Est-ce l’article de France-Soir d’hier, « Police : des millions d’euros jetés à la poubelle », qui a inspiré les éditorialistes de la presse régionale ? Toujours est-il que Woerthgate rime désormais avec fadette (facture détaillée de téléphone) et que la bavure policière du choix des munitions des armes de poing porte aux métaphores : il y a, dans le Woerthgate, des bombes à retardement, des munitions blindées, d’autres à fragmentation, à ogives plastiques, et quelques leçons de balistique à en retirer.

Aucun fait véritablement nouveau, du moins pour celles et ceux qui suivent cette chronique du Woerthgate, n’est à relever dans l’actualité de ce mardi matin 14 septembre. Si ce n’est celui-ci : selon Philippe Waucampt, du Républicain Lorrain, « l’affrontement, désormais, ne pourra plus cesser au premier sang ». Cela finira au « croc de boucher », et Dominique Galouzeau de Villepin semble bien désormais le réserver au locataire de La Lanterne (résidence présidentielle). Certes, il joue les arbitres impartiaux dans le conflit désormais quasi-général qui oppose la presse et le pouvoir actuel, mais ses députés s’abstiendront lors du vote sur les retraites, et c’est véritablement offensif.

Un mot sur cette histoire de munitions destinées aux Sig Sauer, les armes de poing de la police et de la gendarmerie. Tandis que la police optait pour des balles blindées, la gendarmerie leur préférait « des balles avec une ogive plastique, qui limite leur pouvoir de pénétration, » indiquait hier Brendan Kemmel dans France-Soir. Je vous épargne les détails techniques, mais les faits remontent à 2003, et la Gendarmerie nationale avait encore une certaine autonomie de décision par rapport au ministère de l’Intérieur. La « rupture » est depuis passée par là, et comme nous le remémore le livre de Jean Galli-Douani, Clearstream-Eads, la « bombinette » de cette rentrée, en matière d’affaires judiciaires très surveillées par le pouvoir (mitterrandien, chiraquien, balladurien, sarkozyen), l’autonomie de la Gendarmerie fit souvent figure de garde-fous (de leurs pouvoirs quasi-régaliens). Bref, 5,8 millions d’euros seront consacrés à réparer la bavure, et lorsque Gérard Boulanger, conseiller (FG) régional d’Aquitaine dénonce « l’amendement Copé qui exonère les ventes de filiales des entreprises françaises coûte 12 milliards d’euros au fisc ! Plus que ce qu’il faudrait annuellement pour équilibrer le budget des retraites », AgoraVox embraye sur le même thème en titrant « Quand Sarkozy vide la caisse, l’État ne peut plus payer ». La fronde déborde du Ouaibe pour gagner la PQR (presse quotidienne régionale).

Les lectrices et lecteurs de presse quotidienne, de Paris ou des régions, consultent parfois un titre de presse nationale ou locale, sans trop se soucier de ce que véhiculent la presse étrangère ou de régions voisines. Avec le Woerthgate, le fait nouveau est qu’à l’exception notable du Figaro, de peut-être Valeurs actuelles ou de quelques autres titres, c’est que ce vocable fait florès, et que l’affaire des fadettes du Monde sert de prétexte à des déclarations de conflit larvé. Revenons au Répu qui estime : « le parallèle avec l’épisode des plombiers du Watergate, qui coûta sa présidence à Richard Nixon, a été trop souvent établi à propos de tout et n’importe quoi pour qu’on ne se méfie pas de ce qui, avec le temps, est devenu une facilité de langage. Pour une fois, cependant, la comparaison est juste. Non sur le fond, qui reste à prouver. Ni sur l’issue, qui est encore à écrire. Mais sur son déroulement, qui transforme une affaire de droit commun en une bombe à fragmentation dispersant ses sous-munitions sur un périmètre tellement étendu que les victimes se multiplient largement au-delà du point de largage initial. ». Pour moi, le parallèle ne s’établit pas avec l’épisode, mais avec sa déflagration, et la perte totale de crédibilité de Richard Nixon, de son administration, du Parti républicain. Le Watergate, c’était aussi Spiro Agnew, vice-président, poursuivi pour évasion fiscale, démissionnaire le 10 octobre 1973, et l’enquête du Washington Post porta aussi sur le financement occulte de la campagne présidentielle de Nixon en 1972. Je n’emploie absolument pas le terme Woerthgate par « facilité de langage ». Le Woerthgate remonte à l’époque Balladur, voire bien auparavant, quand Éric Woerth et « la Cassette » roulaient encore pour Jacques Chirac. Le livre de Jean Galli-Douani aurait pu s’intituler Clearstream, Eads, le passé antérieur du Woerthgate.

