Titre à double sens puisque c’est à leur demande que les époux Woerth sont entendus par des enquêteurs, mais que, dans l’opinion, la conclusion parait précéder la synthèse que fera le procureur Courroye. Courageux « sondage » ce 21 juillet, du Courrier Picard, sous le titre « Éric Woerth doit-il démissionner ? ». Les indications qu’on peut supputer à partir des résultats, et surtout des commentaires, sont assez édifiantes.


Il est quelque peu osé, de la part d’un titre de la presse régionale, de risquer de s’en prendre ainsi à une personnalité locale et régionale des plus influentes qui, saura, tout comme sans doute Nicolas Sarközy s’est souvenu de l’éviction de son ami Alain Minc du Monde, s’en souvenir. Cet appel à participation à un panel est fort bienvenu. Les instituts de sondages nous ont abreuvé de questions, et bizarrement, la question de la démission d’Éric Woerth n’a guère été posée directement à l’opinion. On pourrait s’en étonner : pourquoi le Journal du dimanche de Lagardère, si prompt à recourir aux sondages, pourquoi Le Figaro de Dassault, dont le site publie de tels panels de manière très récurrente, n’y ont-ils pas songé ? C’est pourtant, notamment pour Le Figaro, dont les pages de résultats permettent d’afficher de nouvelles publicités, un sérieux manque à gagner. Je serais directeur de marketing de L’Oréal, je me devrais de suggérer un tel questionnaire, histoire d’en « accompagner » la page de résultats.

 

Je trouve l’intitulé un peu sommaire, et il aurait sans doute gagné à être plus détaillé. Éric Woerth doit-il renoncer à ses responsabilités gouvernementales (question 1) ? Éric Woerth doit-il abandonner tous ses mandats électifs, locaux et régionaux ? Là, avec cette seconde question, au vu des éventuels résultats – imprévisibles –, le Courrier Picard risquait de se voir reprocher d’avoir proféré une véritable déclaration de guerre, et on peut comprendre sa retenue.

 

Je n’accorde qu’une valeur très relative à ce type d’appel. Parfois, les résultats peuvent être truqués par de fins connaisseurs du « cambouis » (du code) des navigateurs, à d’autres du fait que le bouche-à-oreille, le vrombruissage, entraîne une forte mobilisation de groupes de pression. Dans ce cas, il n’est guère possible, sauf à déployer vraiment du temps et des moyens, de « hacker » la page. Mais il se trouve que c’est plutôt l’UMP, très attentif à son image, qui achète des « mots clefs » de Google (ainsi « Bettencourt »), et dispose de petites mains, rémunérées ou non, pour réagir au quart de tour, qui serait le plus susceptible de mobiliser des « votants » convaincus d’avance. L’argument reste faible. Techniquement, il faudra vérifier ce qu’il adviendra des résultats en fin de journée, j’ai dû me contenter de ceux affichés en accédant au site à 13:00. Oui, selon 80 % des répondants (392 sur 492), Éric Woerth devrait démissionner. Il y a très peu d’indécis (« sans opinion »). On pourrait même avancer que cet appel introduit un « biais » dans la mesure où, ce que mon photomontage tout à fait respectueux de la réalité ne révèle pas, que le volet local des « affaires Woerth », du Woerthgate, est relégué en fin d’article. On est incité à répondre avant d’en avoir consulté la teneur, portant sur la vente des terrains domaniaux forestiers incluant un hippodrome et un golf.

 

Les rares réactions (en fin de matinée) sont en majorité conformes aux résultats, mais illustrent bien l’ampleur du Woerthgate. Les intervenants ont de la mémoire, et ce ne sont pas tant les faits actuels que l’ensemble de la carrière d’Éric Woerth qui est invoquée. Ainsi le commentaire de « Nitset2 » qui estime : « Woerth a eu l’illusion, comme Tartuffe, qu’il pouvait gommer (…) ses mentors : Casetta, la fausse-facturière, âme damnée de Chirac, et Mancel, condamné pour prise illégale d’intérêt quand il était président du Conseil général de l’Oise (la tête de l’UMP […] a recyclé Mancel. ». Jean-François Mancel, administrateur civil du ministère de l’Équipement, élu de Beauvais et de Noailles, a d’abord bénéficié d’un non-lieu pour trafic d’influences et autres « détails », avant de dégager un autre fumet en tant qu’actionnaire de la chaîne de parfumeries Séduire. Son inégibilité a été annulée en appel mais son amende et son sursis maintenus. Exclu du RPR pour sa proximité avec le Front national, il n’en est pas moins réélu député et membre de la commission des finances de l’Assemblée. C’est aussi une personnalité de la Françafrique. Il s’est « mouillé » pour Éric Woerth (« les jaloux et les haineux se manifestent toujours au détriment de ceux qui réussissent (…) C’est injuste pour l’homme dont l’intégrité et la rectitude sont connues de tous… »). Bref, comme l’exprimait Xavier Bertrand, « nous sommes tous (au bureau politique de l’UMP) des Éric Woerth » et Mancel est l’un des tout premiers.

 

Je ne saurais estimer la portée de cet indicateur assez peu fiable. Notons que la zone de diffusion du Courrier Picard est assez équilibrée entre communes « aisées » votant plutôt fortement à droite, et communes « démunies » (comme Clairvoix, ancien siège d’une unité de Continental démantelée) votant plutôt à gauche ou FN. Je ne sais pas si des électrices et électeurs UMP ont fait « la part du feu » et donc estimé, pour reprendre les termes d’Éric Woerth, que « cela commence à suffire », et que la démission d’Éric Woerth permettrait de tourner plus rapidement la page. Ce que je suppute, c’est que même Éric Woerth n’est plus un fusible assez significatif par lui-même. J’imagine aussi qu’un tel sondage, si les faits avaient été révélés au début du quinquennat Sarközy, n’aurait pas donné les mêmes résultats. Apparentement terrible, le Courrier Picard fait état de la mobilisation des salariés de Fouquet (et non du Fouquet’s) pour sauver la vingtaine d’emplois de ce transporteur de Saint-Quentin (Fouquet est devenue la Compagnie Saint-Quentinoise de transports).  Mais ce sont bien les illusions de la sauterie présidentielle du Fouquet’s qui sombrent. Le Woerthgate marque une beaucoup plus large et profonde désaffection. Un profond remaniement ministériel n’y changera plus rien. La cause semble, quoiqu’il arrive, entendue d’avance. En ce sens, le Courrier Picard n’est peut-être qu’un précurseur : la PQR (presse régionale) ne peut totalement s’aliéner son lectorat.