2005 : QUAND LES KADHAFI FINANCENT « NS »

Rappelez-vous, c’était en mars 2011, Saïf al-Islam Kadhafi déclarait : « Il faut que Sarkozy rende l’argent qu’il a accepté de la Libye pour financer sa campagne électorale. (…) La première chose que l’on demande à ce clown, c’est de rendre l’argent au peuple libyen. ». 20 déc. 2006, un document « GEN/NS V. MEMO DG », où NS pourrait être Nicolas Sarkozy, est établi et il mentionne « FIN LIB 50 ME » et « FIN CAMPAGNE TOTALEMENT REGLE ». Pour Mediapart, ce document portant sur la « CAMP 07 » (pour « campagne 2007) établit que Claude Guéant, par l’intermédiaire de Ziad Takieddine, a récolté diverses sommes d’argent auprès des Kadhafi. Et au fait, en 2012, c’est qui ?

L’affaire est assurément complexe, et le document que publie ce lundi 12 mars Mediapart ne peut, à lui seul, établir que Nicolas Sarkozy, via des banques étrangères, aurait reçu tel ou tel montant de la part de la famille des Kadhafi.
D’abord, combien au juste ? Mention sur le document « 50 ME » qu’on peut tenter de traduire par 50 M€. Mais il ne s’agit, semble-t-il, que d’un solde.

Ziad Takieddine, dès mars 2005, avait organisé des visites de la Sarkozy en Libye. Par la suite, des contrats sont passés, Sarkozy est élu, intervient l’épisode, avec Cécilia Sarkozy, des infirmières bulgares, &c. 

Puis, alors que Sarkozy mène, avec David Cameron, l’intervention en Lybie, Saïf al-Islam déclare qu’il détient toutes les preuves de divers versements de fonds destinés à faire financer la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy.

Après le meeting de Villepinte, de ce dernier dimanche, on se pose d’autres questions.

Premier Cercle élargi…

18 oct. 2011, la police mobilisée par les affaires Woerth, Takkiedine, Hortefeux, Gaubert, &c., sans compter divers consorts, verse à l’instruction une pièce intitulée GEN/NS V. MEMO DG. Elle est accompagnée d’une note de synthèse rédigée par Jean-Charles Brisard, qui avait œuvré déjà pour la campagne de Balladur, en 1995. Cette note mentionne le numéro du compte en Suisse de la sœur de Jean-François Copé.

Une autre pièce figure au dossier et il s’agit de la déposition de Didier Grosskopf, médecin personnel de Ziad Takieddine, mais aussi de personnalités du Sarkoland, dont Brisard, qui sera le premier confesseur du médecin. Dès le 6 oct. 2005, NS et BH (Brice Hortefeux) auraient négocié en Libye des modalités de financement de la campagne des présidentielles de 2007.

Brice Hortefeux a bien confirmé l’évidence, il était en Libye en 2005 avec le ministre de l’Intérieur d’alors, mais il affirme ce jour à Mediapart qu’il ne fut aucunement question de financement politique. Pourtant, le document mentionne une société BH au Panama et une banque suisse…
Pourquoi donc, pour des contrats qui feront intervenir des militaires ou anciens militaires français (afin d’intercepter des communications d’opposants notamment) ou porteront sur des cartes d’identité à puce (dont on ne sait si elles ont été ou non livrées à la Libye), passer par le Panama et la Suisse ?

Hortefeux ne peut même pas indiquer ce que peut signifier la phrase « financement campagne totalement réglée ». S’agissait-il d’une campagne de dératisation (d’élimination des opposants à Kadhafi) ou de la campagne présidentielle française, on ne sait. Hortefeux en ignore tout, tout, tout. Après tout, les deux interprétations sont possibles, et Michèle Alliot-Marie (MAM) qui voulait voler au secours du Tunisien Ben Ali, prévoyait aussi de l’aider dans sa « campagne » d’éradication de son opposition.

 

Mais on peut tout aussi bien considérer que, dès 2005, le Premier Cercle piloté par les protagonistes du Woerthgate s’était élargi à des chefs d’États étrangers (et pourquoi pas à la CDU allemande, aux conservateurs britanniques, espagnols, italiens… ou à la famille de G. W. Bush, président expérimenté, qui sera réélu comme Sarkozy désire l’être).

 

Guéant tenu par Takieddine

Sans ambages, Takieddine avait déclaré « je les tiens tous ». C’est lui qui avait préparé, et il l’a confirmé, la visite de Guéant en Libye. Sous le sceau du secret, « sans fanfare », afin de pouvoir ainsi évoquer « l’autre sujet important, de la manière la plus directe. ». Diverses lettres de Sarkozy, Guéant et Hortefeux aux autorités libyennes étaient aussi en possession de Takieddine.

