autre « monoliners » qui assurent contre les défaillances. Or la vague de défauts de paiement de la part des emprunteurs est en train de saigner à blanc ces assureurs. Les pertes de ces derniers se répercuteront à leur tour sur l'activité des banques. Inutile donc de s'accrocher à ce bateau qui coule ! Une politique triple constituée de portes coupe-feu protégeant la population contre la chute du pouvoir d'achat, soutenue par une relance fondée sur la mise en place de taux d'intérêt à deux vitesses, ainsi qu'à une réorganisation en profondeur de l'ensemble du système financier, voilà ce qui nous sortirait d'affaire.»
Des solutions, il en existe, certains idéalistes ou utopistes, d’autres plus réalistes. Mais, au moins, étudions-les au lieu de jouer au nombrilistes. Parmi les solutions à cette crise monétaire internationale, il y a celle, radicale, que propose l’économiste suisse Pierre Leconte, fondateur d'une société financière en Suisse, membre des bourses des marchés à terme de Londres et de New York, puis conseiller d'une banque de développement et d'une banque centrale sud-américaine et auteur de : « Une monnaie extra-nationale : le new-bancor de Jacques Riboud» et « La Grande Crise monétaire du XXIe siècle a déjà commencé ! ». Face au manque d'indépendance des banques centrales vis-à-vis des forces de marché – comme nous l’avons constaté durant deux décennies avec Alan Greenspan, l’ancien patron de la Réserve fédérale américaine, longtemps considéré comme le maître à penser de l’économie mondiale, passé du rôle de magicien à celui d’illusionniste – Pierre Leconte préconise que l’on en termine avec le régime des taux de changes flottants et le retour à l'étalon or. Il suggère que l’on écarte les Banques centrales de toute production de monnaie. En effet, de plus en plus d’analystes et d’économistes considèrent que la connivence d’Alan Greenspan avec les milieux d’affaires, l’a poussé à trop baisser les taux d’intérêts pour améliorer la croissance et leurs profits, ce qui nous a conduit à la situation d’endettement catastrophique et à la crise du crédit que nous connaissons actuellement.
Dans son dernier ouvrage, Pierre Leconte constate que : « L'abandon progressif de l'étalon-or et des taux de change fixes depuis le début du XXe siècle a provoqué un vertigineux tourbillon : perte constante du pouvoir d'achat de toutes les devises ; pyramide de crédits gagés sur le néant ; déséquilibres monétaires, économiques et sociaux majeurs à l'intérieur des Etats et entre pays ; " capitalisme fou " ; mondialisation monopolistique et les guerres les plus meurtrières de l'Histoire ! La crise des crédits gagés sur les emprunts immobiliers américains d'août / septembre 2007 ne fait que commencer. Elle sera suivie de l'effondrement du dollar, puis de toutes les monnaies de papier, les unes après les autres. Si la réforme complète du Système monétaire international n'est pas entreprise au plus vite, la Chine deviendra le " maître du monde " avec la complicité résignée des Etats-Unis, l'euro implosera et l'Europe perdra sa puissance économique et politique. Pierre Leconte, en praticien et en théoricien des questions monétaires, nous prévient que nous sommes déjà entrés dans la Grande Crise monétaire du XXle siècle, dont les effets seront pires que ceux de la Crise de 1929. » (résumé de : « La Grande Crise monétaire du XXIe siècle a déjà commencé ! », Jean-Cyrille Godefroy éditeur, novembre 2007, sur le site de decitre.fr).
