Le livre de Jean Galli-Douani, Clearstream-EADS – Le syndrome du sarkozysme, sous-titré « Les relations ambigües du sarkozysme avec la haute-finance », vient de paraître aux éditions Bénévent. Ce n’est pour l’instant qu’une bombinette à retardement puisqu’il traite d’un Sarkogate bien antérieur au Woerthgate. Mais, si la presse s’en empare, la bombinette est tellement près de l’arsenal que ses éclats pourraient bien mutiler le « voyou de la République ».

 


Sur le fond des affaires révélées de manière toute nouvelle par Jean Galli-Douani, déjà en partie dévoilées par une partie de la presse (Bloomberg, TF1, La Tribune, divers titres régionaux dont L’Est Républicain), soigneusement occultées par une autre partie (Le Journal du dimanche de Lagardère en particulier), je ne m’attarderai pas, au moins pour l’instant. Disons simplement que je regrette que Jean Galli-Douani n’ait pas doté son témoignage d’un index. On y trouverait – la liste n’est pas exhaustive – dans l’ordre de leur apparition, les noms de Lereste (prénom ?) ; Pasqua, Charles ;  Guéhant, Claude ; Jevakhoff, Alexandre ; Balladur, Édouard ; Valter, Clotilde ; Gesbert (prénom ?) ; Jospin, Lionel ; M’Barki (prénom ?) ; Marchac (prénom ?) ; Chevènement, Jean-Pierre (mon amical souvenir) ; Vaillant, Daniel ; Gauthier, C. ; Piat, Yann ; Montgolfier, Éric de ; Bueb, Jean-Pierre ; Carlson-Nelson (prénom ?) ; Levitte, Jean-David ; Baretti, Pierre ; Bonnet, Bernard (que je salue au passage) ; Santoni, François ; Sarközy, Nicolas ; Bertrand, Yves ; Gergorin, Jean-Louis ; Rondot, Philippe ; Villepin, Dominique Galouzeau de ; Coppé, Jean-François ; Juillet, Alain ; Battesti, Éric ; Thoraval, Joël ; Gay, Marcel (idem) ; Lahoud, Imad ; Robert, Denis ; Corbet, Jean-Charles ; Vlieger, Éric de ; Thien Ak Koon, André ; Garcia, Alain ; Forgeart, Noël ; Lagardère, Arnaud ; Leymergie ; William ; Pauthe, Dominique ; Alliot-Marie, Michèlle ; Ganay, Christine de ; et quand même, mais incidemment, Woerth, Éric. J’en ai omis, pas des moindres, mais on aura reconnu des hauts-fonctionnaires, des journalistes, des politiques, des ministres, des industriels, un patron de presse, et le trop sommaire glossaire des sigles (DGPN, DST, UGAP, IGPN, MIAT, SCPC…) vous donne le in situ des patronymes.

 

Le fond de ces affaires, documents fac-similés à l’appui, est déjà exposé sur Come4News, à la faveur d’un entretien accordé par l’auteur. Mais il ne sera pas inutile d’y revenir, et nous y retournerons. En revanche, le « parfum » du livre tient beaucoup à la personnalité de l’auteur, à ce qu’il a vécu, subi, lui et sa famille. J’ai déjà évoqué les albums de bande dessinée de l’ami Denis Robert, qui a éprouvé ce qu’a pu endurer Jean Galli-Douani, et les deux, par l’intermédiaire de Marcel Gay, ont peut-être pu confronter leurs éprouvantes expériences.

 

Extraits : « sachant que tout pourra être tenté contre moi et ma famille » ; « les enquêteurs (…) ferment la porte (…) tous me réconfortent (…) il est hors de question pour eux d’être mêlés à cette sale affaire, mais plus encore ils sont prêts à informer les journalistes ; je reste ému par leur compassion » ; « les gendarmes débarquent à notre domicile (…) l’un d’eux me lâche : “ Partez de chez vous immédiatement, vous êtes en danger ainsi que vos proches ». Ces quelques phrases revêtent pour moi une résonnance particulière, intime, et c’est pourquoi je me suis senti en empathie. Et puis, il y a la dernière phrase, qui clôt l’ultime page 114 du récit : « J’ai payé et je paye encore très cher mon refus de me soumettre, mais personne ne m’a cassé aujourd’hui ! ».

