Mediapart en remet une couche. Son dernier article sur la vente de l’hippodrome de Compiègne via les bons soins de l’ancien ministre avait suscité une verte réplique de l’avocat de l’ex-trésorier de l’UMP et maire de Chantilly, Éric Woerth. Le site d’information aurait fait une lecture incomplète, erronée et partiale des rapports d’expertise soumis à la Cour de Justice de la République. Sous le titre « Le rapport qui accable Éric Woerth », Mediapart revient sur ces expertises. Nul doute, pour Éric Woerth, « la mise en examen devient inéluctable ». Il a bien bradé un bien du domaine public.
Pour l’opinion, la cause est déjà entendue. Mais pour la Cour de Justice de la République, que le candidat François Hollande veut voir supprimée, les choses et les faits sont-ils assez clairs ?
Oui, mille fois oui, insiste Mediapart en donnant cette fois des extraits du rapport d’expertise portant sur la vente, à bas prix et à la hâte, de l’hippodrome de Compiègne.
Le domaine vaudrait 13 millions d’euros, les experts ont conclu qu’il aurait dû être cédé à 8,3 et non à 2,5 millions, comme l’a décrété en quelque sorte Éric Woerth, au mépris de divers avis et refus.
« La valeur vénale du foncier, des équipements et des bâtiments dégagée ci-dessus est de nature à remettre en cause le bien-fondé du prix payé à l’État par la Société des courses de Compiègne au regard des stipulations des articles 25 et 26 de la convention d’occupation, » conclue le rapport des experts, lourd de 152 pages.
De combien, la remise en cause ?
De près de 6 millions d’euros.
Le bail locatif de 1970 stipulait : « Les clôtures, les tribunes, bâtiments divers et d’habitation, écuries, guichets de paris mutuel servant à l’exploitation de la Société des courses sont également la propriété de l’État (…) il en est de même à tous égards des constructions qui seront élevées au cours du bail. ». Éric Woerth ne pouvait l’ignorer, son avocat a soutenu que les facturer reviendrait à les faire payer deux fois. D’une certaine manière, oui, mais un locataire n’est-il pas tenu d’entretenir les locaux mis à sa disposition, et s’il vient à les embellir, la négociation ne tourne pas systématiquement à son avantage.
Une disposition de 2003 précisait encore : « L’État aura la faculté soit de conserver, sans être tenu de verser une indemnité à ce titre, les installations et constructions qui auraient été réalisées par le bénéficiaire et son sous-locataire, soit de demander à celle-ci de les enlever et de remettre les lieux dans leur état primitif… ».
Le seul foncier est estimé, pour un total de 57 hectares, à 3,3 millions à lui seul. Les bâtiments vaudraient 6,1 millions, les équipements, 2,4 et les plantations, 1,1 million. 12,978 millions d’euros, donc. Mais les experts ont eu la grande bonté d’appliquer un coefficient minorateur de 20 % au foncier et au bâti. On approche alors d’un peu plus de 11 millions d’euros. Ils considèrent que l’obligation de conserver la même destination aux biens pendant 50 ans, qui n’aurait sans doute pas été totalement appliquée ou au moins partiellement enfreinte si le Woerthgate ne s’était pas déclenché, vaut un autre abattement important. Mais au total, en arrondissant à 13 millions, c’est bien trois fois plus que ce qu’a bradé Woerth aux dépens des contribuables.
Les experts notent bien que la vente concoctée par Éric Woerth permet de défricher, déboiser, et même d’aménager autrement, de lotir, morceler. Mais ils n’en tiennent pas vraiment compte : la note d’Éric Woerth est suffisamment lourde en l’état.
Médiapart conclut : « Selon des sources proches du dossier, ce rapport d’experts rend inévitable la mise en examen d’Éric Woerth pour ”prise illégale d’intérêts” ».
Non pas si, mais quand ?
Les magistrats ont pris des gants avec l’ancien ministre, placé sous statut de témoin assisté, ce qui lui permet, ainsi qu’à son avocat, de prendre connaissance de pièces qu’il avait d’ailleurs, pour la plupart, à sa disposition en tant que ministre du Budget.
Le copinage avec Philippe Marini, le sénateur-maire UMP de Compiègne, avec la Société des courses et son président, voisin du Cap Nègre dans le sud, a toujours été nié par l’individu « à la tête d’honnête homme ».
Son épouse non plus, propriétaire d’une écurie de courses en « coopérative », ignorait sans doute tout aussi des arrangements entre personnes censées ne pas se fréquenter.
Médiapart signale aussi qu’Éric Woerth sera entendu à Bordeaux.
Il pourrait lui être reproché, dans le volet Bettencourt du Woerthgate, un « financement illégal de parti politique ».
Cela fait lourd pour un semi-lampiste.
Mais quand comparaîtra-t-il ?
Dans les prochaines semaines, les prochains mois, avant ou après les présidentielles, les législatives ? De toute façon, un prononcé clément n’apporterait pas grand’ chose de plus. Or, une telle vente soulève quand même d’autres questions.
Se déballonnerait-il ?
Dans toutes ces affaires de financements électoraux ou de cadeaux faits au nom du contribuable, il faut que les peines soient vraiment lourdes et infamantes, que les possibilités de faire traîner en appel puis en cassation sur d’autres deniers que les siens propres soient inexistantes pour que les prévenus ou accusés lâchent les plus gros morceaux.
Woerth, mis en examen, soutiendra certainement qu’il n’a pas agi pour son compte personnel. Mais une telle décision ne se prend pas à la légère : elle pouvait, comme elle l’a d’ailleurs fait, compromettre fortement son avenir politique, toute sa carrière. Un tel risque aurait été pris après seule réflexion en son for intérieur ? Ou après avoir consulté ? Dans ce cas, qui au juste ?
Alain Juppé avait su prendre sur lui et subir un purgatoire. Il s’était contraint d’aller donner des cours au Québec, et se faire un temps oublier. Mais il n’a jamais été détenu ou en passe de l’être.
Pour Éric Woerth, il sera sans doute toujours possible de faire durer. Il a particulièrement bien résisté mais… avant d’être débarqué, il a reçu maintes marques et témoignages rassurants. À présent, il voit s’enfuir la possibilité d’un rapide retour en grâce. Le supportera-t-il ?
Devenu inéligible, Éric Woerth se retrouverait comme son épouse : à vendre au plus offrant, dans une société de conseil ou un autre. Triste destin après avoir connu les ors de la République et en avoir largement dispensé les bienfaits…
Sur le site « sénat bail emphytéotique de l’hippodrome de Compiègne » on apprend que l’affaire n’est pas aussi « claire » que le dit Médiapart. D’abord le bien est sous bail jusqu’en 2021 et rien n’empêchera à son terme de demander « au locataire » un renouvellement. On peut comme le dit le rapport, désigner l’accord sur la vente comme « un bricolage » entre les différents services de l’Etat (domaines ministères concernées, ONF). L’absence d’une définition claire du statut ONF ou non de ce bien (est ce n’est pas le seul cas)a singulièrement compliqué les débats. L’accord ayant été trouvé entre les ministères à partir de l’instant où la grande partie de la vente a été affectée à l’ONF et qu’une clause de 50 ans soit inscrite dans l’acte de vente. En conséquence collatérale cette vente qui devait servir en totalité au désendettement du pays, servira à l’ONF a acheter d’autres biens forestiers. Voilà où même l’absence d’organisation dans l’administration de nos biens communs!