Des amis m'ont fait connaître l'excellent article publié dans La Tribune par Monsieur Noël Clavelloux, Président du Conseil National des Ingénieurs et Scientifiques de France. A mon tour de vous inviter à le découvrir :

Force est de reconnaître que les propos de l'auteur sont frappés au coin du bon sens et qu'ils expriment une vision à contre-courant de la pensée unique et tellement bienvenue en ces temps troublés (dont le pire reste à venir, nous dit-on). Oui : « Nous sommes tous témoins d'un décrochage délétère entre le capitalisme financier et l'économie réelle ». Oui : « L'économie mondialisée prend des airs de casino immoral et inefficace : un vaste mécanisme impersonnel sur quoi nul ne semble avoir prise ». Oui : « Des fortunes indécentes se gagnent et se perdent au gré de mouvements financiers totalement décorrélés des réalités de l'économie tangible ».

….

« Faut-il rappeler que dans l'industrie et les services – le monde réel – les ingénieurs savent que pour avoir un résultat net de 1 milliard d'euros, il faut au moins réaliser un chiffre de 20 milliards d'euros et faire travailler pendant un an environ 100.000 personnes qui créent des biens et des services réels! ». Oui, ce rappel est utile et opportun, parce qu'il situe des ordres de grandeur qu'il est bon de conserver à l'esprit. Ainsi, une perte de un Kerviel (pour mémoire, le Kerviel, unité de mesure non encore homologuée par la Conférence générale des Poids et Mesures, est équivalent à 5 milliards d'euros) représente le travail de l'ensemble des habitants de Caen ou de Nancy pendant 5 années ou encore, celui de la totalité de la population de la Communauté urbaine Marseille Provence Métropole pendant 6 mois !

Pourtant, l'affirmation « Pour nécessaire qu'elle puisse être, la spéculation financière doit être tenue dans les limites de sa fonction : celle d'un moyen, mis au service de nos industries et services » me fait hausser les sourcils. Selon Wikipedia :

« Spéculer consiste à acheter ou vendre, généralement en bourse, une certaine quantité d'une marchandise, d'un actif financier, immobilier ou de collection, ou d'un contrat dérivé :

  • dans l'espoir que son prix évoluera par la suite de façon à procurer un gain monétaire;
  • tout en acceptant le risque de perdre de l'argent si l'évolution est contraire aux espoirs.

Certains instruments financiers, tels que le contrat à terme (= à crédit) ou les options financières (le type le plus courant d'opérations dites « dérivées ») permettent :

  • de spéculer sur de gros montants avec une faible somme au départ;
  • de vendre des biens dont on ne dispose pas encore, et qu'il faudra donc racheter avant de devoir les fournir, ou inversement d'acheter à l'avance des biens dont ne souhaite pas disposer, et qu'il faudra donc revendre.»

En quoi les gains monétaires sont-ils nécessaires et quelles fonctions des activités artificielles consistant à vendre ce dont on ne dispose pas ou, pire, à acheter ce dont on ne souhaite pas disposer servent-elle, au service de nos industries et de nos services ?

Je trébuche aussi sur le passage « il nous faut encourager la reconnaissance des ingénieurs … figures emblématiques du républicanisme élitaire "à la française" ». D'une part, je suis par principe plutôt réservé à l'égard du concept d'élites (trop souvent, c'est une qualité auto proclamée) ; d'autre part, je m'avoue rétif à un plaidoyer pro domo en faveur des seuls ingénieurs : après tout, l'enseignant, l'artiste, l'ébéniste, le plombier, l'employé, le médecin, le commerçant, … incarnent eux aussi tout autant « la capacité de notre nation à construire la prospérité de demain », chacun pour ce qui le concerne.

Convergences, divergences. Peu importe : « Quand tout le monde est d'accord, c'est qu'il n'ya que des imbéciles ! », comme le dit le bon sens populaire.

Mais que vient faire Barak dans cette galère, vous impatientez-vous déjà ? Un instant, j'y viens !

Le Canard Enchaîné du 21 janvier 2009, citant L'Hebdo suisse du 15, rapporte cette réponse originale à la question de savoir comment il a composé son équipe : « … Comme je n'ai pas un égo surdimensionné, je ne suis pas effrayé d'engager des gens très intelligents, même plus intelligents que moi ». Par ailleurs, il nous faisait part de son « sentiment d'humilité » dès la première phrase (onzième et douzième mots, précisément) de son mémorable discours d'investiture (à consulter sur http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2009/01/21/le-discours-d-investiture-de-barack-obama_1144600_3222.html).

Cette attitude affichée tranche singulièrement avec l'impudente arrogance qui régnait en maîtresse voici peu. Elle peut annoncer des jours nouveaux et salutaires. Dieu me garde (je suis agnostique, Dieu merci !) de sombrer dans l'Obamania ambiante : des désillusions nous attendent, qui seront à la hauteur de nos espérances. Mais l'arrogance que j'évoque n'est pas seulement celle du si peu regretté Georges W. Bush ; remarquons au passage que ceux qui le critiquent unanimement aujourd'hui ont si vite oublié qu'ils furent souvent ses thuriféraires zélés au cours des huit longues, très longues, si longues années de son règne … Elle est aussi celle plastronnée cyniquement par ceux qui, plus près de nous, envahissent nos écrans ; si Messieurs Jean Peyrelevade et Jean-Marie Messier, entre autres, se reconnaissent, peut-être tout espoir n'est-il pas perdu : il leur reste un semblant de lucidité !

La charnière du discours du mardi 20 janvier était à mon sens : « En ce jour, nous sommes réunis parce que nous avons préféré l'espoir à la crainte, l'union au conflit et à la dissension », résumé tout à la fois de la campagne conclue en novembre par l'élection d'« un homme dont le père, il y a moins de soixante ans, risquait de ne pas être servi ici dans un restaurant » et de l'avenir qui s'ouvre, tant sur le plan de la diplomatie que sur celui de la géopolitique.

Et si à notre tour nous l'adoptions ? Et si cette formule s'inscrivait au fronton de nos édifices, en pendant rénovateur de « Liberté – Égalité – Fraternité » ? Chiche ! Il ne tient qu'à nous, ingénieurs, enseignants, artistes, ébénistes, plombiers, employés, médecins, commerçants, … de relever ce défi. « La question qui se pose à nous n'est pas … de savoir si le marché est une force qui œuvre pour le bien ou pour le mal. Sa capacité à produire de la richesse et à propager la liberté est sans égale, mais cette crise nous a rappelé que si nous ne sommes pas vigilants, le marché peut devenir incontrôlé » ; « … nous savons que notre patrimoine bigarré est une force, et non une faiblesse ». « C'est là le prix et la promesse de la citoyenneté ».

Alors, « que l'on proclame au monde futur … qu'au cœur de l'hiver, alors que rien d'autre ne pouvait survivre que l'espoir et la vertu … que la ville et le pays, alertés par un danger commun, se sont avancés pour y faire face ». Et qu'on le proclame sans tarder !

« Discutons là dessus, c'est mon vœu le plus cher », ainsi que concluait un discours de Michel Serres, que j'ai eu le bonheur d'entendre voici une douzaine d'années et que je vous ferai peut-être partager dans un prochain article …

Yes, together we can !…