Pour alimenter la chronique de la série de téléréalité « mamours, glamour & débats d’idées » du Woerthgate, les dimanches sont peu propices. Par quel bout le prendre ? Revenir sur « Raspoutine » Banier ? Faire une nouvelle édifiante revue de la presse étrangère ? Évoquer un hypothétique Pal de Maistre qui, tout comme ce le fut avancé lors des affaires Clearstream, aurait bien un patronyme en commun avec l’un des protagonistes d’autres affaires ? Par le petit bout de la lorgnette (de la presse française), on y voit bien mieux que par le gros bout (des titres étrangers) ? Pas sûr…

Elle remonte à dimanche dernier, le 18 juillet,  cette réaction de Luis, lecteur du site du journal péruvien Los Andes, qui estime, sous l’article « Fiesta de Francia y pesadilla de Sarkozy »,  soit 14 juillet et « cauchemar » de Nicolas Sarkozy, ce qui suit : « Avec Sarkozy se dissipe en France le mythe d’une Europe incorruptible. En réalité, la corruption a toujours existé en France mais dans ce cas, c’est beaucoup plus ardu de le réfuter. De toutes manières, Sarkozy est entouré d’une bande d’opportunistes qui ont fait de la politique une profession très rentable, tout comme lui et son épouse. ».

 
Ce qui est insolite, au moins pour le lecteur de la presse française, c’est que ce Woerthgate donne beaucoup plus l’occasion à la presse étrangère de s’intéresser au financement de la fondation de Carla Bruni. On y retrouve Lancôme, filiale L’Oréal, et Goldman Sachs, l’employeur de Fabrice Tourre à Wall Street. Depuis, Goldman Sachs a vendu 44 % de ses actions BP vingt jours avant la fuite de la plateforme du golfe du Mexique, et Nicolas Sarkozy a qualifié toutes ces rumeurs de « clapotis ». D’un golfe à un « autre », celui de Chantilly, il y a un océan, parcouru de marées noires, aux reflets d’argent gris, dans lequel la presse française, beaucoup plus synthétique et attachée au principe « un angle, un seul » que ses homologues étrangères, ne se noie pas.  
 
Revenons donc sur l’écume des choses. Pour l’ibère El País, Woerth s’est gagné le surnom de « malabarabista » chargé d’une main de la réforme des retraites, de l’autre du Woerthgate. En France, le protégé de Liliane Bettencourt, est devenu « Raspoutine Banier ». Un partout. Le problème, c’est qu’El País, tout comme d’autres titres étrangers, se livre à des comparaisons un peu moins volatiles. Ainsi, entre les affaires de corruption en Espagne et en France, avec cette conclusion de Josep Ramoneda rapprochant Sarközy de Zapatero : il s’agit d’un même prototype d’homme politique « propre (sic, en traduisant littéralement propio) à la communication politique actuelle, dictée par l’immédiateté, qui au lieu de projeter le pays vers un horizon possible, se fonde sur la promesse, garantie par la confiance en sa parole. Le problème, c’est que (…) l’opinion lui retire sa confiance. Et la politique y perd crédibilité et intérêt. ». Le propre de ce type de personnage, c’est que sa probité claironnée n’illusionne plus. En revanche, il n’est pas tout à fait sûr que l’intérêt pour la politique s’estompe au fur et à mesure que celui en incarnant les orientations dominantes se décrédibilise. Selon que la presse lui dessille vraiment le regard de l’opinion ou le détourne vers d’autres sujets secondaires, l’intérêt pour la chose publique croît ou décroît.
 
