Rudement malmené lors de sa visite aux pêcheurs de début novembre au Guilvinec (pour le plaisir, revoyons le Président perdre son sang-froid, bafouiller, tutoyer l'homme qui l'invective comme dans une cour de récré, dans une vidéo rediffusée par Rue89), Nicolas Sarkozy rame pour reconquérir les suffrages des travailleurs de la mer. D'où sa sortie de samedi, depuis Boulogne-sur-Mer où il était allé rencontrer des marins-pêcheurs : "Il faut apporter une réponse beaucoup plus souple aux problèmes de la pêche que celle des quotas, a-t-il ainsi déclaré. On ne peut plus avoir d'un côté les scientifiques, de l'autre les pêcheurs, ce n'est pas possible. La pêche est globale et les premiers à défendre la ressource sont les pêcheurs."

Est-ce à dire qu'il faut se ficher comme d'une guigne des cris d'alarme des scientifiques ? Diraient-ils n'importe quoi ? Puisque les pêcheurs sont intronisés de façon arbitraire par le Président "premiers à défendre la ressource", il faudrait donc les laisser exterminer des espèces entières – puisque les quotas sont justement en vigueur pour empêcher ça ?


"A partir du moment où tout le monde dit que la ressource est revenue, il faut qu'on ait une réponse beaucoup plus souple sur les quotas, quels que soient les espèces et les lieux de pêche", ose Sarkozy, fidèle à sa manie de balancer des affirmations sans aucun fondement. Parce que, dans la vraie vie, tout le monde ne dit pas que la ressource est revenue, loin s'en faut ! Si unanimité il y avait, les scientifiques la partageraient : c'est alors parfaitement incohérent de les opposer aux pêcheurs comme le Président vient de le faire. Son "tout le monde dit que la ressource est revenue" doit par conséquent être complété ainsi : "sauf les scientifiques et les défenseurs de la nature, mais on s'en fout !"

image_07_08_26_19_09_52_okQue disent en effet ceux qui militent non seulement en faveur des quotas, mais pour leur durcissement, jugeant ceux que Sarkozy veut assouplir déjà trop laxistes et mettant en péril la bio-diversité ? "Si l'idée de M. Sarkozy est d'assouplir le système pour accroître les possibilités de pêche, c'est un scandale !, proteste Charles Braine, spécialiste des dossiers de pêche pour le Fond mondial pour la nature (WWF). Le fait est que la politique des quotas de l'UE a échoué, elle n'a pas fait ses preuves car les stocks de poissons sont tous très bas. Les quotas attribués aux différents pays sont systématiquement dépassés ce qui génère de la pêche illégale". Aussi, dans ce contexte, vouloir assouplir les quotas, "ça n'a pas de sens", tranche le militant associatif, qui ajoute : "C'est un peu populiste". Le mot est lâché. Pour se réconcilier avec les marins-pêcheurs, le Président est prêt à désavouer la communauté scientifique et à courir le risque de faire disparaître des espèces (le thon rouge, l'anchois, le tacaud norvégien et le cabillaud sont pour mémoire directement menacés). Il a en effet été clair : "La France va présider l'Union européenne du 1er juillet au 31 décembre, c'est une opportunité pour sortir de l'affaire des quotas". "Les quotas de pêche, c'est pas fait pour ennuyer les pêcheurs, c'est pour la survie des espèces et pour la survie de la pêche", lui a rappelé le Commissaire européen Jacques Barrot (membre de… l'UMP). La France peut-elle remettre en question les quotas à la faveur de sa présidence de l'Union ? Non, répond Barrot : "La présidence de l'Union peut toujours inscrire à l'ordre du jour, en accord avec les autres Etats membres, une réflexion plus approfondie. Ce qui est vrai, c'est qu'il faut quand même bien comprendre que ça ne peut pas être une décision unilatérale, que nous sommes liés par les traités qui ont communautarisé la pêche". Donc, en plus, la promesse de Sarkozy aux pêcheurs n'est même pas tenable !

