Pendant qu’une partie de la presse classique et  en ligne va se focaliser sur le compte Twitter d’un présumé permanent du PS animé par une officine de l’UMP, les affaires vont pouvoir continuer. En toute impunité. Avec Luc Ferry pour tailleur du prêt-à-penser ?

C’est d’abord le trompe-l’œil d’une protestation de la CNCIS (la commission de contrôle bidon des écoutes téléphoniques), après les révélations du Canard enchaîné. Cette commission estime que la surveillance dont fut l’objet David Sénat, conseiller de Michel Alliot-Marie, était illégale. C’est ensuite le déni d’Éric « Les Moyens » de Sérigny, conseiller d’Éric Woerth, fondateur du Premier Cercle, qui, épinglé par Rue89, dément être impliqué dans trois sociétés opaques domiciliées au Panama. C’est bien sûr la plainte en diffamation censée avoir été déposée par Éric Besson contre l’hebdomadaire Bakchich qui a supposé qu’il s’était offert un voyage de noces aux frais des princesses contribuables. C’est enfin, et ce n’est ni anodin, ni le moins grave, le travail de sape idéologique mené par de prétendus intellectuels. Ce démolissage est illustré par Luc Ferry, ancien ministre du décervelage, qui dans Valeurs actuelles, fustige « un art qui ne vise qu’à choquer » et sans doute toute contestation de l’Ordre Culturel établi. L’art, la littérature, la musique, ne doivent pas plus mentir que la terre gavée d’engrais et de lisier de nos agriculteurs, selon Luc Ferry. Pendant ce temps, on imagine Patrice de Maistre, dans les dîners en ville, déplorer avoir été, « comme tout le monde », abusé par le banquier Madoff auprès duquel il plaçait partie de la fortune de Liliane Bettencourt. Et cœtera, et cetera, &c.

 

Je ne sais plus quelle Nadine Morano ou quel Frédéric Lefebvre a évoqué, à propos du Woerthgate et des révélations de Médiapart, la presse des années 1930. Ah, c’était Christian Estrosi. Rien d’étonnant de la part de cet homme qui est un failli, pour avoir creusé le plus grand déficit mondial d’une concession du motoriste Kawasaki, peut-être pour se doter des fonds indispensables au lancement de sa carrière politique… Or, nous y sommes de retour, aux années 1930. Il ne manque plus à Nicolas Sarkozy qu’une nouvelle affaire Dreyfus, une fabrication de « traitre » présumé être lié à des terroristes, pour que le retour vers le futur soit complet.

 

grenouilles.pngLe Monde, aidé par l’appareil du PS, aurait débusqué un prétendu « solférinien » (du nom de la rue du siège du Parti socialiste), un « e-veilleur » de l’agence de diffusion de bobards de l’UMP. Ce salarié d’une officine rependait de faux-bruits, bien sûr « confidentiels », sur les « pipeules » du Parti socialiste. Tout comme Éric Woerth s’indigne, Baptiste Roynette, le Premier Paris balzacien UMP de Twitter, nie formellement, catégoriquement. Le compte de Solferinien semble toujours actif. Ce serait celui d’« un solférinien qui a tweeté pendant l’université d’été et qui va tweeter toute l’année de la rue Solférino et de l’Assemblée car il adore ! ». Il ne reste sans doute plus, au Parti socialiste, le moindre Roger Salengro (ministre harcelé, calomnié, qui, à bout, s’était suicidé pour laisser sa mort sur la conscience de ses « corbeaux »). Baptiste Roynette peut continuer à dormir sur ses deux oreilles, sa morale tranquille, et continuer son long fleuve de trollages. Par ailleurs, Éric Woerth a un « moral » d’acier de chez Usinor, pardon, Mittal.

 

Poussée par Daniel Vaillant, ancien ministre socialiste de l’Intérieur, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS, Cnis en abrégé), a, selon l’AFP, laissé entendre « que la procédure invoquée par la police afin d’identifier la source d’un journaliste du Monde n’était pas valable ». Que ces choses-là sont joliment dites. On l’a compris à la lecture du Canard enchaîné, la CNCIS est un paravent aussi efficace et omniscient que peut l’être le Service central de la Prévention de la corruption. On suppose que, comme la Halde, la Haute autorité de Lutte contre les discriminations et pour l’égalité, c’est en fait une sinécure s’apparentant à une prébende. La Halde vient d’organiser un « collège thématique sur le critère de discrimination lié à l’âge ». Ses membres dirigeants ne subissent aucune discrimination liée à leur âge et sa présidente, qui avait porté plainte contre le Canard enchainé pour diffamation à propos de ses émoluments, déjà décorée de l’Ordre du Mérite, obtiendra sans doute à la longue sa Légion d’honneur.

