Les assouplissements apportés à la réforme des retraites annoncées par Nicolas Sarkozy seront peut-être considérées des « avancées timides», voire timorées, par les syndicats de salariés et de fonctionnaires. Il n’est pas sûr qu’elles soient si bien reçues par les précaires, les auto-entrepreneurs, les seniors au chômage. La journée de mercredi a aussi été marquée par la création de deux commissions, l’une sur la « prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique », l’autre est un « comité scientifique » chargé d’une réflexion sur l’appréciation de la pénibilité au travail…


Deux points positifs, et sans doute prévus d’assez longue date, dans les annonces faites par Nicolas Sarkozy à l’issue du Conseil des ministres de ce mercredi. Les fonctionnaires ayant élevé trois enfants et cumulant 15 ans de service pourront faire valoir leurs droits au départ en retraite avant l’âge légal. C’est notamment intéressant pour tous ces précaires ayant galéré dans le privé avant de s’échiner à passer des concours, et surtout pour les mères de famille dans ce cas (en général, les conjoints au chômage n’ont pas toujours tenu le cap, et déserté le foyer). Cela ne s’appliquerait qu’aux fonctionnaires se trouvant à cinq ans du départ en retraite pour leurs collègues (les officiers supérieurs ayant élevé trois enfants seront peu concerné·e·s). Le taux d’incapacité de 20 % permettant d’accéder à la retraite à 60 ans sera diminué de moitié (10 %). C’est certes valable pour certains agriculteurs pouvant se permettre de prendre leur retraite, pour des salariés pouvant bénéficier de postes aménagés en fonction de leur handicap, mais cela laissera froids nombre de chômeurs handicapés ne pouvant en aucun cas envisager un départ en retraite à 60 ans. En revanche, dire que le dispositif relatif aux carrières longues serait « maintenu » ne mange pas trop de pain. Reste à savoir comment il sera « élargi ». Par une possibilité de partir à 61 ans pour ceux qui, de toute façon, ne pouvaient pas bénéficier d’une retraite convenable à 60 ou 62 ans ? Ne préjugeons pas de la portée de cette mesure, qui fera l’objet sans doute d’un bras de fer entre négociateurs, après la seconde manifestation (du 18 ou 19 prochains).

 

Question pénibilité, il s’agira de voir qui abondera le « fonds public expérimental » et qui gérera destiné à prendre en compte des aménagements pour les salariés encore au travail. L’État seul, les entreprises, ou, aussi, les assurances privées ? Lui affectera-t-on les produits d’une taxe sur les revenus du capital ? Il est aussi question de créer un comité de réflexion pour « progresser rapidement » dans la connaissance des « effets de certains facteurs de pénibilité à impact dit différé ». Au bout de combien de cas cliniques estimera-t-on disposer d’un échantillon suffisant ? Merci à ceux qui le peuvent ou s’y résignent de décéder rapidement, mais en veillant à faire établir que cela découle de vos conditions de travail…

 

On le sait, la réforme des retraites s’accompagne d’une autre, celle de la médecine du travail. Celle-ci s’accompagne incidemment d’une obligation de souscrire aux assurances d’épargne retraite souscrites par l’employeur. La question du financement du « fonds public expérimental » est donc cruciale. Qui sera à la manœuvre ? Éric Woerth ? Denis Kessler ? François Ewald ? On peut penser qu’Éric Woerth ne survivra pas, en tant que ministre, au remaniement de novembre… La CGPME pour son compte, estime que seules « les plus importantes » des entreprises bénéficieront de ce fonds, tandis que la plupart pourraient être mises à contribution. Les questions de fond, comme par exemple une contribution des retraités les plus fortunés (électorat privilégié de l’UMP), ne sont pas abordées.

 

Un indice ? Par décret l’instituant ce mercredi, la fameuse et nébuleuse « Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique », annoncée en juillet, entrera très prochainement en fonctions. Elle comprendra Jean-M                arc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, Didier Migaud, président de la Cour des comptes, et Jean-Claude Magendie, ancien de la cour d’appel de Paris. Pour les titulaires des mandats électifs, la définition de la « prise d’intérêts » vient d’être adoucie, mais les deux chambres entameront une nouvelle réflexion. L a nouvelle commission « rendra ses conclusions avant le 31 décembre ». Donc, après le remaniement ministériel prévu en novembre. Tout comme le Service central de Prévention de la corruption, cette digne assemblée pourra d’ailleurs fort bien se borner à suggérer des recommandations sans faire état directement de cas concrets nominativement désignés. Ses membres pourront par la suite intervenir lors de colloques à l’Ena, à Sciences Politiques, à la London School of Economics, et pourquoi pas à Stanford, histoire de contempler le Pacifique. Si l’île d’Arros devenait saisissable par le fisc (actuellement, c’est inenvisageable), ce serait un lieu idéal pour un symposium international. Sans doute faudra-t-il se contenter dans un premier temps des salles de réunion de la Fondation pour la sauvegarde et le développement du domaine de Chantilly, de l’Aga Khan.

 

Il serait en effet déplorable de dissoudre ce comité après la remise de son rapport. Il s’agit « de réfléchir calmement, avec recul, sans passion à ce sujet compliqué, » a déclaré Luc Chatel. Le recul se fortifie de la durée, et « durablement » est peut-être, dans cette déclaration, implicite.

 

Pénibilité et dépendance (rappelons l’instauration récente d’une assurance dépendance privée) amènent à évoquer le volet Bettencourt du Woerthgate. Selon Mediapart, un médecin ami de Jean-François Banier et sans doute de ses autres amis médecins visés par une information du Conseil de l’Ordre, avait prescrit à Liliane Bettencourt des médicaments qui l’empêchaient d’écrire. « Son état s’est amélioré quand nous avons décidé d’arrêter la prise de ces médicaments, » aurait précisé Christiane Djenane, amie de Claire Thibout, à l’intention de la juge Prévost-Desprez. Pour les futurs retraités, l’arrêt du traitement prescrit par le dr Sarkozy aurait peut-être de meilleurs effets que l’acharnement « thérapeutique » visant leurs ressources (distillées jusqu’à mort pas si lente). C’est en tout cas un moratoire, jusqu’en 2012, que proposent, dans une tribune libre du Monde, François Chérèque, avec François Soulage, du Secours catholique, Alain Tournaine, et d’autres universitaires. « Le droit à la retraite est un droit fondamental et notre système de retraite, fondé sur la solidarité entre les générations, un élément constitutif de notre pacte social. Son évolution doit se construire par le dialogue et la recherche de consensus, mais surtout dans un esprit de justice, » estiment les signataires. De son côté, Anny Poursinoff, députée (écologiste) des Yvelines, a estimé sur Facebook : « entre le projet Woerth d’hier et le projet Sarkozy d’aujourd’hui, on ne peut même pas jouer au jeu des sept différences ! ». Manière de dire que tout était prévu d’avance. C’était programmé, un peu comme ce qu’a estimé Jean-Luc Mélanchon à propos d’Éric Woerth : « il est comme la viande faisandée qui finit par tomber toute seule… ».