Non, Nicolas Sarkozy n’a pas piqué un coup de sang quand une journaliste de France Info, à Villeneuve-le-Roi, lui a demandé « avez-vous demandé une enquête ? » (sur les fuites dont aurait bénéficié Le Monde). Il n’a ni infirmé, ni confirmé, ayant peut-être lu une sortie imprimée de l’entretien entre Bérénice Rocfort-Giovanni (Nouvel Observateur) et Yves Bonnet, ancien préfet, ancien DG de la DST, qui se gausse : « dans démentir, il y a mentir ».

Nouveau vocable qui fera peut-être son entrée au Larousse : « fadette ». Pour « facture détaillée » d’appels téléphoniques. Ce serait donc une et une seule petite fadette, toute menue (comme l’héroïne du roman de George Sand, une farfadette), qui aurait mené à un homme, un seul homme, un homme « seul », lâché par sa ministre, David Sénat, désigné comme le seul auteur des « fuites » dont aurait disposé la presse, via Le Monde. Comme c’est mignon !

 

Ce 15 septembre n’est pas achevé, mais personne, sans doute, n’aura l’indécence de redemander à Nicolas Sarkozy s’il a bel et bien ordonné une enquête ou demandé à Michèle Alliot-Marie la tête d’un magistrat qui avait plusieurs fois contrecarré ses visées (statut de la Scientologie, communautarisme musulman, affaire Clearstream 2). En conséquence, rien de très nouveau sur les faits eux-mêmes ou leurs premières répercussions françaises et étrangères exposées la veille (voir « Woerthgate : bombe à fragmentation… » et ses commentaires d’actualisation) ou tôt ce matin.

 

En revanche, il est bien confirmé, par Daniel Vaillant, membre de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), pour Le Parisien, que le seul Frédéric Péchenard, le DGPN, ami de Nicolas Sarkozy, aurait fait se mobiliser des fonctionnaires de la DCRI (le Renseignement intérieur).

 

Bizarrement, Synergie Officiers, par la voix de son secrétaire général, Patrice Ribeiro, a considéré que les policiers de la DCRI n’étaient pas des « barbouzes » et qu’il n’était pas « anormal » qu’ils n’aient pas invoqué un devoir de réserve ou refusé cette mission insolite. J’ai guetté une bonne partie de la matinée le communiqué du Syndicat du corps de commandement de la Police nationale sur son site, mais le texte accompagnant le titre « SO défend les officiers de la DCRI qui ne font que leur travail » brille par son absence. Sur le forum : rien ! Sur les sites des autres syndicats de la police, pour le moment : rien. Un petit tour devant les micros, et Patrice Ribeiro rentre sa langue dans sa poche.

 

Yves Bonnet, dont j’ai pu apprécier le franc-parler et son respect absolu du devoir de réserve à Châlons-en-Champagne, lorsqu’il était préfet de région, est catégorique : « c’est l’Inspection générale des services judiciaires ou bien l’Inspection générale de l’administration qui auraient dû se pencher sur le cas de ce fonctionnaire qui a divulgué des informations. Je vois mal comment l’inspection générale a pu être court-circuitée. ». Ce que Yves Bonnet ne dit ni ne peut sans doute dire, c’est de quelles informations au juste il s’agissait, et son sentiment sur l’ampleur des investigations menées. Pour lui, en tout cas, Frédéric Péchenard joue le rôle de « fusible », et il exclut « vu la personnalisation du pouvoir », que Nicolas Sarkozy n’ait pas été informé d’une initiative qu’il aurait, partant, validée.

 

Les questions qui subsistent sont les suivantes : qui va déballer l’ampleur des investigations et en assumer la responsabilité, d’une part, et pourquoi donc David Sénat se voit (et se doit d’) endosser le rôle de la « gorge profonde » (du Monde, et par ricochet, de Mediapart, de Libération, car si on peut penser que les journalistes ne fonctionnent pas en « pool », ils se refilent quelques tuyaux pour que la « concurrence » puisse répercuter à temps et amplifier leurs « exclusivités »).