L’Alsace et la Nouvelle République ont aussi estimé que la métaphore des « sous-munitions » s’imposait aux esprits. L’Alsace réclame que l’affaire Bettencourt soit confiée à un juge d’instruction, La Nouvelle Rép’ se joint de fait au SNJ, à Reporters sans Frontières et au Forum des sociétés de journalistes pour dénoncer « la mobilisation de l’appareil d’État à des fins anti-démocratiques » (communiqué du Forum rassemblant 32 rédactions). Mais cela déborde avec ce titre de la Nouvelle Rép’ : « Clearstream en appel devant une chambre ad hoc : la cour persiste et signe ». C’est la reprise chou pour chou du titre de l’AFP. Il fut un temps où l’AFP était moins explicite, et où, à l’instar du JDD qui titre « Clearstream : des juges “indiscutables” promis », la PQR édulcorait quelque peu ce genre de titre légèrement « rentre dedans ». Il n’y a guère que Le Progrès de Lyon à inciter à calmer un peu le jeu de « bourre-pif permanent ». La Charente Libre et Jacques Guyon s’inquiète aussi, mais en de tout autres termes : « Jusqu’à quel tréfonds de compromission, jusqu’à quel degré de concussion le pouvoir politique va-t-il se retrouver éclaboussé et la France du même coup affaiblie, ridiculisée, humiliée aux yeux du monde par ce mauvais feuilleton qui depuis des mois occupe notre scène hexagonale ? ». Et Jacques Guyon de faire fi des démentis de l’Élysée au sujet de la menace de suspendre les aides de l’État au Monde si les « mauvais » actionnaires étaient retenus pour sa recapitalisation.

Hubert Coudurier, pour le Télégramme, considère qu’« il s’agit moins d’intimider la presse, comme lorsqu’un directeur de Libération fut interpellé à son domicile pour un prétexte futile, que de soumettre les fonctionnaires à un devoir de réserve. ». L’auteur d’Amour, ruptures et trahisons (Fayard) n’en estime pas moins que « Big Brother a de beaux jours devant lui. ». Certes, dans le Woerthgate, tout se mélange, et on finira par lire en ligne que Jean-Luc Delarue, placé en garde à vue pour trafic de stupéfiants, pourrait « balancer » jusque dans la cour de l’Élysée (ou plutôt de ses annexes). Mais dans cette affaire de fadettes, il n’est guère que le très prudent, voire cauteleux, Ouest-France, et ses multiples filiales (Courrier de l’Ouest, Maine Libre…), pour ne pas mettre le nez hors de ses tranchées, en compagnie, est-ce étonnant ? de Nice Matin (qui a de quoi faire avec ses pompiers au bourre-pif avec les policiers du cru). Var Matin risque une question sur « la politique sécuritaire du gouvernement » à Carole Bouquet (réponse : « j’aurais été moi aussi sous les fenêtres de monsieur Éric Besson pour entonner Les P’tits Papiers… ») mais rien à propos des écoutes dont elle fut l’objet. Parfois, c’est beaucoup plus feutré, comme dans la Voix du Nord qui relate qu’un agent de la DDE réplique qu’il n’a pas le droit de communiquer avec la presse : « Voilà, c’est comme ça partout maintenant, comme le confirmait encore voici peu un pompier par exemple. Dormez en paix braves gens, la communication veille sur vous, » relève le localier de Bettignies. Le Courrier Picard, en pointe sur le dossier Woerth, revient sur les attributions de la Légion d’honneur en relevant au passage : « les soupçons de copinage et d’opacité, alimentés par l’affaire Woerth, sont plus que jamais d’actualité. ».