 

Éric Le Moyne de Sérigny, conseiller officieux d’Éric Woerth, n’aurait jamais, au grand jamais, été administrateur d’« au moins onze sociétés panaméennes », comme l’a supposé Rue89. Il y a un Denis Robert à Rue89 qui finira sans doute, comme l’imprécateur de l’affaire Clearstream 1, par se réfugier dans la peinture décriée par Luc Ferry. Si Éric de Sérigny n’a jamais été de près ou de loin lié à des sociétés panaméennes, il ne saurait encore l’être à Lorcha Overseas Inc., Magma (la bien nommée) Enterprises Inc. ou Caliban Holdings Inc. Très lié en revanche à Patrice de Maistre, Éric de Sérigny est aussi un fondateur du Premier Cercle. On apprendra peut-être un jour que, tout comme Patrice de Maistre, certains membres de ce cercle ont été victimes de la faconde d’un Madoff, et que les fonds récoltés auprès de leurs connaissances ont été perdus à l’insu de leur plein gré car on ne leur avait rien dit. Il n’y a sans doute pas qu’un « beau Sacha », un Alexandre Stavisky, au Jockey Club, au Cercle des Aviateurs, mais comme ces personnages sont de moindre envergure, on se contente d’un Jean-Marie Messier ou d’un Bernard Tapie ou d’un Christian Estrosi pour alimenter la chronique des faillis glorieux. Dominique Bègles, évoquant dans L’Humanité le cas de Sérigny a conclu par un chiffre : « 1 500, c’est le nombre des filiales offshore des entreprises françaises du CAC 40. ». C’est un compte en vrac : en répertoriant les filiales des filiales et les fondations, il en est même qui ne figurent pas dans les listes complètes des comptes de Clearstream Banking. Éric Woerth, on le sait, a beaucoup lutté contre l’évasion fiscale…

 

Éric Besson n’a pas convaincu Bakchich mais son cabinet du ministère de l’immigration « interdit » toute divulgation des pièces justificatives produites par le patron. Même aux magistrats, il n’est pas question de les communiquer ? En tout cas, c’est raté. Voir ici, et . Années 1930 toujours : André Gide, vieillissant, avait des gitons. Il lançait parfois quelques protégés assez doués pour faire figure honorable au sommaire de la Nouvelle Revue Française ou dans le secteur germanopratin des maisons d’édition. Bakchich, encore, titre aussi cette semaine sur Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture : « Mitterrand cajole un ami artiste ». L’ami artiste est aussi celui de François-Marie Banier, il n’est pas natif de Tanger, mais de la banlieue de Salé, et c’est le port de Rabat. On se souviendra (sans doute une petite dizaine d’années) que le (premier ?) quinquennat de Nicolas Sarkozy aura beaucoup fait pour les jeunes issus de l’immigration et des banlieues : Rachida Dati, Jeannette Bougrab…, et à présent Abdellah Taïa. Ce monde vit à l’accéléré : dans les années 1930, il y eut peut-être des ministres, des chefs de cabinets, des membres de conseils et d’organismes divers issus de l’immigration italienne ou polonaise. Mais il faudra attendre la Cinquième République pour voir émerger un Michel Poniatowski ou un Pierre Bérégovoy… Et bien sûr un Nicolas Sarkozy, jadis bouffon et souffre-douleur du RPR des Hauts-de-Seine, quand il collait des enveloppes et des affiches, qui s’est bien rattrapé depuis. Le prochain gouvernement nous réservera peut-être un secrétaire d’État issu des communautés rrom, manouche, ou un petit-fils de « vannier » alsacien, copain d’enfance d’Éric Woerth, histoire de moucher de mauvaises langues. Les nez s’allongent, les langues se rentrent. Les nez sont choyés dans l’hermine, les langues menacées d’un procureur. Philippe Bilger, magistrat, s’en désole : « pour dénoncer l’atmosphère judiciaire d’aujourd’hui, il faudrait avoir le génie d’un Léon Bloy, d’un Emile Zola. ».

 

Antan, le cygne était à la table des nobles et bourgeois, le héron braconné était viande de gueux. À présent, Luc Ferry se délecte de signes ; la plèbe devient obèse d’abréviations sur Twitter gonflées aux OGM des rumeurs.