En opposition avec cette utopie ultra-libérale, où l’on verrait « un foisonnement d'initiatives privées qui se mettront à émettre des monnaies qui, elles, répondront aux lois de l'offre et de la demande, et pourraient être gagées sur des métaux précieux », le premier quotidien de Suisse romande, Le Temps, (dans son édition du 28 janvier) présente également l'alternative défendue par Jacques Cheminade, économiste français, président de Nouvelle Solidarité, « admirateur du Plan à la française » qui estime que : « les banques centrales sont soumises aux influences de la pensée monétariste et manquent leur cible. Lorsqu'elles injectent massivement des liquidités, en jetant de l'argent sur de l'argent, elles alimentent l'économie virtuelle des marchés financiers. Cet argent ne parvient pas à l'économie productive ». Le quotidien suisse note que : Ce franc-tireur relève au passage qu'à présent « Alan Greenspan se défausse et critique lui-même le système qu'il a mis en place ». Ensuite, Le Temps écrit que Cheminade préconise « une refonte du système selon un nouveau Bretton Woods : taux de changes fixes entre les quatre principales monnaies, détermination d'un nouvel étalon qui serait un panier de matières premières. Comme Pierre Leconte, le but premier est de limiter la production de monnaie et de lui restaurer sa crédibilité […] L'important, selon lui, est de revenir à davantage de régulation, de renforcer le lien organique entre les Banques centrales et les Etats, et de restaurer le sens « des responsabilités citoyennes » des dirigeants, qui a « disparu car ces mêmes dirigeants sont assiégés par des intérêts privés ». En revanche, le plan de sauvetage de George Bush ne lui parait guère mieux que de la « masturbation financière » (en s'excusant du propos), car il omet de revenir à la racine du problème, à savoir l'investissement dans l'outil de production de biens réels. »
Inspiré de l’ouvrage : « KRACH 2007 : la vague scélérate des subprimes », Le Manuscrit, novembre 2007.
agréablement surpris
Voilà enfin que je lis, sur le web, un véritable travail d’un journaliste financier sur ce sujet et non pas un article qualifié comme tel et relevant de l’opinion que l’on jette en pature à des internautes, la plupart du temps perdu dans un tel jargon. Enfin de vrais informations (la conclusion du rapport du Ministre de l’Economie et des Finances, le calcul des positions par type de placement en janvier 2008, l’erreur de dénouer aussi rapidement ces positions…). Bien évidemment, votre article va au-delà de la simple sensation de ce qui s’est passé en 2008 pour se tourner plus au fond d’un système financier qualifié d’ultra-libéral. Mais cet ultra-libéralisme n’est pas aux seules mains des traders qui, par principe ou en principe, ont des limites d’engagement. Quel dommage que vous ne soyez pas revenu sur l’épisode 2007 car vous auriez probablement abouti aux mêmes conclusions : mêmes causes, mêmes effets, quand bien même, selon l’inspection générale de la SG, les positions dénouées fin 2007 aboutissaient à un gain supérieur à 1 milliard, contre des pertes conséquentes en juin 2007.
Pour continuer dans le sens de la seconde partie de votre article, comment se fait-il que nous ne soyons pas surpris de voir nos banques françaises (européennes ?) mauribondes, disait-on, il y a quelques années de cela, en pleine santé aujourd’hui (hors la SG) ? A tel point qu’elles étaient frileuses pour prêter pour toutes formes d’investissement productif, au nom du risque. Ces mêmes banques, peu de temps après, qui offraient déjà titrisation et partage des risques (on ne conserve pas tout les risques dans le même panier), allaient suivre les investissements des hedge-funds, beaucoup plus risqués mais beaucoup plus rémunérateurs (le principe des hedge-funds n’est-il pas de garantir une couverture lors de phase de forte baisse, à quelques exceptions fulgurantes près ?). Alors de là à investir dans les subprimes, il n’y avait qu’un pas qui a été franchi de manière la plus confidentielle possible pour apprendre, au moment de la crise américaine, que les impacts n’étaient que modérés, soit quelques centaines de millions tout au plus…
Alors, peut-on qualifier ce type d’investissement comme relevant de l’ultra-libéralisme, remis fréquemment en cause contrairement au simple libéralisme, ou d’une erreur d’analyse des risques (investit-on dans un immeuble près à s’écrouler ?), matière première de toute banque décidant de sa stratégie ? Les deux se valent : ultra-libéralisme en espérant des profits plus que généreux (découlant d’opérations financières ayant contribué à la construction d’un beau parc de logement américain ne valant plus grand chose aujourd’hui); erreur d’analyse de risques lorsque l’on investit dans une sphère déjà bullière. Je note d’ailleurs que le risk management est une activité en expansion dans la plupart des domaines d’activité tandis que d’autres ferment une paupière d’un côté, lorsque le soleil est radieux, et rouvre l’autre lorsque les tempêtes s’annoncent. Alors, problème d’ultra-libéralisme ou problème managérial ? Problème d’actionnaires « nauséabonds » qui osent, paupières fermées mais oreilles ouvertes, ne pas refuser de forts dividendes découlant d’une vision managériale souvent court-termiste ?
Gageons que les deux paupières ouvertes sur un libéralisme sain permettra d’y voir plus clair d’ici fin 2008, avant ou après que la seconde crise des sub-primes ne nous tombe dessus.