 

Ne comptons pas sur la presse, pas même vraiment sur les syndicalistes du Figaro (titre qui a aussi bénéficié de sources discrètes, mais sans doute toutes autres), pour répondre à ces questions. Du côté de la représentation nationale au sens très large (Élysée, gouvernement, majorité et opposition des deux chambres…), le Woerthgate est riche d’enseignement : circulez, il n’y a rien à voir, le déni permanent est la règle, et hormis des Corinne Lepage ou des Eva Joly, bien peu ne singent pas (rien vu, rien entendu, rien dit), l’attitude de la majorité qui veut surtout se préserver de savoir. Voudrait-on aussi, si l’on venait à être l’objet de la courtoise visite d’un simple enquêteur de police (pas forcément un OPJ), être, comme pour le déplacement au siège de l’UMP, être prévenu la veille ou l’avant-veille ? Les échanges verbaux sont vifs, ceux de bons procédés se chuchotent en coulisses.

 

Pourquoi pointer du doigt le seul David Sénat alors qu’on ne sait même pas ce qu’il aurait pu communiquer au Monde ? Qui d’autre, parmi la multitude de hauts fonctionnaires contactés discrètement par les journalistes, et pouvant être considérés comme les « sachants » de tel ou tel volet du Woerthgate, a fait l’objet d’un tel épluchage de ses fadettes ? Aucun ? Comme c’est étrange. La question peut être formulé autrement : qui voulait vider David Sénat de la Chancellerie, et surtout, pourquoi ? Michèle Alliot-Marie ? Acculée par François Fillon, elle a, comme autrefois lors de Clearstream 2, protesté de son ignorance mais justifié a postériori une sanction qui peut paraître démesurée. Dans démentir, il y a mentir, et même si David Sénat, après huit ans de fonctions dans divers cabinets ministériels, avait voulu retrouver un ressort, cela aurait fort bien pu attendre le prochain remaniement du gouvernement, ou un « tour de nomination » attendu dans la discrétion d’une mise en disponibilité provisoire, confortable, n’exposant pas aux effets des décalages horaires.

 

Qu’on ne compte pas trop non plus sur la presse du groupe Hersant pour pointer la présence de David Sénat dans France Guyane. « Notre ancien recteur, Wacheux, a été expédié en Guyane après avoir perdu les municipales face à Jack Lang à Boulogne… », persifle un commentateur. Frédéric Wacheux a « fait son temps » et est revenu, en janvier 2010, en tant que directeur du Centre d’études et de recherche sur les qualifications, à Marseille. « A pa mo ki di », c’est pas moi qui le dit, mais ce n’est pas non plus David Sénat qui va déballer ses différents avec la Sarkozye ou son directeur de cabinet, Alexandre Jevakhoff, par exemple. En fait, David Sénat supervisera la création d’une cour d’appel en Guyane depuis un bureau du quai de Javel.

 

Tout autre chose : pour qui « roulait » donc David Sénat. Pour sa gloriole personnelle et mieux vendre un prochain livre ? Huit ans de cabinets ministériels (avec un remplacement d’un petit trimestre au parquet de l’Yonne, pas trop loin de Paris), pour cet ami de Jean-François Gayraud, ex-commissaire de la DST, incitent à ne pas déserter l’ombre durable pour des lumières éphémères (et peu rémunératrices : les livres, même ceux sur Carla Bruni, se vendent assez mal).

 

Selon Le Point, des policiers de la DRCI ne craignent pas trop de se confier, tout aussi anonymement que David Sénat sans doute, à la presse : il n’y aurait pas de cabinet noir mais des « missions ne relevant pas de nos compétences, très people par exemple, ou rock-en-roll, nous ont été confiées (…) et pas dans la plus parfaite transparence… ». Carole Bouquet intéresserait-elle Carla Bruni, comme autrefois François Mitterrand dans la fameuse affaire des écoutes de l’Élysée ? Accédé à 15:39, ce jour, le site de Synergie Officiers n’argumentait pas encore les propos de son secrétaire général. Mais peu importe.

Qui a voulu la peau de David Sénat et véritablement, pourquoi ?