Il est quand même paradoxal que ce soit un quotidien étranger qui, à propos d’un « à côté » significatif de cette affaire en particulier (« Woerth es acusado ahora de malvender terreno público », à propos du golf et de l’hippodrome de Chantilly), fasse appel à la mémoire des lecteurs, en remémorant qu’en 2004 « le gouvernement vendit au Groupe Carlyle le magnifique bâtiment de l’Imprimerie nationale à Paris pour 85 millions d’euros. En 2007, il le reprend aux fortunés nord-américains pour 376,6 millions, pour en faire le nouveau siège du ministère des Affaires étrangères. ». Le quotidien hispanophone rappelle que cette revente avait été défiscalisée via un montage au Luxembourg, mais n’insiste pas sur ce qui avait permis l’opération (Nicolas Sarközy, ministre du Budget sous Balladur, avait privatisé l’Imprimerie nationale), sur le fait qu’Olivier Sarközy a été, tout comme Florence Woerth par de Maistre, recrutée par le groupe Carlyle pour ses « compétences » par la suite, ni sur l’embarras qu’éprouve Bernard Kouchner (devenu ministre pour finaliser cette opération en particulier), à faire déménager le Quai d’Orsay. Le Woerthgate, terme repris par La Libre Belgique, mieux analysé à l’étranger qu’en France ?
 
En consultant le Journal du dimanche de Lagardère, on « commence » à se (re)poser la question.   Laurent Valdiguié, du JDD, serait-il candidat à la succession de Pujadas ? Il n’a posé à Patrice de Maistre que les questions incontournables. Lequel réplique, par exemple sur l’éventualité de sa détention d’un compte en Suisse par le passé : « s’il y a un de Maistre sur cette liste, ce n’est pas Patrice. ». Descendant de la famille Japy, du Territoire-de-Belfort, Patrice de Maistre est un peu moins un Franc-Comtois que Jean-Pierre Chevènement, lequel figurait abusivement sur les listes de Clearstream. Mais on n’ira pas l’apparenter avec Clearstream et avancer que le compte appartenait à Anne de Maistre-Dewavrin, ex-épouse de Bernard Arnault, de la même manière que les fins connaisseurs des dossiers Clearstream avaient pu estimer que le patronyme de Sarközy désignait Pal, le père de l’actuel président. Ce ne serait que détail… et accessoire.
 
Ce qui avait coûté sa réélection à Hubert Dubedout, maire de Grenoble, ce ne fut pas tant sa politique municipale que la divulgation, par les feuilles d’Alain Carignon, d’un organigramme fort détaillé de tous les liens familiaux et autres du maire avec des responsables municipaux, départementaux, et divers personnages dont la carrière avait fortement progressé sous ses mandats. Le tramway de Grenoble s’est finalement fait, l’organigramme n’a jamais été défait. Les réponses de Patrice de Maistre à la question de Laurent Valiguié, « quelles étaient vos relations avec le couple Woerth ? », sont d’une limpidité évanescente. Et bien sûr, « non, Éric Woerth ne m’a pas demandé d’embaucher sa femme. ». Le JDD s’en contente. Passez muscade. Quand de Maistre évoque l’achat d’une bague en numéraire pour la somme de 400 000 euros, le JDD ne rappelle pas à de Maistre que tout règlement de plus de 3 000 euros en liquide expose à une amende de 15 000. Bien piètre gestionnaire de fortune que ce de Maistre : on en finirait par douter des aptitudes et qualifications de celles et ceux qu’il recrute. Mais ce genre de questionnement n’est pas évoqué par la presse Lagardère.
 