À l’inverse, L’Union, avec Philippe Le Claire, n’y va pas par quatre chemins : « Enfin, le journal Le Monde, n’a semble-t-il pas attendu d’être totalement vendu au triumvirat Niel-Pigasse-Bergé, grands bourgeois de gauche, pour faire du zèle ? ». C’est un argument à double tranchant : cela veut-il signifier que L’Union attend de nouveaux propriétaires pour adopter une nouvelle ligne éditoriale ? Ou qu’il n’est pas possible de se joindre au concert de la PQR tant que la Société du journal L’Union, dirigé par Jacques Tillier, ancien de l’hebdomadaire Minute (proche de la droite du FN) aura quitté le giron d’Hersant Média ? Faudra-t-il attendre que son ex et peut-être future succursale, Planète Amiens, change de galaxie ?

Voici donc que le procureur de Paris, Jean-Claude Marin, demande à la DRCI des précisions techniques sur les fadettes. Voila que Xavier Bertrand s’exclame que Le Monde accuse « sans aucune preuve ». Bah, une info suivie d’un rectificatif, c’est toujours deux infos. Merci Xavier Bertrand. Commentaire d’Apathie sur RTL : « Rarement sinon jamais autant de moyens n’auront été usité, usé, employé, pour défendre un ministre. Faut-il qu’il soit bon, ou précieux, pour que la République le défende ainsi. ». Entendez : pour que les contribuables soient ainsi mis à contribution…C’est d’ailleurs l’argument de Jeanne-Marie Le Pen : « Les moyens de l’État sont détournés au bénéfice d’un parti politique, c’est le cas dans l’affaire du Monde, c’était le cas dans l’affaire Rachida Dati où on a fait faire une enquête pour savoir qui avait envoyé des SMS sur la vie privée du président. » Pour sa part, Le Monde relève que la DGPN arguerait faussement avoir contacté préalablement la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité : « afin de “vérifier le bien-fondé et le respect des obligations légales”. Une désignation démentie au Monde par le délégué général de la CNCIS. ». Une info, puis un démenti, font deux. Merci la Direction générale de la Police nationale.

Rue89 s’est aussi intéressé aux fadettes et relève : « À l’inverse, l’affaire du sabotage des caténaires de la SNCF a montré qu’aux yeux des policiers chargés de l’anti-terrorisme, l’absence de portable suffit à faire de n’importe qui un suspect en puissance. » Quitte d’ailleurs, pour cette affaire visant Julien Coupat et ses amis, à faire dire tout et son contraire par la presse, sur la base d’enquêtes se contredisant et jugées fortement orientées et fantaisistes par Le Canard enchaîné. Il se trouve que l’affaire Coupat a laissé des souvenirs dans les rédactions. Lesquelles, surtout à la base, évidemment, s’estiment de plus en plus en état de légitime défense de la profession. Yves Thréard, du Figaro, s’inquiète, sur France Info, de la « mode de la diabolisation de Nicolas Sarkozy », mais l’oppose à Pierre Haski, de Rue89. « Acheteriez-vous une voiture d’occasion à cet homme ? », lui remémore Pierre Haski, par allusion à Richard Nixon. Et une réforme des retraites, alors ? Ce n’est pas un autre débat…

Terminons avec un fait vraiment nouveau de l’actualité de ce mardi après-midi… La juge Isabelle Prévost-Desprez voit valider, en appel, la décision du tribunal de Nanterre de conduire un supplément d’enquête sur l’abus de faiblesse présumée de Liliane Bettencourt par François-Marie Banier. Kiejman, l’avocat de Liliane Bettencourt (ou de Banier et de Maistre ? parfois, on hésite), se pourvoie en cassation, comme on pouvait s’y attendre. Ah, non, cette fois, ce n’était pas Kiejman, évidemment, mais Me Matthieu Boccon-Gibod, avoué du cabinet Lissarague-Dupuis, qui a fait savoir : « Cette décision me parait contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation. C’est une décision décevante…». Immensément décevante, même, car le pourvoi ne stoppe pas les investigations. Bon, TF1, où il compte un homonyme haut placé, va peut-être permettre à l’avoué de développer ses thèses. Là, j’avoue que la jurisprudence de cassation en l’espèce m’est hermétique… ou alors, nous n’avons pas les mêmes références.Moi, ce n’est pas Bordeau Chesnel, mais Monique Ranou, la « tradition du goût ». Et pendant ce temps où le budget de la Chancellerie pâtit du traitement de toutes ces affaires, on restreint la dotation en Ferrero Rocher au Quai d’Orsay. Dura lex, sed lex.