Le neurochirgurgien Didier Grosskopf, ami de Jean-François Copé et de Brisard, élargira sa clientèle grâce à Takieddine, et en Libye même. Aujourd’hui, il confirme avoir recueilli des confidences, mais il a été ensuite suivi, il a « eu très peur », et fin 2006, Takieddine s’attaque à lui via le Conseil de l’ordre des médecins. Pour ce médecin, embarqué malgré lui dans des affaires qu’il estime douteuses et dangereuses, il n’est plus question de faire d’autres déclarations. Il semble d’ailleurs qu’on ne se soit pas trop pressé d’en solliciter.

Il n’a d’ailleurs pas assisté ni à la remise de sommes en espèces des Kadhafi à Takieddine, ni ne peut dire qu’elle aurait été leur destination. Lors du dernier voyage de Takieddine en Libye, en mars 2011, ces sommes avaient été saisies à son arrivée au Bourget.

Takieddine avait été l’une des chevilles ouvrières de la réception à l’Élysée de Kadhafi père, à l’été 2007, qui avait défrayé la chronique parisienne, nationale et internationale. Ami de Gaubert, Guéant, et de tant d’autres, Hortefeux n’a plus aujourd’hui d’autre rôle officiel qu’au sein de la cellule Riposte de la campagne actuelle de Nicolas Sarkozy.

Une guerre, pourquoi ?

La guerre civile libyenne, dont on voit à présent l’ampleur des résultats, avait été discrètement préparée à Paris avec d’anciens affidés du régime de Kadhafi. On pourrait finir par se demander pourquoi. Les Kadhafi s’étaient-ils engagés à financer la campagne 2012 de Nicolas Sarkozy, auraient-ils changé d’avis quand ils auraient pu, de nouveau, être sollicités ?

 

Pourquoi Saïf al-Islam reste-t-il aux mains d’une milice quasiment autonome à l’ouest de Tripoli ?
Pourquoi, sans réaction de la communauté internationale des « volontaires », la Cyrénaïque peut-elle manifester à présent des velléités d’indépendance, Bani Walid se déclarer autonome, tout comme, de fait Misrata ? Quelles étaient vraiment les causes et les visées réelles de ce désastre ?
De fait, le CNT apparaît à présent totalement lâché par ses soutiens initiaux.

La dislocation de la Libye, en dépit des belles déclarations de Bernard-Henri Lévy, avait-elle été prévue, soit pour des visées industrielles et financières, soit tout simplement parce que l’accessoire l’a emporté sur l’essentiel et qu’à présent, tout le monde à Paris, Juppé et autres, peuvent s’en laver les mains ?
On peut imaginer pourquoi, voici encore quelques heures, la Russie demande une commission d’enquête sur les crimes commis en Libye par toutes les parties, dont l’Otan (auquel des morts civiles sont imputées).
Le dossier syrien n’est pas loin.

Mais personne ne tient tant que cela à retourner toutes les pierres des tenants et aboutissants de la guerre civile.

C’est d’ailleurs dans l’indifférence générale, et celle de Sarkozy ou de BHL en particulier, que l’ancien Premier ministre libyen, Baghdadi Mahmoudi, poursuit une grève de la faim en Tunisie, où il est retenu. Toute assistance médicale lui serait refusée, selon son avocat tunisien.

Au temps pour les prétextes humanitaires invoqués pour intervenir militairement en Libye. De même s’émeut-on très peu du sort de deux journalistes britanniques, Gareth Montgomery-Johnson et Nicholas Davies, retenus à Tripoli. Selon Mel Gribble, sœur de Gareth M.-J., ce dernier serait soumis à des « tortures mentales ». Ils sont de fait « au secret ».

En France, on fait le ménage. Bull va vendre Amesys, sa filiale chargée d’intercepter les courriels des opposants de Kadhafi. Tout à coup, cette activité n’est plus « stratégique » pour Bull. C’est assez vrai puisque Amesys ne générait que 0,5 % des revenus de Bull. Mais n’avait-elle pas d’autres intérêts, moins stratégiques pour Bull que pour d’autres ? Une dispersion de ses archives serait-elle bienvenue ?

Répercussions internationales

Autrefois, des monarques déclaraient des guerres pour complaire à leurs maîtresses. Les maitresses des dirigeants actuels sont-elles des cassettes ? C’est la question que soulève le dossier Takieddine que ne cesse d’explorer Mediapart.

