Kai A. Korad, directeur de l’Institut Max Planck pour la fiscalité et les finances publiques, préside le conseil des experts économiques auprès du ministre allemand des Finances. Il est aussi très écouté à Bruxelles et bien au-delà de l’Europe. Le 21 avril dernier, dans un entretien avec le Welt am Sonntag, il prédisait l’éclatement de l’euro dans cinq ans au plus, soit courant 2018. Ce n’était pas tout à fait passé inaperçu, mais c’est surtout depuis hier que la presse international s’est emparée de cette prédiction… 

« L’Europe m’importe, pas l’euro. Et je ne lui donne qu’une chance de survie limitée (…) cinq ans paraît réaliste. ». Cette petite bombe n’a pas été lâchée dimanche dernier dans l’édition dominicale du Welt par un quelconque eurosceptique. Mais par l’expert économique le plus écouté par Angela Merkel et toute les classes politique, industrielle, financière allemandes, à savoir le distingué Kai A. Konrad. Son pronostic est que les dettes s’accumulent et que les créanciers finiront pas retirer le bouchon et vidanger pour récupérer ce qui peut encore l’être.

Chaque pays doit être tenu individuellement responsable de son niveau d’endettement, et par conséquent du poids croissant des remboursements des dettes. Ce qui signifie en clair que la solidarité européenne ne peut plus jouer et que le pays abondant le plus aux plans de sauvetage n’est sans doute plus tout à fait en mesure de poursuivre le comblement du tonneau des Danaïdes.

Certes, voici deux ans, la chancelière Angela Merkel indiquait que tout devait être fait pour sauvegarder la monnaie unique. Mais en fait, l’objectif commence à être estimé de plus en plus intenable. De plus, le cas de Chypre donne le ton du « chacun pour soi ». Et comme aucun des États n’est en mesure de préserver ses banques, il faudrait bien faire appel aux épargnants ou aux déposants. Dans certains cas, épargnants et déposants se confondent : pour de très riches déposants, ayant un train de vie important (qu’il s’agisse d’individus, entreprises, investisseurs), les sommes déposées chaque mois ou jour sont répartis sur divers comptes.

C’est en sa qualité de directeur de l’Institut Max Planck et non en tant que président du groupe d’experts du ministère des Finances allemand que Kai Konrad s’est exprimé, mais la différence ne rassure aucunement. Joachim Nagel, membre du directoire de la Bundesbank, a bien sûr critiqué la tentation de se replier sur le mark, incarnée par le nouveau parti eurosceptique Alternative für Deutschland, mais Kai Konrad estime que l’essentiel, c’est le traité de Rome, qui précéda la monnaie commune, l’euro devenant subsidiaire.

La confiance dans la solidité de l’Union européenne est partout en baisse, et bien évidemment au Royaume-Uni, en Grèce, dans les pays du sud les plus minés par le chômage, mais aussi en Allemagne : 59 % des Allemands doutent, selon les derniers sondages.

Kai Konrad a pointé les deux facteurs principaux influant, à ses yeux, sur une capacité de résistance, soit la croissance économique (fléchissante en Allemagne) et la croissance démographique (qui ne résiste qu’en France, mais pourrait décroître si, comme en Espagne, chômeurs ou jeunes professionnels fuyaient non seulement le pays, mais l’Europe).

Cinq ans, 2018, c’est encore du « moyen terme ». Sauf que la notion du moyen terme, dans la finance, a singulièrement évolué au raccourcissement.

Sauf que la croissance du PIB allemand se tasse, car la consommation intérieure faible ne compense pas le tarissement des exportations sur le marché européen ne pouvant plus s’endetter.

Sauf que, selon Daniel Stelter, du Boston Consulting Group, un autre économiste allemand, ou Jeremy Stein, de la Fed étasunienne, si une banque un tant soit peu importante venait à faire faillite, l’État tutélaire, en Europe, ne pourrait plus être en mesure de la remettre à flot. Il faudra bien que les déposants soient ponctionnés. Ceux de la banque faillie ou… tous ceux du pays.

Plutôt que de saisir partie de tous les dépôts dans un pays, un État peut choisir l’autre solution, celle qui affecte tant les épargnants que les créditeurs étrangers, soit la dévaluation. Ce qui implique, dans la zone euro, d’en sortir. C’est aussi très pénalisant pour les déposants quand la plupart de leurs achats courants (alimentation, textile, énergie…) proviennent d’importations.

Si, par exemple, la Société générale venait à plonger dans le rouge, Bercy ne pourrait plus la renflouer. Olivier Berruyer, observateur du monde bancaire, note que les recettes provenant de l’État, emprunteur auprès de la SocGen, ont gonflé de six fois de 1988 à 2012 en « euros constants ». Le Produit net bancaire de la SocGen redescend, mais surtout son résultat net est retombé au niveau de 2009, après l’absorption des suites de la crise. La rentabilité tombe de même à ce niveau.

BNP Paribas est en meilleur état, mais s’il se reproduisait un effondrement du type de celui de 2008,  et pour cela il suffirait que l’actuelle politique monétaire japonaise ne puisse convaincre, ou que les dettes privées américaines soient encore plus pourries que redouté, ou même un incident présumé aussi limité que le chypriote, il n’y aurait plus de ressources. 

Finalement, cinq ans, c’est quasiment du long terme… Car cette prévision exclut un dérapage aussi subit que peu « rationnel » ; mais n’est point le propre des marchés de céder à la panique ?

En dépit des assurances données, l’Irlande, selon le Financial Times, n’est pas du tout en bonne posture. Certes, les investisseurs semblent lui faire confiance (les taux d’emprunts et obligations d’État ont chuté). Certes, l’Irlande est considérée être un trop gros morceau pour plonger. Mais comme tant d’autres, l’économique irlandaise reste très fragile. Et pour trouver des recettes, la banque centrale irlandaise songe à rendre obsolètes les pièces d’un et deux centimes d’euros.

On commence parfois petit…

En fait, l’économie de moins en moins réelle ne se maintient plus qu’artificiellement. L’austérité (gel des salaires, hausses des taxes et impôts, réductions budgétaires…) fait baisser la consommation, et les entreprises – sauf celles de luxe, voire très grand luxe – replient la voilure. D’ailleurs, la demande de matières premières se tasse, mondialement. Mais les banques européennes ont reçu mille milliards d’euros à très bas taux. Mais pourtant les bourses voient leurs courbes remonter. Les actionnaires s’enrichissent… pour le moment. 

La compétitivité n’est envisagée que grâce à la baisse des coûts salariaux. Or, c’est déjà le cas pour l’Espagne, l’Italie, la Grèce. Qui redeviennent concurrentielles. Mais avec un coût social et une régression de la consommation. 

Un économiste tel Jacques Sapir considère : « si l’on veut sauver l’idée européenne tant qu’il en est encore temps, il faut rapidement prononcer la dissolution de la zone euro. ». 

Il y aura bien d’autres voies. Notamment que les dividendes des actionnaires soient gelés. Ils représentent à présent de 9 à 10 % de la richesse nationale et pèsent tout autant que les coûts du travail, voire même davantage, sur les capacités d’investissement des entreprises. Le coût du capital est supérieur à l’investissement. Mais là, pas question d’y toucher.