 

Anne Larue, dans son livre sur le mouvement wicca et son influence sur la littérature populaire, dénonçait déjà le « backlash » contre le féminisme et les soixante-huitards n’ayant pas fait la carrière d’un Serge July. Fiction, féminisme et postmodernité fut d’abord retiré des ventes par les éditions Les Classiques Garnier, avant que, à la suite d’une assez notable mobilisation et d’une action judiciaire, il soit amiablement réintégré au catalogue de la maison. Le livre de Jean Galli-Douani, Clearstream-Eads, le syndrome du sarkozysme, a été prélevé de la circulation avant même d’être diffusé par les éditions Bénévent Ce fut à la suite d’une injonction de l’ancien bâtonnier Mario Stasi agissant pour le compte d’Alexandre Jevakhoff, du cabinet de Michèle Alliot-Marie à la Chancellerie. Il paraîtra de nouveau, revu et augmenté, en ce début octobre, chez Oser dire, maison filiale des éditions belges Mario Pietteur. Anne Larue n’a pas eu besoin de publier en Hollande, ni de faire circuler son ouvrage sous le manteau de la semi-clandestinité, tel un Julien Coupat, mais on en est là…

 

Je ne sais quelle sera la postérité des deux livres, mais j’imagine que celui d’Anne Larue, qui dénonce Luc Ferry, ancien ministre de l’Éducation, ressurgira peut-être dans l’historiographie à venir des « idées ». Pour le moment, l’université recommande, du côté d’Assas et de Dauphine, la « culture générale », voire maréchalesque et impériale, que prône un Luc Ferry, pâle homonyme de Jules Ferry, mais si peu son continuateur. Luc Ferry avait dénoncé la supposée « haine de l’Occident » qui aurait animé Claude Lévy-Strauss. Dommage pour Luc Ferry que Jacques Soustelle, ethnologue « américaniste », soit décédé en 1990 : la culture livresque d’un Luc Ferry étant ce qu’elle est, il aurait peut-être interprété « américaniste » en « spécialiste des États-Unis », et rendu un vibrant hommage à cet intellectuel fourvoyé en politique, ancien de l’OAS mais pourtant soutien du préfet Maurice Papon.

 

Luc Ferry s’est entretenu avec Laurent Dandrieu, de Valeurs actuelles. Je cède la parole à André Rouillé, du site Paris Art, qui a titré « Luc Ferry, l’art d’être réactionnaire ». Je ne relèverai que ses « oublis » (volontaires, car la place, même sur Internet, est comptée à André Rouillé). Luc Ferry a aussi évoqué le musicien Pierre Boulez, élève d’Olivier Messiaen. On peut supposer que Luc Ferry goûte en privé Les Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus de Messiaen parce que son apport à la musique n’est pas contesté par Bernard-Henri Lévy et à cause de son intitulé ; en public, il applaudit du bout des doigts Boulez, parce que « cela se fait ». Luc Ferry, à l’Éducation, n’a pas osé retirer des programmes scolaire un Jean de la Fontaine, et ses fables sur les grenouilles, parce que « cela ne se fait pas ». Sa « terreur en gants de velours », qu’a dénoncé Alain Badiou, n’a pas été poussée jusqu’à approuver trop fort la diatribe de Nicolas Sarkozy au sujet de La Princesse de Clèves, peut-être parce que cette œuvre serait au catalogue de La Librairie sonore à laquelle Luc Ferry a aussi prêté sa voix pour un Nietzsche, l’œuvre philosophique expliquée. Mieux vaut oublier les autres « oublis » d’André Rouillé, le temps vous est compté : un autre compte Twitter mobilisera votre attention. Puis ce sera une saillie sur d’autres étrangers que les Rroms. Puis une sortie sur la moralisation du capitalisme, la lutte contre le Sida (donnez pour la Fondation Carla Bruni), les intempéries et inondations qui doivent entraîner un élan solidaire, Osons l’écrire, et il vous faut l’oser dire, ce n’est pas de la propagande nazie, c’est de la com’ mussolinienne, un bluff singulier, comme celui d’Éric Besson… Au G8, au G20, Nicolas Sarkozy se la jouera, campé sur ses talonnettes, héron décimant les « mauvais capitalistes », singulier bluff aussi. Avec Besson et Woerth, il préserve deux talons d’Achille. Si on les recensait tous, Sarkozy serait un mille-pattes.

 

P.-S – au passage, mes hommages réitérés au talent de Sarah Fouquet, qui signe Presse papier ses illustrations de Bakchich. Le nez de Besson en piste de décollage est un bel envol évocateur, remémorant celui de Woerth en piste de galop pour juments de l’écurie Dam’s. Oserai-je lui suggérer de transformer en héron un Nicolas Sarkozy gobant les grenouilles de Jean de La Fontaine ?