 

Cette phrase n’est en aucun cas revancharde, mais elle évoque le « tout pardonner, rien oublier » des rescapés des camps de la mort, et elle vaut garde-fou, écu, pare-feu. Détenir de lourds secrets reste indéfiniment d’une dangerosité extrême : toutes celles, tous ceux ayant à craindre que vous parliez, persévériez dans vos volontés de « tout déballer », vous guettent. On n’en sort jamais indemne. Je suppose que Jean Galli-Douani a soigneusement soupesé, dosé ses propos. Qu’il a peut-être occulté quelques détails secondaires, mais que pour l’essentiel, il est devenu hors d’atteinte, puisqu’il n’y a plus rien d’essentiel à redouter de lui : il a, sinon tourné la page, du moins témoigné, sans haine et sans plus aucune crainte.

 

Il y a une similitude apparente entre Jean Galli-Douani et Éric Woerth. Tous deux ont vraiment une « tête d’honnête homme ». J’aimerais pouvoir comparer une photo de Galli-Douani avant l’épreuve, et déjà, par avance, des photos d’Éric Woerth avant et après le Woerthgate. Je crois qu’on trouverait d’une part un homme profondément marqué par ce qu’il a pu éprouver, de l’autre un personnage impavide, au masque identique, au regard bien moins tourmenté. Il y a un gouffre en ce qu’un citoyen lambda peut subir et ce à quoi un personnage politique peut s’attendre. Du moins de nos jours où les Salengro, les Boulin peut-être, les Bérégovoy aussi (peut-être…) se sont suicidés ou y pensent encore pour les survivants « en sursis » (de cancers, de dépressions, de troubles psychosomatiques divers…), tandis que d’autres sont préparés à faire leur retour, soit en politique, soit à la tête d’une société privée de premier plan. La roue tourne et a tourné au mieux pour un Albin Chalandon à la réputation ternie par de multiples affaires tandis que le nombre des destins brisés par des épisodes qui les dépassent est sans doute beaucoup plus important qu’on ne l’imagine. Les uns et les autres se taisent, un Jean Galli-Douani s’est purgé. Non de son impureté, mais de celles qu’on lui a infligé : processus cathartique s’il en est !

 

C’est donc un récit à la première personne, de quelque 120 pages (avec table des matières et glossaire), vendu 13,50 euros, par l’éditeur, par de trop rares librairies, lors de salons, sans doute par l’auteur lui-même. Il est précieux pour celles et ceux qui, sans passer par d’aussi épouvantables tourments, avaient supporté des faits de nature comparable ou sont encore aux prises avec l’insupportable (harcèlement moral, injustices inextricables, situations où l’on se retrouve seul contre tous…). Le style est très pondéré, jamais emphatique, même si l’on ressent encore sourdre la douleur ou l’exaspération. C’est un « livre-cicatrice », qui n’évoque certes que de très loin le Poil de Carotte d’Hervé Bazin, mais qui s’y apparente : lorsque la mère République « fraternelle » se comporte en voyou endurci, en tyran de cours de récréations, que les soutiens sont trop rares, il y a de quoi désespérer avant de se reconstruire.

 

J’aimerais citer intégralement toute la préface. « Tant que les gardiens de la bonne conduite seront installés par le pouvoir (…) il ne s’agira que d’une mascaradeCette conception de la France économiquement offensive n’a pas pour but essentiel de consolider l’État (…). Le début du troisième millénaire marque l’avènement d’une idéologie “ financieuse ” obscène où l’être citoyen n’a qu’une valeur électorale, accessoire, mais surtout pas participative. ». Il y a des apparentements et rapprochements terribles entre les affaires décrites par Jean Galli-Douadi et d’autres, comme par exemple la montée en puissance en France du groupe international Carlyle, et ils seront sans doute, bientôt, confrontés, mis en regard, par d’autres.  Ce n’est pas là, ce jour, mon propos. Simplement dire et redire que « cela n’arrive pas qu’aux autres ».  Aussi que, comme l’exprime Jean Galli-Douadi, la résignation n’est certes pas l’issue. Merci de m’avoir lu. Savoir raison garder suppose de se dire et dire. Jean Galli-Douani a su se dire et dire : merci de le lire, c’est salutaire pour toutes et tous…
 
Galli-Douani, Jean, Clearstream-EADS, 120 pages, 13,50 euros, Nice, Bénévent, août 2010 – ISBN 978-2-7563-1739-7