Boris Johnson n’a pas su manœuvrer Michael Gove, son principal allié lors de la campagne du Brexit. Ce dernier ayant déclaré qu’il se présentait pour la succession de David Cameron, BoJo a prudemment jeté l’éponge. Selon les observateurs, Theresa May, actuelle ministre de l’Intérieur, qui avait prudemment, sans la moindre emphase, opté pour le maintien dans l’UE, serait largement favorite.
Mrs Gove avait laissé fuiter hier un courriel expédié à son mari dans lequel elle l’avisait que, faute d’obtenir de solides garanties de la part de Boris Johnson (sans doute un portefeuille de vice-Premier ministre), il ferait mieux de renoncer à un « ticket » BoJo-Gove en vue de la succession de David Cameron, le 9 septembre prochain. L’actuel ministre de la Justice s’est déclaré candidat, deux proches de BoJo se sont prononcés pour lui, et l’ex-maire de Londres, encore dauphin présumé hier, s’est retrouvé contraint de se retirer.
La grande favorite après ce coup de théâtre est Theresa May, actuelle ministre de l’Intérieur. Intérieur contre Justice : ne plaquons pas les mises en scène françaises sur les décors britanniques. Car Theresa May ne met aucunement l’accent sur les questions judiciaires ou de maintien de l’ordre, mais sur l’austérité, l’imposition, les aides sociales, &c. Ce n’est pas forcément se démarquer de Gove ou des autres concurrents (deux ministres, Stephen Crabb et Andrea Leadsom, un ex-ministre, Liam Fox). Mais c’est se différencier de l’actuel gouvernement, en particulier de George Osborne qui avait fait de la réduction du déficit budgétaire un point-clef et s’était particulièrement illustré en maître-d’œuvre du Project Fear (alarmisme outrancier sur les conséquences du Brexit).
Theresa May assure qu’elle s’entourera de Brexiters mais que l’invocation de l’article 50 n’interviendra qu’à la fin de l’année. Bref, il s’agit, en vue des élections générales, à la fois de tenter de récupérer des voix du côté des travaillistes ayant voté pour la sortie de l’UE, avec des mesures d’étalement de la réduction du déficit jusqu’à ces élections (2020) et de moindre pression fiscale, et aussi de rassurer les partisans du maintien puisqu’elle s’affirme européo-compatible.
Après 2020, elle porterait l’effort sur la réduction des dépenses, sans remonter de nouveau les taxes (la TVA a augmenté, mais celles sur les successions ou frappant les entreprises ont été réduites).
Elle a aussi mis en avant ses origines modestes (fille d’un vicaire, petite-fille d’un sous-officier), sa retenue à se mettre en avant dans les médias, ou à répandre des vacheries en coulisses. Sur ce dernier point, elle s’est départie de ce type d’attitude en se moquant ouvertement de BoJo.
Le handicap de Gove, que BoJo a su évoquer perfidement, c’est qu’il avait très nettement déclaré qu’il ne se sentait pas l’étoffe d’un Premier ministre (contrairement à David Cameron, dont il souhaitait le maintien en poste après le référendum). Il l’avait affirmé par au moins trois fois (octobre 2012, mars 2014, juin 2016), et de fait, avait poussé – s’il en était besoin – BoJo à se déclarer candidat.
Il a fortement indisposé les partisans du maintien dans l’UE, en renchérissant sur les exagérations de BoJo. Et il passe désormais pour un traître, un ambitieux, prêt peut-être à se rallier à Theresa May si un poste ministériel lui était promis.
Theresa May, s’adressant aux classes populaires sur l’antienne du « j’ai compris vos difficultés » et surtout en écartant l’idée d’un second référendum invalidant les résultats du précédent, en se déclarant prête à longuement négocier après avoir différé, mais accepté que l’article 50 s’applique, a toutes les chances de son côté. D’autant plus que David Cameron l’appuiera discrètement, que les 27, comme l’a laissé entendre Michel Sapin à la BBC, pourraient lui concéder des accommodements sur la question de l’immigration « choisie », et qu’elle a déjà engrangé divers ralliements d’importance.
Si désignée, elle devra affronter, sur le plan intérieur, l’épineuse question de l’Écosse. Mais en dépit d’un veto espagnol, appuyé par la France, sur l’ouverture de tractations avec l’Écosse, les 27 semblent se préparer à lui réserver un statut particulier. Cela pourrait retarder la perspective d’un nouveau référendum sur l’indépendance, mais aussi conforter la position du SNP (indépendantiste) qui ne saurait l’exclure indéfiniment.
Reste à savoir, en dépit des déclarations non équivoques de Theresa May, ce qu’il adviendra réellement du Brexit. L’édition germanophone de l’Huffington Post définit la candidate comme la « Merkel britannique ». Helmut Kohl, dans le Bild, plaide pour une approche circonspecte (entendez : complaisante) des propositions britanniques à venir : il ne faut surtout pas faire preuve de sévérité ou de hâte. Brusquer ou imposer des conditions trop raides serait « une énorme erreur », et il appelle même à faire « un pas en arrière avant d’en faire deux en avant ». Plus significatif encore ? Barack Obama, évoquant le Brexit, et la croissance mondiale, a employé le conditionnel : le Brexit, s’il se produit… dit-il en substance. Lord Adair Turner, ancien président de l’autorité britannique des marchés (FSA) confie qu’il y aurait « même une petite chance – pas plus de 5 % selon moi – que le Royaume-Uni reste finalement membre de l’Union européenne ». Petite chance aujourd’hui, plus forte probabilité demain ?
Entre les deux Merkel, l’allemande et la britannique, la France risque de se retrouver prise en tenailles et de devoir s’aligner…