Quand Le Monde titre sur la quasi bonne affaire qu’aurait fait réaliser Woerth au budget de l’État en cédant les terrains constructibles du golf et de l’hippodrome de Compiègne à un estivant régulier du Cap Nègre, foin de comparaison avec cette autre cession d’un golf de Chantilly, cette fois, naguère, à l’un des nouveaux copropriétaires du groupe Le Monde. N’y aurait-il pas eu lieu de faire d’utiles rapprochements ? Ce genre de questionnement n’est pas évoqué par la presse Bergé-Niel-Pigasse.   Faudra-t-il attendre que The Guardian, Avui, Der Spiegel, et quelques autres titres européens fouillent un peu les dessous du hippisme et du golf français (ne comptons pas sur l’Osservatore Romano, financé par l’Institut pour les œuvres de religion et d’autres banques « vaticanes » pour s’intéresser, même dans sa version hebdomadaire en langue française, à ces questions profanes ; son édition du 20 juillet titre sur la participation du Conseil pontifical pour la pastorale des migrants à la Journée mondiale du tourisme, et les propos de Nicolas Sarközy sur les Rroms et autres gens du voyage ne sont pas évoqués : la « pastorale du tourisme » doit concourir à « l’éducation à la contemplation, qui aide les touristes à découvrir l’empreinte de Dieu dans la grande richesse de la biodiversité », lequel reconnaîtra les siens…).
 
Le tourisme fiscal, les paris, les taxes sur les jeux en ligne, ne sont que très peu reliés au Woerthgate dans la presse française, mais la presse étrangère porte un tout autre regard. J’avais effectué deux courts stages d’observation à la rédaction de The Independent, à Londres, quotidien qui a quelque peu changé au fil des ans et des propriétaires successifs (et il s’agit là d’un understatement, d’un euphémisme). N’empêche, ce quotidien titre « What are we getting out of the Olympic Games? ». Il n’est pas trop question de l’intérêt des bookmakers pour ce genre de manifestation, pas plus que la presse française ne s’intéresse aux retombées fiscales, et dans l’escarcelle des Lagardère, d’un championnat d’Europe de balle au pied en France en 2016. Mais The Independent relève que les promesses de promotion des pratiques sportives, ou du sport amateur, n’ont pas été tenues. C’est l’angle principal. Toutefois, Matt Chorley et Pavan Amara, auteurs de l’article, s’inquiètent de la contribution de la National Lottery aux sports scolaires. « It is London hosting the Games, but it is the whole country that’s paying for them, » relève Jeremy Hunt, le « Rama Yade » britannique. Ce genre d’approche, rappelle que le spectateur des Worthgate est aussi un contribuable. La parole est aussi donnée à Matthew Sinclair, de la TaxPayers’ Alliance, lequel s’inquiète du déficit financier qui restera à éponger. Ce type d’angle n’est pas tout à fait reflété par la presse française. Que ce soit à l’occasion du Woerthgate ou d’autres sujets. De France-Galop et des casinos Barrière, du propriétaire du Fouquet’s, par exemple, ce qui intéresse le tout-Epsom.
 
Tenez, lorsqu’un Wauquiez, secrétaire d’État, se rend, de manière très insolite, à l’occasion de l’inauguration d’un job center, à Londres, à la rencontre des financiers français de la City, la presse étrangère, dans un cas similaire, aurait soulevé plusieurs points. Le ministre a-t-il l’habitude de visiter des antennes pour l’emploi à l’étranger, et selon quelle fréquence ? Combien de temps est-il resté sur place ? Était-il seul ou à la tête d’une délégation de fonctionnaires ? Son homologue s’est-il déplacé pour le recevoir ou a-t-il délégué un chef de cabinet ?  Foin de tout cela dans la presse française. Chaque pays aurait-il la presse qu’il mérite ? Ou celle qu’on lui impose ?
 
