Début juin dernier, l’opposition au président yéménite, Ali Abdallah Saleh, prenait le contrôle de Taez, la grande ville du sud de l’ex-Yémen Nord. Ce jour, deux chars auraient été repris par les partisans du cheikh Hammoud Saïd al-Mekhalafi (ou d’autres factions), alors que le président (ou des affidés) tentent de rejouer Hama (Syrie) avec la ville la plus rebelle du Yémen « réunifié ». Le Yémen préfigurerait-il la Libye de demain ? Bien sûr que non, nous jurerons Sarkozy et Bernard-Henry Lévy avec une mâle assurance, au moins pour le moment.

On ne peut s’empêcher, en songeant à la Libye ou à la Syrie, d’évoquer les réalités yéménites. C’est le premier août, les remplacements de vacances dans les rédactions, et parfois on se dit qu’au Quai d’Orsay ou dans les chancelleries occidentales, c’est un peu en permanence du  pareil au même : les remplaçant des sachants sont aux manettes.

Dépêche AFP reproduite par Le Figaro à l’instant. Taëz « cette ville de 4 millions d’habitants. ».
Je ne sais où, même en comptant tous les habitants du mont Saber, qui surmonte Taëz ou Taiz, et ceux de la plaine de la Timaha qui la sépare de Moka (ou Mocha), l’AFP, ou plutôt le remplaçant du chef de desk de service, a pu trouver tant de monde dans cette ville.

Il est vrai que, à Ta’izz (toponymie adoptée par Wikipedia), la démographie peut être galopante.

C’est la troisième ville du pays actuel, et au pifomètre, lors de mon unique séjour vers la fin des années 1970, depuis la hauteur surplombant le Mustapha Joumhouri (l’hôpital républicain, dit « hôpital des Français »), je n’y voyais qu’environ une centaine de milliers d’habitants. Avec l’extension de ville, actuellement, ce serait plutôt 750 000.

J’étais l’hôte de Marc Noyaret et Odile Leclaire, deux « arabisants » des Langues O’ (Inalco), qui « coopéraient » à l’hosto des Français. C’était d’un grand calme, voire d’une certaine torpeur, surtout lorsque venait l’heure de mâcher le qat. À la capitale, Sanaa, les conflits au sein des conseils d’administration se réglaient parfois à la mitraillette (ainsi, Peugeot l’emportait sur l’Indien Tata, par unanimité de la voix du survivant ayant fait expéditivement le ménage). Là, au sud du Nord-Yémen, c’était plus feutré qu’à Benghazi récemment. On ne descendait pas un général, un colonel et un commandant à la sauvette. Un sergent transportant des officiers généraux mourait avec eux dans un accident de la route : un cahot avait fait exploser les bouteilles de gaz placées dans le coffre. C’est bien connu, les officiers détournaient parfois des bonbonnes de gaz de la garnison. On pouvait y croire. Accident. Un peu comme à Oslo récemment selon Jean-Marie Le Pen.

Dans les montagnes, où les femmes aux corsages fort échancrés cultivaient le qat, livré parfois à des citadines recouvertes d’un triple voile, l’influence des tribus du Yémen-Sud (celui d’Aden), restait prégnante. Or donc, parfois, des expéditions punitives de l’armée « régulière » (en fait d’un général plus ou moins allié à la présidence) se produisaient.

La tactique était parfois simplissime. Le détachement avançait de nuit à proximité d’un village. Il enterrait des armes, attendait l’aube. Puis allait mander le chef du village, faisait part de sa « découverte » et repartait avec les bijoux des femmes en gage de conciliation. Quelques accrochages pouvaient survenir toutefois.

Depuis, le pays a été réunifié avec les conséquences que l’on sait : une forte rivalité entre Aden et Sanaa, des « sudistes » se disant occupés et méprisés par le « nordistes », et Taez partagée entre allégeances vacillantes, mouvantes, parfois interchangeables.

Or donc, de nouveau, de « violents affrontements » opposeraient ce premier août « des centaines de combattants tribaux » à l’armée. Laquelle au juste ? Une armée à la syrienne ? Une armée à la yéménite ? Un char aurait été détruit, un autre pris (ou « retourné », allez savoir) selon « des témoins ». Jeudi dernier, un policier avait été tué à un barrage du centre de la ville. Si la population a tant changé, le centre risque de s’être déplacé.

Les alliances se déplacent aussi, selon que des subsides soient attribués ou non. L’aviation évite de bombarder certaines villes, ne sachant trop quelles seraient les réactions des habitants (prompts à changer de camp) ou qui est au juste qui. Les « tirs amis » sont parfois plus meurtriers que ceux d’en face. Il y a des tribus hostiles au gouvernement central tant au nord qu’au sud.

Tantôt, des combattants s’allient avec ceux des groupes fondamentalistes musulmans, tantôt ils les chassent et tentent de les éliminer. Les fondamentalistes répliquent parfois avec des attentats suicide. La Première Division blindée, stationnée près d’Aden, a rallié les tribus du sud. Donc, quand une dépêche indique que l’armée a fait l’objet d’un attentat-suicide, il faut le prendre avec circonspection. Il peut s’agir d’une unité rebelle. Ou pas.

On libère au Yémen. Un peu comme à Ghazaia, en Libye, où les libérateurs sont accueillis par un silence craintif. Eh oui, les nouvelles maisons y ont été toutes construites avec des prêts gouvernementaux à taux très réduits. De nombreux habitants ont fui vers Tripoli.

On évacue au Yémen. Des localités désertées… provisoirement. Josh a été repris la nuit dernière par les forces loyalistes, sans combats. Elle avait été « libérée » la veille.

Il n’y a pas d’intervention étrangère trop évidente au Yémen (pour le moment). En Libye, les Britanniques commencent à se poser de réelles questions. Liam Fox (Défense) croit encore à une révolution de palais à Tripoli. Sir Menzies Campbell (Libéral démocrate) incite ses alliés au gouvernement à « totalement réexaminer la situation… » (selon The Telegraph). « Il conviendrait d’être plus clairs dans notre définition des conséquences d’un succès, » a-t-il prudemment avancé.

La France et la Grande-Bretagne ne seraient plus tout à fait opposées à ce que Kadhafi bénéficie d’une sorte de sauf-conduit, rapporte Richard Dicker (New York Times et International Herald Tribune). Dans ce cas, on ne voit pas trop pourquoi les troupes de Benghazi, si elles parvenaient à Tripoli ou dans des villes loyalistes, ne pourraient pas s’en donner aussi à « cœur joie », et massacrer leurs adversaires. Soit aussi des civils très difficiles à défendre par des frappes aériennes. Un peu comme ce qui se produit au Yémen pour l’aviation loyale au président…

Bah, vus du Quai d’Orsay ou d’un desk de l’AFP, 400 000 ou 4 millions d’habitants, au loin, c’est un peu la même chose. Dieu, ou plutôt le plus « Malin » finira bien par reconnaître les siens. Alors, vus de l’Élysée ou de la place des Vosges, résidences respectives de Nicolas Sarkozy et de Bernard-Henri Lévy, pensez donc !