file_289520_80544Mais c'est vrai, ça, il existe des traités signés par la France, ce pays a des engagements internationaux, n'en déplaise à celui qui s'en rêve l'empereur ! Et en l'occurrence, le pire dans cette affaire de quotas est que l'accord les établissant pour l'année 2008 a été signé… il y a un mois à peine ! Et Michel Barnier (sur la photo à gauche derrière le Président, en plein pétage de plombs au Guilvinec), notre ministre de la Pêche qui l'a paraphé au nom de la France, avait même adopté une posture des plus inflexibles : "Je serai totalement intransigeant, la justice le sera plus que moi encore, sur ceux qui ne respectent pas la règle", avait-il menacé. Et voilà qu'un mois après cette signature, le Président explique vouloir déjà revenir sur la parole de la France ? Mais quel crédit international peut-on avoir quand on est dirigé par une girouette fluctuant au gré du vent des sondages, dans l'improvisation totale ?

Rétropédalage embarrassé de Barnier ce matin même, obligé d'expliquer que Sarkozy ne voulait pas dire ce que tout le monde a entendu qu'il a dit : "La gestion par quotas (…) est une mesure destinée à assurer un prélèvement adapté sur les ressources halieutiques et à permettre un partage équitable des possibilités de pêche entre professionnels. La France n'entend donc pas préconiser un abandon de ce système. Elle souhaite toutefois, en liaison avec ses partenaires des États membres de l'Union européenne concernés et en concertation étroite avec la Commission et le Parlement européen, engager une réflexion pour sortir des difficultés actuelles de gestion des quotas et améliorer ce système en corrigeant certaines de ses faiblesses".

C'est beau comme de l'antique. Mais Sarkozy a bien parlé d' "opportunité de sortir de l'affaire des quotas", les mots ont un sens que diable ! Un ministre contraint de démentir les propos de son Président : voilà la France encore ridiculisée par l'irresponsable porté en mai à l'Elysée. Rendu hystérique par la dégringolade de sa popularité, Sarkozy s'agite désespérément et ouvre grand la bouche comme… un poisson hors de l'eau. Mais il se laisse emporter par son tempérament jusqu'à commettre des bourdes indignes de sa fonction !

"Manifestement, en pleine campagne municipale, le chef de l'Etat a été un peu trop loin pour plaire à son auditoire", analyse Jean Quatremer pour Libération. Le Président de la République peut-il ainsi parler à tort et à travers et va-t-on constamment devoir lui intimer l'ordre cher aux fans d'Aldo Maccione : "Tais-toi quand tu parles" ? Plus que jamais se pose la question de l'incapacité de Sarkozy à revêtir le costume d'un chef d'Etat. Cécilia a sur ce point raison : il a "un réel problème de comportement".

Mise à jour : la prévisible levée de bouclier contre la proposition de Sarkozy s'est produite, comme le résume une dépêche AFP, et nos partenaires européens se sont fait une joie de renvoyer le Président à ses chères études. Extrait : "Globalement, les propositions de la France ont été accueillies sans enthousiasme par la Commission européenne et les autres pays de l'UE. La porte-parole chargée des questions de pêche à la Commission, Mireille Tom, a indiqué en avoir "pris note", mais souligné que "les quotas sont essentiels dans la gestion de la pêche", car "ils limitent les captures afin de permettre le renouvellement naturel des stocks de poissons". La présidence slovène de l'UE, par la voix de son ministre de la Pêche Iztok Jarc, a rappelé que "l'objectif (de l'UE) est d'avoir une activité de pêche durable et les quotas sont l'un des instruments dont nous avons besoin" pour y parvenir. Plusieurs autres ministres, espagnol, portugais et seehoho0allemand notamment, ont abondé dans ce sens. Le ministre portugais de la Pêche, Jaime Silva, a insisté sur le fait que l'UE "devrait toujours continuer à se baser sur les avis des scientifiques" pour fixer des limites de pêche. Et son homologue allemand Horst Seehofer a mis en garde contre une remise en cause générale du système. "A terme, ne pas avoir de quotas ne sert pas les pêcheurs si dans le même temps, ils n'ont plus de poissons", a-t-il dit."