Bien évidemment, la nouvelle a été largement reprise par la presse internationale. Pour The Huffington Post, qui s’en tient à reproduire le démenti formel, sans le moindre commentaire, de l’Élysée, le conditionnel reste de mise. Mais pour d’autres titres, l’affirmatif, tant bien même est-il attribué à Mediapart, domine…
Tout s’explique, semble considérer la presse étrangère, qui lie évidemment la réception de Gaddafi à l’Élysée aux bonnes manières antérieures.

 

L’affaire embarrasse Angela Merkel et David Cameron dont les agissements de leur « ami » ne font pas le meilleur effet sur les opinions dans leurs pays.

 

Les récentes déclarations de Sarkozy sur l’espace de Schengen, très mal reçues en Bulgarie, Roumanie et en Grèce, sont rapprochées de cette histoire. L’Europe, qui a vu dans le discours de Villepinte celui d’un « patriote d’un jour », dresse des parallèles.
La Tribune de Genève titre : « Quand Kadhafi finançait la campagne de Sarkozy via la Suisse ». Et se demande ce que le président français pourra dire sur le sujet dans l’émission Parole de candidat, sur TF1.
La réponse est déjà connue, il s’agit d’une vieille histoire, les médias le persécutent davantage que Marine Le Pen, &c.

Mais on a eu confirmation. Lorsque Laurence Ferrari lui a posé la question, il a répondu en bottant en touche : Laurence Ferrari se serait faite « la porte-parole du fils Kadhafi. ». Élégant. Elle a tenté d’insister, inutile. Non, les documents n’existent pas, l’enquête n’intéresse personne. Page de pub, et passez muscade.

Les médias étrangers relèvent aussi que le candidat multiplie les promesses contradictoires, mais que l’UMP ne les consigne pas dans un programme…

Pas de traces écrites… Car confronter la réalité à la rhétorique serait dangereux pour un candidat surnommé « Super-Menteur ». 

 

Pour l’édition en anglais de France 24, Ziad Takieddine a formellement démenti toutes les informations de Mediapart, affirmant que toutes les relations entre la France et l’Élysée lui étaient parfaitement connues. Rien ne se passait directement ou indirectement sans que je sois au courant et s’il y avait quelque chose entre Kadhafi et Sarkozy, je l’aurais su immanquablement, a-t-il déclaré en substance. Cela laisse supposer que la politique de la France à l’égard de la Libye n’était pas tout à fait dirigée par le Quai d’Orsay.
Die Presse (Autriche) relève que Takieddine s’était au moins rendu onze fois en Libye.

Now Morocco (Maroc), édition en anglais, va beaucoup plus loin. La fortune personnelle de Nicolas Sarkozy ne serait pas de trois millions d’USD en sus de ses indemnités, mais de 15 millions d’USD. En sus des 110 millions d’USD reçus des Kadhafi pour sa campagne, il aurait reçu de nombreux autres fonds d’Afrique. « We learned that Sarkozy kept a small amount for himself », soit qu’il aurait prélevé, sur ces sommes, de quoi ajouter à son patrimoine personnel, conclut Now Morroco.

Considérées par la plupart des partenaires européens pour des « gesticulations électoralistes de dernière minute », les sorties de Sarkozy sur Schengen à Villepinte n’ont pas amélioré sa cote de sympathie à l’étranger. Les révélations de Mediapart non plus.

 

 

 

 

 

 

 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

3 réflexions sur « 2005 : QUAND LES KADHAFI FINANCENT « NS » »

  1. Selon divers médias, Takieddine viendrait de se désister de son procès en diffamation contre [i]Le Monde[/i] et [i]Libération[/i] car il devait se tenir demain, mardi après-midi, devant la 17e chambre du TGI de Paris.
    Me Ludovic Landivaux, avocat de Takieddine, n’a pas donné de précision sur ce revirement.
    Un autre procès contre [i]Le Point[/i] était prévu en mai, mais celui contre [i]Mediapart[/i], plus gênant peut-être, ne devait se tenir qu’après le début septembre, soit après les élections législatives.
    La comparution de Takieddine, cité par Dominique de Villepin, Maurice Gourdault-Montagne et Alexandre Djourhi est prévue pour le 21 juin, aussi après les élections.

  2. internet libyen surveillée avec l’aide de …
    la France !
    À l’occasion de la journée mondiale contre
    la cybercensure, Reporters sans frontières
    a publié son rapport annuel sur les pays
    « ennemis d’Internet ».
    Bahreïn et le Bélarus rejoignent la liste
    au terme d’une année noire pour la liberté
    d’expression, …
    [b]tandis que la France reste sous surveillance.[/b]

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