Un scoop, ce n’est pas qu’une info exclusive. C’est une information largement répercutée par l’ensemble des médias. Que fait donc l’ensemble des médias des enquêtes du Courrier Picard sur la cession des terrains de Chantilly sur ordre d’un ministre, par ailleurs maire de la ville, et de la consultation de son lectorat sur la question de savoir si Woerth doit ou non démissionner ? Cherchez.  Pour Le Figaro, le sondage du jour porte sur l’équipement de la France pour « lutter contre les feux de forêt ». Pas question de s’interroger sur une démission d’Éric Woerth, à la lumière des récentes révélations et non pas des précédents sondages (valorisant plus que moins la présomption d’innocence). En revanche, la décision de justice (arrêt de la Cour d’appel de Paris) rendue le 23 juillet en faveur de Médiapart, qui est d’une importance capitale pour l’ensemble de la profession, a suscité divers, mais relativement faibles, échos.   Médiapart, qui titre sur les « Dix ans de cadeaux fiscaux qui ont ruiné la France » (« le gouvernement va donc faire payer aux plus modestes les cadeaux fiscaux dont ont été gratifiés les plus fortunés au cours de la décennie »), restitue le Woerthgate dans son réel contexte. Il est fort isolé. Médiapart est aussi allé rencontrer les responsables de l’UMP en Suisse. Financier de Médiapart : Xavier Niel. Lequel Médiapart gagnerait à s’intéresser davantage aux cessions de golfs et d’hippodromes en général. Mais ce sera bien de creuser les infos de L’Hebdo, publication helvète, qui rappelle que la délégation suisse de l’UMP ne comptait qu’une vingtaine de membres en 2006, et plus de 500 fin 2008. Qui est donc au juste Pierre Condamin-Gerbier, son ancien responsable ? Lequel démissionne en évoquant « beaucoup de regrets et de dégoût face au panier de crabes que représente une certaine frange de la communauté française à Genève… ». Qui est au juste son remplaçant, Jean-François Pissettaz, et son adjoint, Éric Benjamin ?
 
En fait, dans le cas d’un Woerthgate local, la presse étrangère se contenterait-elle d’appeler à la démission des protagonistes ou n’irait-elle pas jusqu’à exiger le remboursement aux contribuables des sommes ayant échappé à la vigilance de celles et ceux qui sont chargés d’en contrôler les flux ? Poser la question n’est pas y répondre. Ce n’est certes pas dans la tente des VIP de l’hippodrome de Chantilly, où Éric Woerth, pour le plus grand bonheur des gazettes relatant sa paisible virée dominicale en ville, a été accueilli par des huées et des « Rembourser ! Rembourser ! ». La Tribune signale que le couple Woerth ira se détendre ensuite à Chamonix, dans son appartement. Place à l’actualité heureuse… À propos de vacances, qui a relevé que Sébastien Proto, directeur de cabinet d’Éric Woerth au Budget, passait parfois ses vacances en Corse chez Antoine Arnaud, beau-fils de Patrice de Maistre ? Le Figaro ? Ou un petit site en ligne ou un autre, comme celui des Indiscrets ? Qui relève que la proposition de loi de Bernard Saugey, député UMP de l’Isère, a été adoptée par le Sénat le 24 juin, et quelle adoucit la définition de la prise illégale d’intérêts (un « intérêt quelconque » devient « un intérêt personnel distinct de l’intérêt général ») ? Le JDD ? Non, le blogue-notes « La Sociale », de Jacques Cotta…
 
Pour en revenir à la presse étrangère, il convient de relever que cette affaire qui semblerait franco-française fait des vagues un peu partout. La question qui commence à revenir, récurrente, est « au final, qui au juste paye et pourquoi et pour qui ? » (via les taxes, les impôts). C’est une revue hispanophone qui évoque les dommages reçus par « l’idéal d’égalitarisme que la France a transmis au monde ».  Le Woerthgate intéresse aussi les chancelleries, au sens large (finances et affaires étrangères). Le Woerthgate, on l’étouffera par ici, il ressurgira par là. Comme un furet, ou plutôt comme une taupe sur les parcours de golf et les terrains de polo…
wiplist, Eric Woerth remporte le trophée Tartuf
 
 
Mais finissons sur une note plus rigolote. Éric Woerth vient de faire son entrée dans la Wiplist. À peine était-il « listé » qu’il se voyait décerner le trophée de courses d’obstacles Tarturf (terrain lourd, goudronné, sans plumes toutefois, et faisant écho à son prix Pari-Tartuffe décerné par le Canard enchaîné). Bienvenue au club, Éric.